Désinfecter compulsivement les courses à coup de lingettes, n’est-ce pas un peu extrême ? Tout est devenu extrême, ne serait-ce que se dire : le beurre salé est en pénurie, il ne reste plus que du beurre doux (et comprendre où penche donc la balance). Il faudrait être en capacité de voir le virus. Mais disant ça, ou du moins le pensant, je ne sais pas si je parle au premier degré ou par métaphore. Rien ne change donc jamais ? Je ne sais pas à quoi ça tient, mais je me retrouve à consulter la météo pour les prochains jours. C’est étrange. Et relativement peu utile puisque tout déplacement à l’extérieur est exclu. Quoi alors ? Il est question du froid et du sol, des capacités de tout un chacun à supporter de mineurs inconforts. Sur Twitter, c’est très perturbant de voir passer chaque jour les petites vidéos du violoniste Renaud Capuçon qui nous joue quelque chose. Il y a un hiatus entre les intentions supposées de la personne (jouer pour des gens qui sont coincés chez eux, et qui possiblement s’ennuient, dispenser gratuitement de la musique à qui veut l’entendre, voir l’écouter, rendre la culture prétendument élitiste accessible au plus grand nombre) et le récit porté par l’image. Chaque jour dans une pièce différente, les intérieurs (ou, parfois, extérieurs) bourgeois se succèdent 1. C’est une pastille expédiée depuis un autre temps : celui de l’opulence. Les voyant passer (sans même avoir besoin de les lire véritablement, la miniature faisant toujours son effet), on a le sentiment que son propre intérieur n’a rien de bourgeois. En réalité si : nous sommes souvent le bourgeois de quelqu’un d’autre. Mais là, en l’occurrence non. Noémi Lefebvre remarque que ces pastilles vidéos ressemblent à cette scène du film Titanic au cours de laquelle les musiciens se mettent à jouer en attendant que le navire coule, car c’est là tout ce qu’il y a à faire. D’autres personnes, pas nécessairement en lien avec cette vidéo d’ailleurs, évoquent le film Un jour sans fin : là, le personnage incarné par Bill Murray doit revivre encore et encore la même journée jusqu’à ce que son personnage parvienne à devenir quelqu’un de bien. Est-ce à cela qu’on se destine en tant que personne, et même en tant qu’espèce ? Ou bien est-il en réalité question d’espace ? L’espace, on le devine partout autour du musicien qui peut aller d’une pièce à l’autre (culture, tableaux, instruments de musique, livres, disques, végétation en arrière plan donnant l’impression de dire tout, sans pourtant avoir droit à la parole), et autour de soi pas. Ou peu. Ou trop peu. Nous avons 35 (ou 37, je ne sais jamais) mètres carrés ici et nous sommes deux (plus deux lapins). Je sais par ailleurs combien nous sommes loin d’être les plus à plaindre. Et au fond tout le monde commence à trouver et le temps long, et les intérieurs étroits. Quelle hauteur sous plafond ? Qu’en est-il du volume ? Combien de ce volume doit être alloué aux livres, que nous avons en quantité ? Se dire que si nous en avions moins, nous aurions plus de place pour nous. Mais peut-être que ce n’est pas comme ça qu’il faut raisonner. C’est même le contraire : de l’espace en plus. Non de l’espace en moins mais de l’espace en moi. Il vaudrait mieux se remettre à lire, quoi. Mais plutôt que lire effectivement, je préfère entretenir des perspectives de lecture (j’achète des livres numériques en promotion chez Galley Beggar Press), je me fais un panier ogresque sur Epagine (en partie en promotion également), je télécharge l’application Rocambole qui vient de sortir sur Android. Là encore, c’est une question d’espace, de champ de vision, de profondeur de champ, de perspectives d’avenir. Où est-il notre avenir ? Brouillé, comme mon œuf du matin dans de l’huile de coco tant qu’il m’en reste encore (ce qui, en soi, est tout aussi bourgeois que l’arrière-plan des vidéos de Renaud Capuçon).


vendredi 24 avril 2020 - mardi 14 mai 2024


(c) Masamune Shirow, Ghost in the shell



↑ 1 Scène par ailleurs très différente chez Philip Glass, où seule la musique est au centre, sans aucune notion de décor, le tout dans un lieu a priori doté d’une certaine normalité ; mais enfin qu’entend-on par normalité ?

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)