À la manière d’un tueur (en série), la collection LaureLi, éditions Léo Scheer, revient sur les lieux dits du crime. Un an et demi plus tôt, début 2009, paraissait Écrivains en séries (saison 1, ce n’était pas dit mais tout le monde a compris), sous-titré « Un guide des séries télé » et qui était comme dit le sous-titre « un guide des séries télé ». 117 séries, précisément, que s’appropriaient 71 écrivains, précis eux aussi. Je renvoie à mon article de l’époque pour plus d’éléments sur cette saison 1. Si vous êtes attentifs et que vous allez jusqu’au bout, vous constaterez qu’en fin de billet je m’interrogeais sur l’absence de séries phares telles que Friends, Urgences ou Damages et lançais invitation à moi-même pour aller voir une prochaine (et alors hypothétique) saison 2. Alléluia, mon voeu est exhaussé. Écrivains en séries saison 2 est paru cet automne, même éditeur, même collection, et Friends, Urgences, Damages sont de la partie.

La saison 2 reprend la même formule que la première. Au programme 120 séries, 92 écrivains. Certains ont prolongé pour une saison supplémentaire, d’autres ont été remplacés par de nouvelles plumes. Le principe de base, lui, reste le même : laisser carte blanche aux auteurs pour évoquer leurs séries de cœur (ou pas), celles de leur jeunesse (ou pas) ou celles qui les passionnent (ou pas). D’un article à l’autre (une page pour les plus courts, dix ou quinze pour les plus longs) le genre peut varier, de l’article plutôt analytique à la parodie décalée, de l’expérimentation littéraire à la description pure. Comme pour le premier volume, cela permet de toucher tout le monde et tout le monde s’y retrouve, qu’on connaisse ou pas, d’ailleurs, la ou les série(s) mentionnée(s). Comme pour le premier volume encore cela entraîne (forcément) des irrégularités dans la lecture, puisqu’il n’est pas vraiment possible de tout apprécier de la même façon. Alors parcourir ce guide justement comme un guide, piquer à droite à gauche, lire ici et là, parfois en dilettante parfois pas, tant qu’à faire devant la télé et une bonne vieille série évidemment.

Quand le Père Pivoine actionne son manège et que résonne l’insupportable petite ritournelle de l’enfance mise en orbite, nous savons qu’aucun retour en arrière n’est plus possible. Les 500 épisodes de la série d’animation Le Manège enchanté, créée en 1964 alors qu’explose la première bombe atomique chinoise, constituent un processus cauchemardesque sans précédent, mêlant éléments psychotiques inédits et propension quasi obsessionnelle à résoudre les conflits. La vie aurait pu être différente, est-il besoin de le rappeler.

Claro, Le Manège désenchanté, ou : Ce qui ne tourne pas rond, in Écrivains en séries saison 2, Léo Scheer, collection LaureLi, P.441

J’avoue avoir un faible pour les articles qui acceptent volontiers de se décoller de la série sur laquelle ils écrivent. Les textes humoristiques (celui de Claro en est un parfait exemple), les expérimentations littéraires (Danièle Momont sur les New Avengers, notamment) et les fictions décalées (voir pour ça l’extrait suivant sur Les Chevaliers de Wimbledon, mettant en parallèle Les Chevaliers du Zodiac et un match de tennis entre Roger Federer et Pete Sampras, très réussi) ont donc ma préférence. Les articles plus analytiques, bien que souvent réussis (celui sur Mad Men notamment), sont généralement plus lourds à digérer, moins fun à lire, mais comme dit précédemment c’est le propre des ouvrages composites.

L’intrigue des épisodes qui me reviennent alors en mémoire paraîtra farfelue aux non-initiés. La princesse Saori, réincarnation d’Athéna et porte-drapeau du Bien, est une sorte de roi Arthur en jupons : elle est entourée de toute une armée de Chevaliers fervents dont Seiya (Pégase), Hyôga (le Cygne), Shiryû (le Dragon), Shun (Andromède) et Ikki (Phoenix) – des Chevaliers de bronze toujours prêts pour un bras de fer, la version manga de Federer, nos héros. Le plus fidèle lieutenant de Saori est censé être le Grand Pope qui veille sur le Sanctuaire, en Grèce, protégé par douze Chevaliers d’or, des Sampras à belles armures répartis dans les douze Maisons du Zodiaque de leur signe respectif : il y a ainsi le Chevalier du Bélier, celui du Taureau, des Gémeaux, du Cancer, du Lion, de la Vierge, de la Balance, du Scorpion, du Sagittaire, du Capricorne, du Verseau, des Poissons.

Louis-Henri de La Rochefoucauld, Les Chevaliers de Wimbledon, P.168-169.

L’une des nouveautés de cette saison 2, c’est l’apparition d’illustrations qui prennent part directement au sommaire et qui ne sont pas là simplement pour décorer. Exemple avec l’entrée Goldorak, avec reproduction du « Degaulledorak » du Tampographe Sardon, tampon que l’on peut commander, soit dit en passant, sur la page suivante.

En prenant appui sur des fictions aussi codifiés que les séries télé, certains auteurs parviennent à en détourner les codes ou en exploiter les ficelles. Ici cette conversation en avion avec le Ross de la série Friends, retournant le rapport acteur/personnage (« Le deal était le suivant : nous devions mener la vie rêvée. », par Fabrice Colin), là une réinvention des deux premières saisons d’Urgences signée Lucien Suel qui s’appuie sur les titres de chaque épisode comme base d’un récit à contrainte (voir l’extrait ci-dessous, chaque passage en gras correspondant à un titre d’épisode), ailleurs un résumé des cultes Sopranos en quelques phrases ciselées (« On a pas toujours été gros faut pas croire », par Alban Lefranc). Voilà comment ces auteurs parviennent à réinventer la fiction tout en plongeant les mains à l’intérieur : la fiction comme matériau de base, c’est connu. Et c’est aussi l’enjeu d’un livre tel qu’Écrivains en séries saison 2.

Nuit blanche à Chicago : Le professeur B. Obama prépare son cours pour le lendemain. D. Ross fait la tournée des duchesses avec son papa. Le docteur Benton rêve qu’il pousse sa mère dans les escaliers. C’est un cauchemar.
Travail perdu, congé gagné. La vie n’est pas juste. Jeanie Boulet est très malheureuse mais elle serre les dents. Elle ne confond pas HIV et IVG. Le bruit de la rame de métro nous empêche de comprendre la fin de la phr.

Lucien Suel, Dans l’urgence, P.607.

Le plus curieux, dans ce deuxième volume, c’est de retrouver des séries qui ont déjà été traitées dans le premier. Curieux mais pas gênant, d’autant plus que cette fois, le guide des séries semble avoir fait le tour. Je ne pense pas qu’il y ait encore matière à faire une saison 3. Tout est déjà dans ces deux volumes, 1200 pages à eux deux combinés, l’un complétant l’autre, et s’il ne fallait citer qu’une seule contribution, citons avec plaisir cette traduction de Raymond Federman, intitulée Je me souviens du meilleur programme télé de 1991 et qui traite, bien sûr avec humour mais pas que, de (et oui) la Guerre du Golfe.

Cher ami,

Tu me demandes ce que la guerre du Golfe a représenté pour nous, ici, en Amérique, en 1991. Eh bien, de notre point de vue, à l’arrière comme on dit, la guerre du Golfe a été du pur spectacle. Elle a été conçue pour la télévision, et c’est comme ça que nous l’avons vécue, comme un programme télé, diffusé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela dit, ce n’était pas la mini-série ordinaire, plutôt une maxi-série qui a duré cent jours.

Raymond Federman, Je me souviens du meilleur programme télé de 1991, traduction Danièle Momont.


mercredi 12 janvier 2011 - mercredi 8 mai 2024




30430 révisions
# Objet Titre Auteur Date
Article publié Article 211223 GV il y a 14 heures
Les plus lus : 270513 · 100813 · 130713 · 120614 · 290813 · 271113 · 010918 · 211113 · Fuir est une pulsion, listing adolescent · 120514 ·

Derniers articles : 080424 · 070424 · 060424 · 050424 · 040424 · 030424 · 020424 · 010424 · 310324 · 300324 ·

Au hasard : 260519 · 040415 · 150313 · 140513 · Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvres – I would prefer not to · 230917 · 010317 · 090310 · 040124 · 171014 ·
Quelques mots clés au hasard : Isabelle Pariente-Butterlin · Jean Echenoz · Alimentation · Yves Montand · Rainer Maria Rilke · Gilles Bonnet · Dino Buzzati · Eldo Yoshimizu · Ornette Coleman · Le Corbusier · Honoré de Balzac · Urgences · Raymond Queneau · Bong Joon-ho · Jean Sibelius · Hunter X Hunter · Joshua Ferris · La Haye · H.G. Wells · Goran Petrović · Edouard Levé · Jorge Barón Biza · Robert Mapplethorpe · Hayao Miyazaki · T. S. Eliot · Jeroen van Veen · Pia · Anne et Patrick Poirier · Jacques Brel · Mohamed Mbougar Sarr

Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)