Chère Madame, Cher Monsieur,

N’attendez pas de moi aucune chaleur humaine. C’est une phrase qui m’est venue aujourd’hui. Elle m’a semblé appropriée. Ne le prenez pas pour vous. Prenez-la pour ce qu’elle est : le symptôme de notre époque. Mais je crois qu’elle convient bien à mon état mental du moment. Savez-vous qu’il y a de cela à peine plus de quinze jours, j’étais bien ? Je revenais de la pharmacie. J’avais acheté votre crème solaire « XL 50+ » ainsi qu’un encas pour le train. J’étais prêt à partir en vacances. Vous connaissez ce sentiment. Vous l’avez déjà ressenti au moins une fois dans votre vie. Eh bien voilà. C’était ça. Je ne vais pas vous le cacher : initialement, je ne comptais pas acheter votre marque. J’ai mes habitudes. Chaque année, je prends une crème solaire d’une marque concurrente à la vôtre, nul besoin de la nommer ici. Tout ce qu’il y a à en dire, c’est qu’elle a toujours rempli ses fonctions. Elle fait le job. Cette année, j’ignore pourquoi, elle demeure introuvable dans toutes les pharmacies du quartier. Je vis dans une termitière de pharmacies. Il y en a au bas mot tous les cinquante mètres. C’est bien. C’est bien quand on vit comme moi dans la terreur de la rupture chimique. Ça n’arrive donc jamais. Là, j’ai choisi votre marque. En fait, cette marque était partout. Vous avez dû être assez agressif au niveau du placement. C’est que vous en possédez, des linéaires, ici. Good for you. J’ai donc acheté cette crème le 13 juillet 2019, 26€ TTC et, jusqu’au 21 juillet, soit huit jours plus tard, je n’a rien eu à lui reprocher. C’est tout ce qu’on attend d’une crème solaire, finalement, n’avoir rien à lui reprocher. C’est signe qu’elle fonctionne. Qu’elle ne déclenche aucune allergie. Qu’elle protège bien du soleil. Au cours de mon voyage, ce tube de crème solaire m’a accompagné dans un sac à dos et dans la poche avant d’un short à moi. C’est tout. Aucun accident ni choc à indiquer ici. Quelle ne fut donc pas ma surprise (je parie que ça fait une paye que quelqu’un ne vous a pas dit quelle ne fut pas ma surprise, même chose avec ça fait une paye, d’ailleurs) de découvrir, le 21 juillet, soit huit jours après l’achat, que cette même crème solaire était à présent endommagée : son opercule supérieur permettant la fermeture du tube introuvable et détachée de son flacon. Comment est-ce arrivé ? Je n’en sais rien. Et quoi qu’il se soit passé, ça a cassé comme du verre sans que je m’en rende compte. Évidemment, il faut s’imaginer le sac à dos concerné ainsi que le short imbibé de crème solaire, et sali, sans doute irrémédiablement sali – souillé serait peut-être un mot plus juste encore, je le pose là. Je ne vais pas aller jusqu’à vous demander le remboursement de ces articles. Je ne vais même pas vous demander le remboursement de cette crème solaire. Après tout, j’en ai profité pendant huit jours, utilisant environ (c’est une estimation, et une fourchette haute) 15% de son volume. À 26€ le flacon (ce qui, pour 250ml, correspond à 10, 4 centimes le mililitre, ou le gramme, ce qui n’équivaut certes pas au cours du caviar, de l’or ou du tritium mais bon, ça rejoint tout de même celui de certaines variétés de beuh ; or cette crème solaire m’a-t-elle conduit à expérimenter des trips doux ? je ne crois pas, non), j’ai donc utilisé l’équivalent de 3,90€ de produit. J’entends donc être remboursé des 22,10€ restant pour apaiser mon insatisfaction et pouvoir envisager peut-être un jour de refaire confiance à votre marque (mais, je ne vous le cache pas, il me faudra du temps, ne serait-ce que pour m’éloigner de ce moment, ce moment bien précis, là, ici, maintenant, où je dis ce que je dis avec les mots que je choisis de dire et que vous avez à présent le loisir de lire, quelques jours après qu’ils ont été pensés et composés sur une page, mûrement réfléchis, et vous voyez ce que ça me fait ? vous voyez jusqu’où ça va cette histoire de crème solaire ? vous avez vu comment vous m’avez forcé à utiliser ce langage ? vous l’avez mis dans ma bouche, et ça je ne vous le pardonnerai jamais). Bref : 22,10€. Il va sans dire que je tiens à votre disposition une photo du tube incriminé (dont j’ai bien entendu compte tenu de son état dû me débarrasser), sur laquelle on voit bien la disparition de l’opercule. Ainsi que mon RIB. Merci de faire diligence.

Bien à vous,

GV


jeudi 29 août 2019 - mardi 20 février 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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