Le problème de l’écriture, c’est qu’elle t’amène sur des territoires dangereux. En même temps, si le territoire n’est pas dangereux, c’est que ce n’est pas un territoire, voilà ce que je pense. Et je le pense depuis que j’ai commencé à apprendre, en lisant d’autres livres, à écrire. Tout à l’heure j’ai pensé à une phrase pour Eff. « Je suis détruit, mais je vais bien. » J’ai à peine récolté la moitié de mes 500 000 mots écrits il y a plusieurs années, mais j’ai quand même ajouté une feuille ajouts à tout ça, en partie pour cette phrase. La journée a pris un tournant étrange quand j’ai dit quelque chose à H. que je ne pensais pas dire. Je veux dire : pas que je n’avais pas prévu de dire, mais que je ne savais même pas que j’éprouvais. Parce que la chose que j’ai dite, et qui ne tient qu’en cinq monosyllabes en vérité, va à l’encontre de tout ce que j’écris. Notamment dans Eff, mais en réalité dans tout. C’est un trou noir autour duquel je tourne, dans la fiction comme dans le journal, et là, j’en ai pris le contrepied parfait. Je ne suis pas sûr que je m’adressais à lui quand je me suis adressé à lui. Je crois que quelque part, je me parlais à moi-même par proxy, ce qui rend la chose encore plus triste, je trouve, ou plutôt, pour le dire plus correctement, qui explique mieux pourquoi je me sens triste, même après coup, au moment venu de devoir l’écrire. Dans l’après-midi nous avons marché dans la campagne environnante, et je l’ai amené (je parle toujours d’H.) jusqu’à ce sentier escarpé découvert en courant, l’autre jour, tout à l’ombre, dans les branchages, accidenté un peu, rocailleux, mais beau. À un moment donné, il y a une sorte de marre remplie de lentilles vertes. Ça ressemblait à du pudding. Derrière, c’est à flanc de « falaise », mais comme je n’ai pas mes lunettes, je crois voir une bicoque là où il n’y a que de la roche. Je m’imagine néanmoins quelqu’un vivant là, excentré de tout, tout en étant au centre de ce petit chemin. Pas loin, j’ai dit à H., il y a une voire deux maisons abandonnées par ici, alors si l’envie nous prend de jouer à Scooby-Doo, on sait où aller. On dit faire de l’urbex, m’a-t-il répondu, mais cette réplique ne va pas, car on a le sentiment en la lisant qu’elle est froide, amère, ou distante alors qu’elle était juste aimante et drôle, car H. est comme ça. De la suite, il n’y a rien à en dire, car nous sommes rentrés chez nous.