Nous sommes à la campagne pour préparer un enterrement. Ou bien était-ce une crémation ? Je ne sais pas. Je n’arrêtais pas de dire que je pouvais prendre un train, mais un train pour où ? Faire l’aller-retour dans la journée. Mais depuis quelle époque ? Ce n’est pas clair, et la personne voudra savoir si je voulais assister à tout. Comment ça, tout ?
— Par exemple, à l’ex-communication ?
Je n’y avais pas pensé. Je ne savais pas que c’était aussi dans l’ordre naturel des choses et, très vite, on en vient à discuter de l’après.
— Après quoi ?
— Après la cérémonie, j’aimerais que l’on revienne dans ce jardin. Peut-être planter quelque chose. Mais quoi ?
— Un arbre ?, dis-je, peu inspiré.
— Une plante, plutôt, m’a dit la personne, avant de soudain revenir à la charge : Tu sais ce que j’aimerais vraiment faire, au fond, pour lui rendre hommage ? Ce serait planter de l’humour.

Il vit dans le désert un lapin qui avait l’air de faire la course avec le train. Derrière le premier lapin couraient cinq lapins. Le premier lapin, qu’il avait presque à côté de la fenêtre, avait les yeux très ouverts, comme si la course contre le train lui coûtait des efforts surhumains (ou surlapinesques, pensa l’avocat). Les lapins poursuivants, au contraire, semblaient courir en se relayant, comme les cyclistes poursuivants dans le Tour de France. Celui qui prenait la relève faisait deux bonds et celui qui était en tête rétrogradait jusqu’à la dernière place, le troisième se plaçait en deuxième position, le quatrième en troisième position, et comme ça le groupe grignotait mètre à mètre l’avance du lapin solitaire qui courait sous la fenêtre de l’avocat. Des lapins, pensa ce dernier, magnifique !

Roberto Bolaño, Le gaucho insupportable, traduction Robert Amutio, Christian Bourgois

Dans le rêve, je ne lis pas. Dans la vie aussi. Tout me tombe des mains. J’ai tout essayé. Des trucs que je me sais aimer, des trucs que je ne connais pas. Des romans, des nouvelles, de la poésie, des articles sur le web, des trucs entre les genres, des essais, des BD, des billets de blog, tout. J’ai une capacité d’attention de l’ordre de quelques nanosecondes et, comme souvent quand je suis dans cette situation, je m’en remets à un Bolaño que je n’ai encore jamais lu (un jour, ce ne sera plus possible) : tout se dissipe. Tout ne se dissipe pas. Le Gaucho insupportable est très différent de ce que j’ai pu lire avant. De courts textes. Une animalité.