J’écris volontiers avec les initiales, ça me rappelle sans doute groupe de rap quasi homophone que j’écoutais mais brièvement, il y a bien longtemps.

Revenant sur kiss bye boy je ferai sans doute un premier bilan mais plus tard, quand j’aurais au moins vingt ou trente fragments sur la table. Ça fait à peine plus d’une semaine que le truc est parti, déjà une dizaine de pages mise en ligne, j’avoue j’y croyais peu. Je veux d’abord revenir sur cette impulsion.

La forme je l’avais en tête, ça fait des mois, articuler le truc sur des textos d’abord, ceux d’un fugueur, et puis derrière la réaction de ceux qui sont restés derrière. Les personnages, cinq en tout, sont venus progressivement. Les organiser par numéros de téléphone, pas la meilleure idée qui soit, pas très lisible, probablement je supprimerai. Dans mes brouillons, c’est organisé comme suit : il y a le mec (0606667778), la fille (0679889047), le goal (0688879911), le prof (0612193605) et la mère (0642508833). D’abord le mec et la mère, ensuite les autres se sont greffés. Le mec celui « qui a sucé Pierrot dans les chiottes du lycée », avant de partir, et qui voudrait partir mais pas « le chercher. » La fille celle dont ses parents disent « leur fille fera médecine » et qui écrit dans ses marges en cachette de tout le monde. Le goal celui qui ne voit rien que depuis sa ligne de but et sur ses doigts des gants double épaisseur. Le prof celui qui attend devant sa fenêtre que les flics viennent le prendre si Pierrot l’a balancé. La mère celle qui voudrait bien joindre son fils mais qui n’y arrive pas : le répondeur toujours. Et Pierrot, celui absent, l’auteur des textos. Voilà comment se sont formés ces personnages.

Les premières difficultés rencontrées, et ce dès premier jour, tiennent aussi du support. J’ai mis en ligne de suite, et ai continué à le faire, les fragments au fil de l’écriture. Une seule limite à cet élan d’instantané : ne jamais mettre en ligne le jour même, avoir toujours au moins un jour pour le recul et pour si besoin tout refaire. C’est arrivé parfois. Certaines voix je les maîtrise mieux que d’autres. L’autre difficulté vient aussi de cette fausse transparence : d’ordinaire, sur ce type de récit, j’écrirais premier jet de quarante, cinquante pages avant de revenir sur moi et de relire, réécrire, voire recommencer. La publication en si léger différé d’écriture m’a obligé à être sûr de ce que je voulais voir, ce qu’évidemment je n’étais pas. Fallait donc, fallait vite, trouver quel(s) étai(en)t le(s) problème(s) et puis corriger. Les trois ou quatre premiers jours ont été compliqués. Ensuite le rythme a fait le reste.

Anne Savelli disait hier, à l’occasion de l’anniversaire des dix ans de remue.net, lors de la table ronde « Ce qu’internet change dans votre rapport à l’écriture », parlant de son livre en cours d’écriture, qu’il n’était pas question pour elle de tout poster sur son blog. Moi me suis dit et pourquoi pas ? C’est dans cette optique que kiss bye boy a été propulsé sur cette partie du site. Ces premiers fragments mis en ligne au rythme de presque un par jour (ce n’était pas prévu, le rythme tout seul s’est imposé) constituent les premiers jets. Pas les premiers jets bruts, bien sûr, mais des premières versions, on n’est pas encore très sûr d’où on va et comment. Par la suite, une fois revenu sur ces premières pages, je remettrai en une les textes accompagnés de leurs corrections. Toutes les variantes resteront accrochées sur la page, on pourra naviguer de l’une à l’autre. Et poster pourquoi pas captures d’écran des pages du traitement de texte gardant en mémoire toutes les corrections faites d’une version à l’autre. Je crois que c’est aussi comme ça qu’on peut se servir de l’outil de la page web. Avoir une construction complètement transparente. Et puis que le lecteur, en même temps que l’auteur quasi, ou en pseudo différé d’un jour ou deux, puisse suivre ce cheminement.

L’autre problème venait des voix. Il vient toujours. Chaque personnage, chaque voix, s’exprime par monologue. Il n’y a pas ou peu d’interaction entre eux. Chacun devrait avoir la sienne, de voix, propre ou presque. Et pour ça j’ai besoin d’aller trouver la folie de chacun, de pouvoir exploiter leurs déviances et leurs ratés de langage, car c’est toujours plus facile d’arriver non pas à écrire mais à « faire parler » lorsque le personnage est fou (pour ça que le personnage de Nil, pendant l’écriture de Coup de tête venait quasi tout seul et que sa voix était fixée). Je n’ai pas encore trouvé pour tous. Pour la mère c’est facile : elle parle à bout de souffle. Le fait de la faire parler littéralement contre le vide (le silence d’un répondeur, d’une messagerie automatique) permet une mise en place très simple de paragraphes sans ponctuation, et le voilà le souffle, voilà son identité. Avec la fille j’ai voulu rester le plus possible dans l’économie. L’économie de langue, de mot. Couper le plus possible, en faire des phrases très courtes, car c’est quelqu’un, je crois, qui vit entre parenthèses. L’expression récurrente concernant ses parents qui disent « leur fille fera médecine » directement empruntée à Virginia Woolf lorsque, dans Les vagues bien sûr, Louis répète aussi souvent son père « banquier à Brisbane » et l’accent australien qui le pèse. Le goal car j’ai toujours voulu écrire quelque chose là-dessus, plus que simplement le foot le poste si spécifique du gardien de but, obsédé sur sa ligne par une forme qui bouge au loin, un poste de seul au monde qui parfois, dans un match, n’aura besoin d’être là qu’une seule fois mais doit rester concentré tout du long. Le prof est un des personnages à problème, je n’ai pas encore bien le bon ton, le bon timbre, j’essaie pour ça de lui calquer une silhouette, celle de Colin Firth, A Single Man : « it takes time for me to become George ». J’ai besoin, pour lui, de beaucoup réécrire, et sa folie est si maniaque que j’ai du mal à la trouver. Le mec un dernier personnage à problème car il pourrait tout être, et c’est bien tout le problème. Je me suis rendu compte, mais trop tard, que sa simple figure d’amoureux transi n’était pas suffisante, j’ai essayé de compenser sur le deuxième fragment en le faisant projeter un peu ailleurs (« je suis tombé dans un coma d’images »). Avec lui toujours écrire en tâtonnant car son identité est trop fine, et sa folie mal dessinée. À ce niveau là je reste le même : je ne cherche de voix que pour des personnages avec pathologie(s). On n’en sort pas (et c’est à suivre).


dimanche 16 janvier 2011 - dimanche 19 mai 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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