Je suis désolé, mais l’interprétation de Canto Ostinato par le Cello8ctet d’Amsterdam, je peux pas. On est le plus souvent à la limite de la justesse, c’est assez crispant et le thème est malmené. Et c’est vraiment dommage parce que j’aime beaucoup le violoncelle, et par dessus le marché j’aime particulièrement le mot octet, et alors le mot cello plus encore. Le Canto Ostinato Revisited lui, n’est pas faux, mais vraiment trop ampoulé pour moi (en plus ça chante). La version interprétée par Tomoko Mukaiyama et Gerard Bouwhuis va trop vite, mais celle de Arielle Vernède, Cees Van Zeeland et Gene Carl est trop lente. Et finalement, cette histoire de Canto Ostinato est une belle métaphore de la vie au sens large : non seulement on n’a aucune idée de qui sont tous ces gens, mais en plus il y a toujours un truc qui cloche. Là, ce truc a un rapport avec l’entretien vidéo réalisé hier avec Claire Larsonneur et Erika Fülöp, ça concerne un sujet bien précis, que j’ai éludé assez rapidement, à savoir imaginer un avenir sain, économiquement parlant, pour les auteurs. Quel serait le monde idéal pour permettre qu’ils et elles puissent vivre de leur activité ? J’ai séché. Moi, je trouve plus volontiers des problèmes que des solutions. Mais quand même. Quelque chose me dérange. Ce matin, je lisais cet entretien accordé par Xavier Moni, président du Syndicat de la librairie française, à AOC. C’est un peu long, et certaines choses sont plus intéressantes que d’autres. Moi, ici, je veux parler d’une revendication du SLF : c’est de fixer une remise minimum (actuellement octroyée par les éditeurs à leurs clients, souvent en fonction de leur chiffre ou de leur surface, pour les grands groupes, c’est comme ça qu’on se retrouve avec de petites librairies qui « bénéficient » d’une remise de 32%, ce qui est peu) qui permette aux libraires de (sur)vivre. Il l’estime à 36%. Pourquoi pas. Nous, on pratique 35% de remise libraire, ce n’est pas si loin que ça (et on trouve parfois des libraires qui refusent de bosser avec nous pour cela, pour un ou deux points de remises supplémentaires, et quand on sait quels volumes potentiels seraient en jeu, vraiment, on est en droit de se dire que ce n’est qu’un prétexte). Puis, un peu plus loin, sur les conditions de rémunération actuelles des auteurs, on lit : si on reprend le schéma de la répartition de la valeur, à l’auteur reviennent 10 % du prix d’un livre, ce qui est certes moins que les 35 % qui reviennent au libraire, mais ce ne sont pas 35 % au total qui vont dans sa poche : avec cela il faut payer toute une chaîne de coûts, et de même chez l’éditeur. Déjà, 10% de droits d’auteur, ce n’est pas du tout la norme ou la moyenne, c’est même en enjeu de revendication des auteurs que de les atteindre (moi, je pense que c’est une connerie de réclamer 10, parce que c’est admettre que notre travail ne vaut que ça, 10%, mais c’est un autre sujet). Mais ce que révèle surtout cette déclaration, c’est autre chose. Je passe sur les libraires et les éditeurs qui ont des coûts, contrairement aux auteur.e.s qui n’en auraient pas (mais ils ont comme tout le monde des loyers à payer, des factures, des charges). Non, là où je veux en venir c’est qu’au fond, on essaye de nous dire ici que 1% ou 2% de marges supplémentaires, dans ce secteur, cela peut faire une différence pour des acteurs comme des librairies indépendantes ou des éditeurs indépendants. Il n’est pas trop tard. Cela peut sauver des entreprises et des emplois. C’est censé être une bonne chose. Mais en fait, ce que ça dit, c’est le contraire. Que pour les auteur.e.s, on a déjà admis que ça ne changerait rien. Que de les payer à des taux de 8, 10 ou même 12% (quand ils sont payés tout court), finalement, ça ne les sauverait pas car c’est déjà foutu. Alors on préconise de faire ce qu’on fait quand un train a du retard : on va le sacrifier lui pour ne pas avoir à en retarder d’autres. C’est ce que la novlangue journalistique d’aujourd’hui entend par le mot impacter. Les auteurs, ils sont déjà insauvables, et un ou deux pour cent de plus sur leurs contrats ne changera rien au fait qu’ils n’en vivent pas. Alors que d’autres acteurs du marché oui. Cela devrait nous amener, collectivement, à tâcher de réfléchir à d’autres schémas de pensée, d’autres équilibres, d’autres formes de solidarité. Ce que m’invitait à faire hier Claire Larsonneur et Erika Fülöp et que je ne me sens pas capable de faire aujourd’hui. Ou, du moins, de faire seul. Alors quelle solution pour demain ? Garder des animaux de compagnie. Tu vas chez les gens avec ton ordi, tu t’installes, tu es une présence bienveillante pour eux et/ou elles, tu leur donnes à manger, tu passes du temps avec. Tu te fais payer un peu, pas grand chose mais tu peux cumuler. Le matin chez X, l’après-midi chez Y. Tu récupères quelques centaines d’euros par mois si tu te débrouilles bien. Tu coupes ça aux prestations diverses, si tu y as droit. Aux bourses. Aux résidences quand il y en a. Et, en définitive, tu écris chez les gens. Tu vides leur frigo. Tu manges à l’œil. Tiens, il reste du gâteau. Tu regardes comment il a été coupé, non, partagé. Tu en prends 6, 8 ou 10%. C’est honnête. Faut-il vraiment rentrer dans ce jeu-là ? Il est autrement plus pervers que celui qui consiste à prédire des déplacements de robots rectilignes sur un plateau auquel nous avons joué à six, dans un bar à jeu sans climatisation, une étuve quoi, avant quoi ma seule préoccupation n’était plus la rémunération des auteurs mais putain, il va falloir que je mette un t-shirt.


lundi 29 juillet 2019 - jeudi 2 mai 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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