On vit une époque compliquée et il faut passer à autre chose. C’est beaucoup plus facile en (se) disant ça. Centaines de milliers de morts dues à une pandémie ? On vit une époque compliquée. Génocide ouïghour à l’autre bout du monde ? On vit une époque compliquée. Vladimir Poutine s’octroie les pleins pouvoirs à vie pour permettre la création d’une grande armée pour la République ? On vit une époque compliquée. La République est devenue entre temps l’Empire galactique ? On vit une époque compliquée. Joël Dicker en tête des ventes en librairie ? On vit une époque compliquée. Etc. Et voilà qui ne m’explique pas pourquoi je suis triste. Ce n’est pas l’état du monde ou ce qu’il en reste. Ce n’est pas non plus aucun des trucs que j’ai listés ici. Ce n’est pas la perspective de passer trois jours dans la campagne bordelaise ce week-end pour fêter les 30 ans d’E., (au contraire). Non, c’est autre chose. C’est quelque chose d’innommé et d’innommable qui ne doit pas mesurer plus d’un micron et qui circule dans mon organisme pour une raison non seulement qui m’échappe mais, comme on dit, est indépendante de ma volonté. Que faire ? Hier près du canal de l’Ourcq où nous nous verrons avec T. quelqu’un a dit qu’il fallait porter ses couilles : comprendre, avoir le courage de licencier quelqu’un. Il y a du monde le long du canal, mais en réalité de petits groupes assez clairsemés sous le regard masqué de la police. Dans la deux qui me ramène où donc, deux types se parlent, masque sur le menton. À un moment donné, ils vont s’asseoir l’un en face de l’autre sur l’une de ces banquettes colorées portant un autocollant indiquant que, du fait de la situation sanitaire, il ne faut pas occuper ces sièges (mais tout le monde le fait). Là, l’un des deux défait sa chaussure, enlève sa chaussette et montre un pied, le sien, à l’autre. Tous deux, ils rient. Puis il se rechausse et il renoue ses lacets. C’est tout.