Parmi les coûts que nous avons coupés cet été du fait de notre situation instable, la principale source de dépense concerne les envois à la presse (presse au sens large). Ces dépenses (coût d’impression des livres et d’envoi, je laisse de côté la délicate mais réelle question du temps passé à le faire) pèsent environ 11 % de notre chiffre annuel 1. Nous sommes une petite structure. Nous sommes des gens raisonnables. Nous n’arrosons pas de façon irréfléchie. Et pourtant. Le problème des envois presse est multiple. D’abord, si pour le type de littérature qu’on publie, les recensions sont vitales pour qu’un livre puisse avoir une chance de rencontrer, comme on dit, ses lecteurs, elles ne sont en réalité quasiment jamais prescriptrices, ou au mieux très peu, et ce même dans la presse nationale ou dans des organes de référence. Avoir des articles ne garantit donc en rien qu’un livre vende. Il arrive même que les livres qui marchent le mieux (toute proportion gardée) soient ceux qui bénéficient de la stratégie presse la plus faible. C’est comme ça. D’autres problèmes se posent. Je regardais tout à l’heure Babelio, qui propose comme à chaque rentrée un challenge pour le coup plutôt sain qui vise à encourager les chroniqueurs à couvrir l’ensemble des publications de la rentrée (à l’opposée de la presse mainstream qui, elle, se concentre sur quelques uns, le plus souvent toujours les mêmes). Me plongeant dans ces recensions, j’en ai trouvées certaines qui dataient de fin mai, pour des livres à paraître fin août. La personne en question, qui était aussi influenceur livres sur Instagram, inscrite début 2020 avait, en un an et demi donc, publié près de 300 chroniques. Sur Instagram, la personne possède environ 250 abonnés à son compte. De sorte que chaque avis sur un livre (300 en un an et demi) est dilué pour maximum 250 personnes (plus les lecteurs Babelio qui iront spontanément se renseigner sur ce livre, mais est-ce réellement si fréquent que ça ?). Quand en plus il s’agit de venter (ou non d’ailleurs) les mérites d’un livre à paraître trois mois plus tard, on peut être sûr que cette influence est nulle ou quasi. À quoi sert donc de toucher comme on dit ces personnes ? Notons que la qualité de leurs chroniques ne sont pas en cause : elles sont au niveau de la quasi totalité (ne généralisons pas) de la critique mainstream, c’est-à-dire nulles, là encore, ni plus ni moins. Mais on y trouve le plus souvent les mots clés requis (un grand livre, jubilatoire, l’un des meilleurs livres que j’ai lus cette année, quelle claque et ainsi de suite), normal puisque ce sont là les critiques professionnels qui sont singés. Notons que l’une des solutions est toute trouvée depuis plus de dix ans maintenant que l’on pratique le livre numérique : l’envoi des services de presse en PDF et/ou epub. Qu’on ne vienne pas me dire que les journalistes professionnels ne sont pas capables de lire un PDF (ou, au minimum, de filtrer le tout venant par ce biais pour ensuite demander ce qui les intéresse réellement en format imprimé, ce qui, mine de rien, écrémerait beaucoup). Et si c’est moins confortable pour eux, que leurs employeurs leur fournissent du matériel pour les lire (une liseuse, ça ne coûte rien à Radio France ou au Monde). Le plus triste, c’est que bon nombre de relais lisent effectivement en numérique mais qu’il est impossible de les toucher de la sorte car 1) les livres numériques ne sont pas solubles dans la publication pop de photos de livres sur les réseaux sociaux et 2) le plus souvent on est plus enclin à lire d’abord ce que l’on a sous les yeux, voire sur une pile sur son bureau, que ce qui ne pèse rien dans un dossier sur son disque dur. Et voilà comment on se retrouve à s’épuiser à envoyer dans le vide (et en le sachant pertinemment, mais sans pouvoir pour autant se résoudre à ne pas faire l’effort car le livre le mérite) des livres qui ne sont ouverts que quelques secondes, par quelqu’un qui se dira juste mais qu’est-ce que c’est que ce machin, qui en lira trois phrases au hasard au mieux, puis qui reposera, avant de croiser un collègue dans le couloir et lui dire au premier degré tu as lu le dernier Christine Angot ? parce que c’est quelque chose. Le plus triste dans l’histoire, c’est que quelqu’un qui n’a pas l’habitude de lire, ou qui n’a pas l’habitude de lire du contemporain en grand format, donnant sa chance à ce qui sort, faisant l’effort de lire les sélections et les dossiers dans les magazines, dépensant un prix bien souvent exagéré, se lançant dans la lecture en confiance, se dira simplement mais c’est de la merde en fait la littérature d’aujourd’hui. Et il aura raison.


lundi 27 septembre 2021 - dimanche 5 mai 2024




↑ 1 Il s’agit en réalité d’une projection sur les six premiers mois de l’année 2021, 2020 ayant été sur ce point trop particulière pour qu’on puisse en tirer des enseignements : pas d’envois presse pendant le premier confinement et les semaines qui ont suivi.

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Article publié Article 050424 GV il y a 12 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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