Paris, matin même.

What spectacle confronted them when they, first the host, then the guest, emerged silently, doubly dark, from obscurity by a passage from the rere of the house into the penumbra of the garden ?
The heaventree of stars hung with humid nightblue fruit.
With what meditations did Bloom accompany his demonstration to his companion of various constellations ?
Meditations of evolution increasingly vaster : of the moon invisible in incipient lunation, approaching perigee : of the infinite lattiginous scintillating uncondensed milky way, discernible by daylight by an observer placed at the lower end of a cylindrical vertical shaft 5000 ft deep sunk from the surface towards the centre of the earth : of Sirius (alpha in Canis Maior) 10 lightyears (57,000,000,000,000 miles) distant and in volume 900 times the dimension of our planet : of Arcturus : of the precession of equinoxes : of Orion with belt and sextuple sun theta and nebula in which 100 of our solar systems could be contained : of moribund and of nascent new stars such as Nova in 1901 : of our system plunging towards the constellation of Hercules : of the parallax or parallactic drift of socalled fixed stars, in reality evermoving wanderers from immeasurably remote eons to infinitely remote futures in comparison with which the years, threescore and ten, of allotted human life formed a parenthesis of infinitesimal brevity.

James Joyce, Ulysses

Cette planète qui se rapproche, immobile sur la surface de mon écran boulot, n’est ni Mélancholia ni aucune autre, je l’appelle Jupiter. Comment savoir si elle aussi n’ira pas traverser tous mes yeux à une vitesse de 90000 frames par seconde ? Je ne sais pas. Ce que j’en dis, le monocasque enfoncé oreille droite en décrochant : STAT Guillaume bonjour, suivi souvent par cette monosyllabe : etc. En arrivant matin, au quinzième sous-sol du sous-sol d’Opéra, j’ai eu si honte de lire se déployer sur les portes de l’ascenseur la phrase : les nègres puent. Les noms d’enseigne successivement elles me prédisent combien journée (aujourd’hui) sera bonne et je les crois : Bonne journée, Bon appétit et puis Bonne merde. Quant à celle qui m’ignore à ma droite qu’en penser ? Neck neck, je me pose la question du sens. Les mots ils sont écrits au stabylo bientôt les portes sur eux se fermeront, bouffés par la crasse prise en accordéon. Ils lèvent le rideau de fer. C’est la fin des vacances pour tous les fantômes de ces mecs que je me suis surpris à ne plus trop croiser ces deux dernières semaines. Paris reprends ses formes humaines. Celui qui remonte, l’air de ne pas y toucher, le zip de sa braguette coincé dans l’autre zip de sa braguette ouverte. Celui que je connais assez pour lui donner du tu et puis lui dire bonjour mais lui ne me connaît même pas. Celui en short qui s’époumone sans rien parler devant vitrines de ces agences contemporaines qualifiées par certains (mais par moi non jamais) d’immobilières. H., je l’espère, nous ne serons jamais propriétaires de rien, sinon nous-mêmes, et j’espère vivrons-nous toujours à même les courants d’air, à peine de quoi faire buter sur nos silences nos mots, sur nos mots d’autres mots, nos soupirs, oui, oui surtout nos soupirs. Au bas de mon calendrier il est écrit en bon anglais : 131 days left in the year. Savoir comment mutera cette pseudo vraie promesse dans les dix, dans les quinze, les vingt prochaines années futures. Je crois que mon contrat chez STAT prendra fin en même temps. Nous ne sommes que nous deux, à trois ce sera, ce serait différent. Je cherche des doigts les bonnes lettres : les bonnes sur le clavier par cœur. Serons-nous, serions-nous, devriendrons-nous « famille » ? J’effleure les touches pour déverser ma littérature grise. Des questions sans réponse. Je vis toujours sous l’effet de Melancholia puissance dix. Ce que je vois : Charlotte Gainsbourg se retourner. Encore. Moi-même je me retourne. Conversation entre deux sourds, l’un clope aux doigts. Savoir si le mégot altère autant les mots articulés par les phalanges qu’un mec qui parle avec sa gorge et dont le souffle et dont le filtre entre les lèvres et dont les cendres défont la voix. Combien de temps Jupiter seule mettra pour déborder tout contre moi ? Je n’ai le temps de rien, bosser à n’en plus savoir l’heure. Mais j’ai le temps, bien sûr, de voir venir l’instant ici palpable où Ulysse décidera de massacrer tout le monde. Melancholia les prétendants. Ce que je sais : Stephen décline l’invitation de Bloom de passer là la nuit. Sous les étoiles ils pissent. Bientôt tombera l’heure de terminer mon tour du monde de la planète Ulysse. Bientôt Molly trois-cent-cinquante-quatre fois prononcera le mot oui et l’autre non six-cent-quarante 1. Se séparer, oui mais de quoi ? Ce sera non peut-être.

How did they take leave, one of the other, in separation ?
Standing perpendicular at the same door and on different sides of its base, the lines of their valedictory arms, meeting at any point and forming any angle less than the sum of two right angles.

(...)

Alone, what did Bloom hear ?
The double reverberation of retreating feet on the heavenborn earth, the double vibration of a jew’s harp in the resonant lane.
Alone, what did Bloom feel ?
The cold of interstellar space, thousands of degrees below freezing point or the absolute zero of Fahrenheit, Centigrade or Reaumur : the incipient intimations of proximate dawn.

Ibidem


lundi 22 août 2011 - vendredi 17 mai 2024




↑ 1 Note du 27/08/11 : en réalité ces statistiques valent pour l’ensemble du texte, et non simplement le monologue de Molly.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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