Noémi Lefebvre



  • 020315

    27 mars 2015

    The next morning the TV news said that people in our area were advised to evacuate their property : we were in a high-risk area for fire.

    (...)

    By late afternoon, the smell of woodsmoke was heavy on the air, and the TV and the radio were both telling us to get out, now, if we could. We smiled at each other, and drank our beers, and congratulated each other on our understanding of a difficult situation, on not panicking, on not running away.

    Neil Gaiman, August tale in A Calendar of Tales in Trigger Warning : Short Fictions and Disturbances

    On me parle d’un Nicaragua ou d’un Vénézuela. Six-milles balles. Six milles balles ou euros ? Un mec quelque part s’était fait tirer une balle dans la jambe. En Argentine, un type à qui l’on essayait de voler son Nikon s’était fait peter la tête (c’était son expression, peter la tête) et il en était mort. Aucun rapport avec que dalle.

    Thomas à Beaubourg pour une soirée organisée qui s’intitule L’intime est-il révolutionnaire ? Sur scène, par cœur, Philippe, puis Noémi Lefebvre. À un moment quelqu’un dit déclinez votre identité et quelqu’un mentionne les os rose et vivants qui poussent sous nos tissus. À un moment un mec nous demande, dans la nuit, où c’est la place du Châtelet (c’est ailleurs). On se pose quelque part pas longtemps c’est la nuit. On parle avec des mots sans doute. Je sais comment s’appelle le prochain livre que je lirai je crois.

  • 100315

    2 avril 2015

    Dans L’enfance politique, Noémi Lefebvre cite des répliques tirées de Six Feet Under. Pour l’avoir vu X fois, pas besoin d’être contextualisé pour que je sache : ce que c’est, d’où ça vient, quand c’est dit, dans quelles circonstances et par qui. Il y a quelques semaines, passé les cinq saisons à L. qui m’a dit, par écrit, il y a quelques jours, je suis à l’épisode pilote, j’hallucine (mais dans le bon ou dans le mauvais sens ?). Comme souvent quand je lis un bon truc, je me dis faut l’envoyer à V. Ce que je lis je le lis sous l’afflux d’un son qui dure 21 minutes et qui s’appelle Repeating History for piano : comparable au travail de recomposition de Max Richter sur les Quatre saisons ? Comparable à notre propre travail de réécriture des classiques ? S’agissant de Morphine, par exemple, je crains d’être trop sage, de ne pas aller au cœur des choses pour les réencoder, précisément ce que fait Jeroen Van Veen.

    Quelqu’un dit j’aimerais bosser à la DGCCRF. Vivre c’est quoi ? Une carte postale au kiosque pour y écrire trois mots qu’il aurait fallu crire, déjà, dix jours plus tôt (1€). Numéro 1 de Society 1 et taper sur la vitre en plastoc (3.90€). Combien ça pèse une demi-page de pub dans Society ? Évariste c’est vraiment un bon livre ? Ce que la pub te vend, c’est le corps du bonhomme, pas le corps de sa langue.

  • 150118

    17 février 2018

    Il y a une tornade ou un ouragan à l’horizon qui s’approche alors nous sommes des dizaines à courir dans des sous-bois pour en réchapper. C’est dans une grotte qu’on trouve refuge, on a de l’eau jusqu’au thorax et on se fait des traits à l’encre bleue baveuse sur les vêtements qui nous serviront de repère pour savoir si l’eau monte. C. est là. N. est là. V. aussi. Il y aura Seb avec qui je projetais d’écrire, à six mains, avec Mahigan, un livre sur les pneus (!). Il est possible que l’on attende la mort et qu’une vague nous submerge. Quelqu’un (mais qui ?) rappelle cette inscription secrète gravée sur le tombeau de Saint François d’Assise : we all are slaves. Tu dois te méfier de ta nature sauvage 2. J’écris tu pour ne pas avoir à dire je. Et je raterai ça une partie du jour, me méfier. J’ai fini par laisser mon corps s’écouler avec le mouvement des heures. C’est ça, précisément, qui est dangereux chez moi. 504 mots pour Eff sur la nature sauvage. J’ai dépassé mon quota d’écran, là. Alors pour rester dans le rythme du Morphine(s) 04 c’est sur une série de dix pages recto verso que ça se joue, des feuilles avec un critérium. J’avais oublié ces histoires de village immergé (barrage). En faire quelque chose. C’est un chapitre sur de l’eau. The Tunnel :

    If I could choose another life,
    I’d be a dog or American wife . . .
     
    (...)
     
    or maybe in that other dawn,
    I’d rather be a suburb lawn.
    It’s hard to say which would be better :
    manicured girl, or grass, or setter.
  • 240519

    24 juin 2019

    Non seulement il faut surveiller sa nature sauvage (par exemple, moi, quand je laisse libre cours à cette espèce de vide endémique qui ne demande qu’à jaillir, j’atteins des seuils d’insupportabilité assez nocif pour moi-même et mon entourage, je pense) mais il faut se méfier de sa langue, des automatismes du langage. Par exemple là je serais assez pour implanter des puces délivrant de petites décharges électriques (rien ne léthal, rassurons-nous) à quiconque utiliserait la phrase on est dans une société qui... ou bien on vit dans un monde où.... On doit pouvoir être en capacité de se défaire de ça, tournures de phrase entières qui s’imposent à toi sans que tu les formules, non, sans que tu sois conscient lorsque tu les formules ; s’en méfier donc. J’ai arrêté les publications automatiques dlvrit sur Twitter pour tout passer sur IFTT, qui est plus souple et permet notamment d’inclure systématiquement une image (logo) avec un article, et intégrer un extrait de chaque page automatiquement partagée. Pourquoi j’en suis réduit à automatiser mes partages sur les réseaux ? Parce que c’est une forme de violence. Non : parce que je m’imagine que c’est une forme de violence. Non : parce que je le ressens ainsi. Et qu’il y a trop de bruit autour de moi, partout. Au moins, celui-ci, on peut facilement le muter, ce qui ne sera jamais le cas des interminables séances de klaxon parisien qui s’instaurent chaque mardi et vendredi matins, jour de marché, car toute la rue T. est bouchée là où elle se jette dans le rond point de la place un peu plus haut. D’ailleurs quelqu’un m’écrira également aujourd’hui avoir pris ses distances avec tout ça, être en phase de retrait. C’est sans doute qu’il y a quelque chose derrière, et on n’est jamais seul. C’est comme cette sortie que j’ai aperçue tout à l’heure, malgré moi donc, puisque je suis malgré tout amené, ne serait-ce que professionnellement, ces réseaux, à les fréquenter, bref, c’était un thread sur les conditions difficiles de la fantasy française, qui explique qu’en gros si les livres de fantasy française ne se vendent pas, ce n’est pas de la faute des auteurs comme on peut le lire dans un autre article mais de la faute des éditeurs qui ne les rémunèrent pas assez. Et, indépendamment de la réalité de ce constat (les éditeurs ne rémunèrent pas assez les auteurs, quand ils les rémunèrent tout court, c’est une réalité, et le simple fait qu’on en vienne à revendiquer au moins 10% de droits d’auteur sur le prix d’un livre 3, quand on les touche effectivement, ce qui en soit est dérisoire, en dit long sur notre incapacité collective à trouver de nouveaux modèles, à sortir de cette situation délétère) nous voilà tombés dans le piège de la responsabilité : chercher un responsable, ce n’est s’attaquer en rien aux racines du problème, c’est perdre l’occasion de révolutionner ou redéfinir le système et, en définitive, perdre son temps tout court à courir derrière, quoi, des boucs-émissaires ? Parce que personne, dans l’édition, ne veut porter la responsabilité du désastre : le libraire s’en prendra à l’éditeur qui publie trop, l’éditeur à l’auteur qui n’a pas assez mobilisé ses réseaux, l’auteur aux deux autres pour ne l’avoir pas assez défendu ou porté et, pendant qu’on cherche à faire porter, justement, le chapeau à quelques uns ce qui est constaté en permanence par tout le monde, rien ne change, rien ne bouge, on continue de publier des livres en se disant qu’un heureux accident peut toujours arriver, et, en ce qui concerne les auteurs, à ne pas en vivre. Et en répondant sur ce mode-là, la ligue professionnelle des auteurs, puisque c’est d’elle dont il s’agit, non seulement se trompe, mais fait l’erreur de tomber dans le piège corporatiste de base qu’on tend dans tous les secteurs et en tous temps électoraux, précisément car on vit dans un monde qui fait de l’opposition des uns contre les autres un véritable mode de vie, et qui se repait de ça. Or donc à qui profite le crime ? ; comprendre : qui fait son beurre de cette situation dans l’édition ? Finalement, ce qu’il y a de plus juste, de plus sain sur la question, est peut-être à chercher non dans une présence exacerbée où que ce soit, c’est-à-dire dans une mise en produit de nous-mêmes, mais dans une forme d’absence, d’abandon, de rupture, de refus. Il me semble l’avoir lu ainsi, du moins, ce soir chez Jérôme Orsoni. Et peut-être qu’il convient en réalité de ne plus publier de livres, du moins pour un temps, et de s’en tenir à nos espaces web où au moins on est libre d’être qui on veut, et quand on veut dans le temps.

  • 230320

    24 avril 2020

    Désinfecter compulsivement les courses à coup de lingettes, n’est-ce pas un peu extrême ? Tout est devenu extrême, ne serait-ce que se dire : le beurre salé est en pénurie, il ne reste plus que du beurre doux (et comprendre où penche donc la balance). Il faudrait être en capacité de voir le virus. Mais disant ça, ou du moins le pensant, je ne sais pas si je parle au premier degré ou par métaphore. Rien ne change donc jamais ? Je ne sais pas à quoi ça tient, mais je me retrouve à consulter la météo pour les prochains jours. C’est étrange. Et relativement peu utile puisque tout déplacement à l’extérieur est exclu. Quoi alors ? Il est question du froid et du sol, des capacités de tout un chacun à supporter de mineurs inconforts. Sur Twitter, c’est très perturbant de voir passer chaque jour les petites vidéos du violoniste Renaud Capuçon qui nous joue quelque chose. Il y a un hiatus entre les intentions supposées de la personne (jouer pour des gens qui sont coincés chez eux, et qui possiblement s’ennuient, dispenser gratuitement de la musique à qui veut l’entendre, voir l’écouter, rendre la culture prétendument élitiste accessible au plus grand nombre) et le récit porté par l’image. Chaque jour dans une pièce différente, les intérieurs (ou, parfois, extérieurs) bourgeois se succèdent 4. C’est une pastille expédiée depuis un autre temps : celui de l’opulence. Les voyant passer (sans même avoir besoin de les lire véritablement, la miniature faisant toujours son effet), on a le sentiment que son propre intérieur n’a rien de bourgeois. En réalité si : nous sommes souvent le bourgeois de quelqu’un d’autre. Mais là, en l’occurrence non. Noémi Lefebvre remarque que ces pastilles vidéos ressemblent à cette scène du film Titanic au cours de laquelle les musiciens se mettent à jouer en attendant que le navire coule, car c’est là tout ce qu’il y a à faire. D’autres personnes, pas nécessairement en lien avec cette vidéo d’ailleurs, évoquent le film Un jour sans fin : là, le personnage incarné par Bill Murray doit revivre encore et encore la même journée jusqu’à ce que son personnage parvienne à devenir quelqu’un de bien. Est-ce à cela qu’on se destine en tant que personne, et même en tant qu’espèce ? Ou bien est-il en réalité question d’espace ? L’espace, on le devine partout autour du musicien qui peut aller d’une pièce à l’autre (culture, tableaux, instruments de musique, livres, disques, végétation en arrière plan donnant l’impression de dire tout, sans pourtant avoir droit à la parole), et autour de soi pas. Ou peu. Ou trop peu. Nous avons 35 (ou 37, je ne sais jamais) mètres carrés ici et nous sommes deux (plus deux lapins). Je sais par ailleurs combien nous sommes loin d’être les plus à plaindre. Et au fond tout le monde commence à trouver et le temps long, et les intérieurs étroits. Quelle hauteur sous plafond ? Qu’en est-il du volume ? Combien de ce volume doit être alloué aux livres, que nous avons en quantité ? Se dire que si nous en avions moins, nous aurions plus de place pour nous. Mais peut-être que ce n’est pas comme ça qu’il faut raisonner. C’est même le contraire : de l’espace en plus. Non de l’espace en moins mais de l’espace en moi. Il vaudrait mieux se remettre à lire, quoi. Mais plutôt que lire effectivement, je préfère entretenir des perspectives de lecture (j’achète des livres numériques en promotion chez Galley Beggar Press), je me fais un panier ogresque sur Epagine (en partie en promotion également), je télécharge l’application Rocambole qui vient de sortir sur Android. Là encore, c’est une question d’espace, de champ de vision, de profondeur de champ, de perspectives d’avenir. Où est-il notre avenir ? Brouillé, comme mon œuf du matin dans de l’huile de coco tant qu’il m’en reste encore (ce qui, en soi, est tout aussi bourgeois que l’arrière-plan des vidéos de Renaud Capuçon).


  • ↑ 1 C’est comme le Tigre mais en moins bien.

    ↑ 2 Surveillances n’est pas loin.

    ↑ 3 Notons quand même que chez publie.net, on propose des contrats au-dessus de ses seuils, et nous payons les droits d’auteur chaque année, même si clairement ça ne résout pas grand chose ce n’est tout de même pas rien.

    ↑ 4 Scène par ailleurs très différente chez Philip Glass, où seule la musique est au centre, sans aucune notion de décor, le tout dans un lieu a priori doté d’une certaine normalité ; mais enfin qu’entend-on par normalité ?