Connaître le corps. Connaître les tangibles ¹. Tout se découd. Même et surtout ce qui n’a pas, initialement, subi la couture. Comment sécher mes cheveux sans sèche-cheveux, et éviter ainsi d’attraper pas la mort sur le quai du tégévé 8680 ? Mettre ma tête dans le four ? Je me ravise en appréciant la contre-productivité de ce geste. Sur le quai, justement, quelqu’un attend que le train entre en gare à ma hauteur. C’est un jeune homme pas joli : sa coiffure ne lui va pas, sa moustache ne lui va pas, ses vêtements ne lui vont pas. Mais une fois installé et endormi dans la rame, c’est le contraire : maintenant qu’il est allangui dans le sommeil ses vêtements lui vont, sa moustache lui va, sa coiffure lui va. L’endormissement l’a rendu beau. Il y a d’autres voisins de siège. Un designer de jeu de plateau crée des cartes à base d’animaux de la jungle qu’il part piocher dans une banque d’images sans bouger de son siège. Un autre jeune homme qui porte des mocassins en cuir et un costume trop grand pour lui regarde des vidéos de personnes qui parlent face caméra. On dirait que ces gens vivent, réduits à un buste de la taille d’un pouce, dans un aquarium de poche rectangulaire qu’il convient de sortir de temps à autre pour les exposer à la lumière du jour. Un quadragénaire travaille à des lignes compliquées sur son ordinateur Apple. Il souffle et il ahane beaucoup. À un moment donné, il se tape la tête avec la base de sa paume, fort. Il a l’air de ne pas se vouloir du bien. Il porte d’énormes chaussures Nike et blanches, du genre basket de ville, très propres, un jean et un sweat vert olive oversize, ce qui déforme tout car il est très très grand, et bien large d’épaules. Dans un couloir de la six quelqu’un dit : tout ce que tu fais est su. Après avoir passé un moment sur un mémorandum du ministère de la justice américain (c’est le ministère qui est américain, pas la justice, l’accord est sauf), je quitte Paris et rentre à P. Dans le train du retour, quelqu’un occupe ma place qui ne parle pas français. Je lui explique en anglais qu’il n’est pas dans la bonne voiture, et lui montre dans quelle direction aller, mais ensuite me demande : la façon la plus bienveillante de gérer la situation n’aurait-elle pas été de l’accompagner jusqu’à sa place (il y avait le temps), voire de moi occuper sa place pendant que lui la mienne ? Il y a des détritus sur ma tablette. Ma voisine de siège, qui ressemble à Kathy Bates avant sa perte de poids, trouve que les gens sont dégoûtants. Ensemble, nous déplorons l’absence de poubelles dans les rames, vu qu’à présent il faut attendre que l’hôte de propreté (c’est le groupe Nicollin, propriétaire du MHSC, le Montpellier Hérault Sport Club, qui a obtenu le marché) passe physiquement récolter nos déchets. Un couple de personnes âgées opine. Ils voyagent ensemble dans un carré de quatre. Sans doute prennent-ils leurs aises du fait que le wagon est presque vide. Lui sort un sandwich au salami. Elle lui demande quelque chose. Ledit sandwich au salami ? Non, dit-elle, juste le salami. Alors il en exfiltre des tranches de sa demi-baguette et elle les mange comme ça.