Hier soir retrouvé N., V. et M. devant la fontaine des Innocents, et pendant que je les attendais, plaquant sur les corps qui traversaient mon champ de vision leurs visages, ou ce que je me souvenais de leurs visages, une femme le vent dans la tête me demande si
1) je suis parisien et
2) je sais où se trouve le restaurant Le pied de cochon, et le plus étonnant n’est pas tant que l’on me pose la question mais que je sache y répondre, et je lui réponds, ça y est, et elle y disparaît.
C’est un peu après que je prends cette photo : les yeux surexposés, je crois.


V. me parle d’Ernesto & variantes, notes à l’appui, et je lui lâche que c’est bien « le meilleur truc que j’ai jamais écrit » et le pense réellement. Plus tôt, matin, j’ai reçu mes manuscrits fraichement imprimés et Coup de tête pourra bientôt partir, tout prêt qu’il est à m’être renvoyé dans la même enveloppe en retour pas même décacheté.

L’émission semblait avoir une passion pour le classement des choses en listes de dix. Nous avons vu ce que l’équipe de recherche du Late Night considérait comme les dix pires publicités au monde. Je me souviens du numéro quatre ou cinq : un fabricant de voitures allemand tentait de lier l’achat de sa voiture en forme de boîte à la satisfaction sexuelle en montrant, sur un décor de bois de pins, une langoureuse femme nordique qui succombait aux charmes du levier de vitesse.
« Ah oui, je vois le rapport », a dit Letterman à la fin de la vidéo. « Et vous, mesdames et messieurs ? »

David Foster Wallace, Mon image in La fille aux cheveux étranges, Au diable Vauvert, trad : Charles Recoursé, P.232-233

M. nous parle d’un livre de médecine légale qu’il a récupéré et qui « montre littéralement l’effet et le cheminement d’une balle et sa pénétration dans le corps » et je me dis putain ce bouquin est pour moi et je le veux. Il n’y a pas si longtemps, finalement, en sortant de la fac descendre à pieds par la rue Michelet et acheter chez un bouquiniste quelques dictionnaires de médecine, anciens ou non, et les ramener chez moi pour les lire, absolument fasciné. C’est cette absolue fascination que me procure la simple image mentale d’une balle déchiquetant et explosant à l’intérieur du corps, n’importe lequel, et photos à l’appui pour en montrer l’impact, le sens et les répercussions. Et quand on me demande ce que j’écris, je réponds « des trucs minuscules et même sans importance » mais ce que je ne dis pas, c’est que kiss bye boy, dans ma tête tout du moins, est tout à fait prêt à être posé sur l’écran et écrit véritablement, mais que j’ai réellement peur de le commencer, peur de le rater une fois encore et de n’avoir plus, cette fois, rien à écrire du tout. V. me dit qu’en tout cas j’ai « beaucoup publié cette année » et c’est vrai, même si pour moi cette période n’est pas cette année, mais à des dizaines de kilomètres de ma mémoire immédiate, voire a million miles away from home, comme le dit la chanson.

Au Zam-Zam, bouis-bouis où on mange, et plutôt bien, les mecs à la fin viennent nous offrir le thé à la menthe, et d’autres mecs nous vendent des fleurs, beaucoup de fleurs, parfaitement plastiques, nécessairement roses, et conçues très certainement pour supporter le terrorisme international en explosant synthétiquement au moment où on l’offrirait au corps encore adoré, mais nous ne sommes pas dupes et n’achetons pas de fleurs. Je crois que la conversation au Zam-Zam, à l’angle de la rue St-Denis, s’est terminée un peu après la phrase « et tous les choix qu’on peut faire encore au cours de la vie sont mauvais, et pas un seul n’est le bon puisque ces choix c’est nous (et par nous j’entends je) qui les faisons ». Tant pis pour Sacado, Amérique du Sud, et ses trekkings solos le long de la Cordillère des Andes que N. rêverait de faire mais ne fera jamais, on reste là et puis on se sépare, quelque part avant minuit, moment où les caillasses grêlent sur la carlingue des trains en marche. À l’intérieur avec N. (V. et M. sont repartis dans leur hôtel de luxe, et nous plongés direction la banlieue de banlieue), le mec à ma gauche crache un peu partout ses ongles et N. me dit décembre il faudra qu’on se revoit.


samedi 13 novembre 2010 - jeudi 16 mai 2024




31311 révisions
# Objet Titre Auteur Date
Article publié Article 160424 GV il y a 21 heures
Article publié Article 150424 GV hier
Article publié Article 150424 GV il y a 2 jours
Les plus lus : 270513 · 100813 · 130713 · 120614 · 290813 · 271113 · 010918 · 211113 · Fuir est une pulsion, listing adolescent · 120514 ·

Derniers articles : 160424 · 150424 · 140424 · 130424 · 120424 · 110424 · 100424 · 090424 · 080424 · 070424 ·

Au hasard : 180620 · 180118 · Semaine 50 · 220518 · Renégat, roman du temps nerveux · 100121 · Qu’est-ce qu’un logement. 66 · 230321 · 070519 · 080917 ·
Quelques mots clés au hasard : Omer Fast · Emilie Notéris · Yun Sun Limet · Arthur Rackham · Alexandra Saemmer · George Onslow · Cia Rinne · Emile Hirsch · Antonio Moresco · Li Juan · Edith Piaf · Siem · Paul Auster · Tardi · Emil Cioran · Lucy Ellmann · The Soundcarriers · Vinnie Wilhelm · Œ · Don Delillo · Louis-Henri de La Rochefoucauld · Joseph Conrad · Christophe Chabouté · Marianne Faithfull · Tom Ford · Arcade Fire · Lauren Groff · Anne Hébert · Livre des peurs primaires · Pia

Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)