Comment distinguer un crocodile d’un alligator ? Ou d’un caïman ? Y a-t-il des alligator albinos ? Celui-là n’était pas albinos, et donc ce n’était peut-être pas un alligator ni un caïman. J’avais juste sa gueule entre les mains. Je veux dire, sa tête comme détachée du corps (c’est donc un caïman, si c’en est un, décapité), et sa gueule que je forçais à se fermer, car elle continuera de battre. De se refermer sur des rangées de dents tranchantes comme, comme... l’image la plus communément admise serait comme des rasoirs. Et j’étais , la tête de cet animal dangereux entre les mains, rasoirs ou pas rasoirs, caïmanesque ou crocodilienne, à frapper son museau sur le sol 1 pour qu’il arrête de morde ou, du moins, de vouloir mordre (ce qui n’est déjà plus tout à fait la même chose). Pourquoi en revenait-on toujours à ça dans ce monde ? Mordre ou être mordu. Faire action de violence le premier pour éviter que quiconque fasse de même avec soi. Tirer le premier lors d’un duel au pistolet. Faire le cowboy. En définitive, être un mec. Quand soudain : incertitude géographique. Est-ce que la place Vendôme c’est la même chose que la place des Vosges ? Non, sinon elles auraient le même nom. Surtout, j’ai travaillé littéralement à quelques encablures de la place Vendôme pendant quatre ans, je devrais donc savoir ça. Mais non. Mon rapport à l’espace est en perpétuelle ébullition, et au fond je ne crois pas que ce soit parce que je ne fais pas attention, plutôt car je m’en méfie : quand j’étais enfant, je me disais que connaître le nom des rues par exemple, c’était un truc d’adulte. Or ai-je envie aujourd’hui de basculer dans l’âge adulte à ce point-là ? Par exemple, je trouvais ça d’un snobisme sans nom de les entendre (les adultes) dire des trucs comme là tu prends l’avenue Untel, puis sur la gauche la place Machin, non mais c’est plus court si tu coupes par la rue Truc, etc. Pourquoi ne disaient-ils pas tout simplement des trucs comme : là tu passes devant la caserne (qui n’existe plus aujourd’hui), puis tu descends la rue qui longe le terrain de sport qui est resté fermé pendant des mois à cause d’un éboulement (et qui a été reconstruit depuis), puis ensuite la station Elf (qui est maintenant Total)... Et là tu comprends pourquoi on utilise des noms de rues finalement. Cela dit, je peux te dire une chose sur la place Vendôme : c’est que je ne me retrouve jamais à la longer en vélo, contrairement à la place des Vosges, et qu’on y trouve presque aucun gramme d’ombre en plein été lorsque le soleil est au zénith. Sauf, j’imagine, le corps collé à la colonne du même nom, et qui était en réfection quand je bossais encore chez STAT il y a quatre ou cinq ans, et criardement revêtue de publicités de luxe obscènes à souhait, car bien sûr il s’agit des codes de notre monde malade, pardon, doré, et ce que ça nous plaise ou non. C’est comme cette pub dans le métro qui vante la transition énergétique d’un groupe, Médiatransports pour ne pas le citer, et sa performance d’avoir réduit de 40% en dix ans la consommation de leurs écrans sur... un fucking écran de pub qui consomme plus en deux heures que toute une famille de tortues luth en un siècle ! Mais je ne suis plus dans le métro : je suis dans le vaste monde, c’est-à-dire le jardin des Tuileries, en quête d’une sculpture chelou face à laquelle m’attend Thierry Crouzet, et c’est un bon moment partagé que ce moment, à l’ombre sous des arbres, où il est autant question de Goethe que des claviers des Mac, des alligators (tiens tiens) et de l’esbroufe. Surtout, il me donne envie, quand il me parle, de partir faire un trip en vélo quelque part. N’importe où.


vendredi 19 juillet 2019 - jeudi 2 mai 2024




↑ 1 Ce qui est, soit dit en passant, plutôt quelque chose qu’on ferait pour empêcher un requin de nous attaquer, à savoir faire ce qu’Anakin Skywalker enfant recommande à Jar Jar Binks de faire avec un droïde : hit the nose.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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