Six Feet Under



  • 220908

    22 septembre 2008

    ...un peu l’impression de rester cloîtré sur le Maid of Palestine avec le narrateur schizophrène de La vitesse des choses ; alors ok on voit défiler le monde autour mais soyons honnête, on ne le voit défiler que depuis l’envers d’un hublot un peu terne donc bon ; depuis deux semaines que je me règle tous les matins sur radio-anpe rien n’arrive (mer d’huile faut croire) ; des CV-lettres de motivation envoyées il y en a eu, et pas qu’un peu, simplement de l’autre côté il n’y a rien ; aucun retour ; que dalle ; à croire que moi aussi je suis l’un de ces fantômes en spray qui sature le pont du Maid of Palestine (ou S.S. Quantum) ; à croire que moi aussi je parle aux morts enfermé dans la chambre froide au sous-sol sauf que les morts ne me répondent pas ; ils ne me demandent même pas de les regarder (je veux que tu me regardes... voilà... c’est mieux maintenant) ; alors bon je continue d’envoyer ce que je suis censé envoyer en me disant un jour où l’autre ça finira bien par ; pour autant mes journées ne sont pas vides ; l’impression de revivre sans arrêt les mêmes heures façon Un jour sans fin (Bill Murray en moins) ; cette journée d’août 2004 ou 2005 je sais plus et tout se répète en permanence, les moindres mots, les moindres pas ; mon narrateur déambule puis marche arrière il revient sur le parvis de la gare à se faire engueuler par un type dont il ne connaît même pas le nom ; un type qui pourrait bien être un fantôme lui aussi ; puis il remonte la rue du tram jusqu’à chez lui et on revient sur le moment où il se dit ok je me tire et c’est ce qu’il fait, bien avant de mourir à son tour, cervicales éclatées sur le chaud de la route ; un fantôme à l’envers somme toute ; je préfère le laisser sur le bord du plongeoir à attendre que le signale éclate ; Ajay en ligne de mire ; tous les fantômes de sa vie d’avant réunis autour ; c’est plus calme ; c’est plus doux ; c’est plus digne ; j’aimerais quand même qu’on me réponde ; qu’on me force à sortir ; qu’on m’impose des heures fixes ; sinon le moteur tourne à vide ; sinon je reste bloqué entre les mêmes journées caniculaires à jongler entre avance et retour rapide sans trop me décider sur quelle image mettre pause ; paraît que c’est aussi ça le S.S. Quantum...


    Scott Matthew - Amputee

  • 131008

    13 octobre 2008

    ...tout passe par les ondes ; je reçois fin de matinée un coup de fil d’une voix qui m’annonce que mon profil les intéresse rapport au CV que je leur ai envoyé Dieu sait quand ; je dis cool mais quelle annonce ? ; alors la voix me dit son nom et m’explique que son entreprise fait ceci et cela ; je dis ok mais je vois toujours pas qui vous êtes (pas comme ça mais ça veut dire ce que ça veut dire) ; puis ensuite il m’explique que son entreprise vend et exporte des tire-bouchons alors ça fait tilt et je me rappelle enfin de qui est qui et pourquoi ils m’appellent ; poste à temps partiel, CDD of course, une douzaine d’heures par semaine, sur Paris, mais au trajet RER très direct donc ok ; veulent me rencontrer demain, me demandent si je suis libre de suite, je dis oui, alors je me prépare implicitement à commencer rapidement si l’entretien de demain est convainquant ; bonne nouvelle, je me dis en raccrochant, puis ensuite je calcule le salaire que je serais censé obtenir et je me pose la question de savoir si c’est vraiment une si bonne nouvelle que ça ; je décide que oui après quelques minutes de grommèlements ; puis retour tâches quotidiennes ; à savoir changer le lapin en écoutant (ondes toujours) François Bon chez Alain Veinstein de l’autre jour (s’inventer en dehors de soi-même, il dit, on peut pas écrire sans passer par les morts, il dit un peu plus tard) ; avant d’enfin m’imaginer mon casque-audio sur la tête à disperser des ondes garnies de tire-bouchons dans toute la France et au-delà (sur fond de cold wind cold wind cold wind blowing, etc.) ; du moment qu’elles sont pas cancérigènes...


    Arcade Fire - Cold Wind - Six Feet Under, Volume 2 : Everything Ends

  • 141008

    14 octobre 2008

    Et cette chanson en gros je l’avais grossièrement oubliée, dommage puisqu’il s’agit de la seule chanson d’Arcade Fire que j’aime vraiment, capable de l’écouter vingt fois de suite malgré les répétitions. Puis de cette chanson vers des instants régurgités comme une éponge. Je me rappelle un air qui me trotte en tête et le contexte de leurs écoutes importantes se libèrent. En l’occurrence dans une rue de Morlaix sous le crachin breton.

    Je marchais sec sur les pavés d’une rue piétonne au nom sans importance, puis j’arrivais place Allende,


    des fois c’était le marché dès neuf heures du matin avec les poissons et les odeurs autour, des fois je me contentais juste d’enjamber les poireaux écrasés par terre et, bien sûr, d’autres fois c’était pas le marché, c’était juste un parking avec des rues piétonnes normales


    il crachotait vaguement et moi je me glissais mon MP3 autour de la tête histoire de capter une ou deux (souvent deux) chansons avant d’aller bosser à la librairie. Souvent passait Cold wind rarement par hasard d’ailleurs. D’autres fois, souvent, c’était Like a rolling stone parce qu’à ce moment là je découvrais Dylan en lisant François Bon. Des fois Cold wind je le mettais deux fois de suite, puis encore au retour après midi pour regagner le Marchallac’h. En marchant sec sur les pavés piétons, Cold Wind par dessus le vrai vent froid crachoté, je me disais que cette chanson, elle convenait parfaitement à Coup de tête et qu’au moment de me lancer dans l’écriture du troisième jet encore en gestation, il me faudrait travailler avec elle, avec cet air, avec sa voix. Puis de mois en mois, j’ai laissé les pavés humides-piétons et Morlaix avec et j’ai oublié cette histoire de chanson. Je suis même incapable aujourd’hui de me souvenir pourquoi, au juste, cette chanson, plutôt qu’une autre, conviendrait parfaitement à Coup de tête.


    En réalité chanson empruntée à l’atmosphère audio de Six Feet Under. Avant-dernier épisode de la dernière saison (511), DVD 4. A la base c’est comme ça que je la découvre et après tout peut-être n’existe-t-elle nulle part ailleurs. L’épisode s’appelle Static

    Je ne regarde pas la caméra arriver vers moi parce que je regarde dans le vide, contrairement à tous ces autres corps qui comatent en silence dans le silence du bus. Ma voiture crashée-retournée sur un chemin en pleine cambrousse, mon corbillard vert foutu, vendu huit cents et quelques dollars pour les pièces détachées. Mon regard perdu sur l’ombre extérieure, il fait nuit, nuit éclatée de lumières électriques ici et là, ville en sommeil qui ne dort pas, on voit mon visage flou au premier plan mais net dans le reflet de la vitre, perdu dehors et pris dedans, traversé par les lueurs trop ternes puis

    Je ferme les yeux secs, rictus dur d’un visage lourd, mon corps gonflé par ma peau grasse, le ventre rond d’un gosse pas assez cuit qui sort trop tôt. Je cris déformé par mes traits tirés puis bascule vers l’arrière sur l’oreiller blanc. Mon bébé va bien dites moi est-ce que mon bébé va s’en sortir ? puis

    Je la regarde depuis l’envers de mon masque, quel soulagement qu’elle puisse m’avoir, elle ne peut pas voir combien j’ai peur, je lui tiens la main, son corps meurtri par les contractions, je ne sais pas si sa question m’est adressée et si je suis censée y répondre mais je le fais. Juste continue de pousser continue de pousser et je lui tiens les mains mon Dieu c’est bien tout ce que je peux faire, c’est bien la dernière chose je peux faire pour lui puis

    Je la regarde le temps d’un battement de paupière jusqu’à ce qu’elle comprenne que je ne peux pas la regarder car je n’existe pas je suis juste la figure inquiète de ses propres petits cauchemars paranoïaques puis

    Je pousse une dernière fois et le gosse ne tombe pas je dis putain comme si je le pensais et mes yeux déformés par la pression par dessus qui s’y pose, la souffrance que ça peut être parce que la musique traîne avant l’habituel fondu au blanc puis noir et crédits qui s’enchainent.


    et on se demande franchement comment c’est censé se passer plus mal, et si c’est possible que ça se passe plus mal, avant qu’encore une fois tout se termine. Mais la musique reste et revient sous l’air aléatoire de l’Archos, depuis ma poche de blouson, anciennement droite, désormais gauche.

    .

    Coup de tête avance bon train, avance en double si je puis dire : poursuite des relectures de la première partie (un peu plus de la moitié à présent) et réécriture en parallèle de la deuxième. Pas même besoin de retourner Gare de Lyon car tout est déjà clair. Puis de poser ma tasse

    thé-thérapeutique pour soigner crève récalcitrante ramenée de ce week-end sans doute


    boire du thé citron (et je n’en bois généralement que lorsque je suis malade en réalité) me ramène vers ces jours de froid où l’on s’enfermait au Voltaire, face de la Fac, au lieu d’aller bosser sur Dieu sait quoi on avait pas envie de bosser, puis commander un thé citron avec la rondelle au fond de la tasse et le sucre que j’avais même pas besoin de rajouter


    puis boire du thé-citron-chimique entre deux heures d’anglais le lundi matin directement piqué depuis le gobelet à F. également


    sur le bureau côté gauche avec notes étalées en vrac sur le plateau en dessous et futurs livres à lire posés au dessus, écran allumé sur ma page de Coup de tête du moment, ça me donne l’impression d’avoir exactement ce que j’ai toujours voulu : ma vie centrée sur et par l’écriture (et ce ne sont pas mes douze heures hebdomadaires de tire-bouchon qui viendront vraiment bouleverser tout ça).

    D’autres projets parallèles aussi, des concours de courts pour la plupart, car j’aimerais commencer à caser quelques textes dans diverses revues ou anthologies ou autres. Des idées frémissantes mais une idée centrale qui devrait articuler les autres, celle d’une infirmière ou aide-soignante de Careysall

    car plus j’y pense et plus j’en viens à croire que Careysall est un terrain de nouvelles, de fictions courtes, d’évènements brefs


    qui s’appellerait Johnny Silmograth ou quelque chose comme ça mais peut-être qu’on ne connaîtrait pas son nom

    les noms de personnages, c’est tellement accessoire et dispensable que je trouve parfois peu naturel et obscène de les mentionner textuellement


    et qui s’éprendrait de l’un de ses patients genre phase terminale. Parfois, ce patient est un adolescent type Amaury, parfois c’est une femme d’âge indéterminé victime de la mémoire (Cette mort). Parfois c’est encore une forme vague d’homme replié et mou plongé en terre. A creuser (jeu de mot).

    Enfin, dernier truc apparu, ce concours de synopsis contre l’homophobie lancé par le Ministère de la Santé. Au bout, la réalisation d’une poignée de courts-métrages censés prêcher contre l’homophobie. Un peu moins de quatre milles cinq cents caractères torchés tout à l’heure dans l’inspiration du moment. Ce serait un texte-témoignage qui s’intitulerait Martyr plastique (avec Manuel Jodorov en gay-star) mais je le vois plus comme un exercice de style que comme un synopsis. Assez motivé par le truc mais le truc en lui-même est relativement difficile à satisfaire

    votre histoire est, ça dit, imaginaire ou réelle, triste ou gaie, mais traitée de manière positive pour ne jamais susciter le désespoir


    puis en lisant ça je me vois dans un reflet fictif et je me dis hmm tu n’es pas vraiment du genre à ne pas susciter le désespoir.


    donc honnêtement je pense être totalement hors-sujet, comme souvent lorsque j’envoie des courts.

    hypothèse vis à vis du pourquoi du comment : je me sabote plus ou moins consciemment en envoyant des textes inadaptés aux concours ou appels à texte que je sélectionne pour ne pas avoir à échouer en jouant selon les règles. Je ne mets pas mon baudrier, quoi, selon ma propre petite métaphore personnelle.


    Peu importe, l’idée est forte, s’est imposée d’elle-même, c’est un signe. Au pire, je publierai l’histoire ici ou ailleurs.

  • 221008

    22 octobre 2008

    Je me demande dans le silence de ma tête close : qu’est-ce qui peut pousser les gens à travailler dans une entreprise spécialisée dans la vente (en ligne) d’accessoires pour le vin ? (ça c’est la version classe, la version neutre étant : tire-bouchons) Et avant que je puisse m’en rendre compte, le silence de ma tête vide s’est dépressurisé et je découvre un peu curieux que celui qui est en train de bosser pour cette entreprise, c’est moi ; apnée soudain brisée d’un rêve compact qui n’en est pas.

    Je passe donc mes trois premiers jours dans les locaux de Waw-vive-les-tire-bouchons.com.

    Précision : je ne vends pas de toner

    Supervisor : So, I think you’re ready to sell toner, do you have any last questions ?

    Phoebe : No. (Pause) Oh wait yes ! I do, I do have one question. What is toner ?


    et je ne suis pas obligé de porter de collants



    pour venir au bureau ; voilà déjà deux cauchemars fictifs récurrents de moins et autant de raisons pour ne plus trop craindre ce monde de l’entreprise. Reste ce je veux faire quelque chose d’utile pour changer que je balance au téléphone à Nico il y a un mois et demi, mais on ne peut pas tout avoir.


    Comme base : un contrat temps partiel de 21h réparties comme il faudra que ce soit réparti dans la semaine en fonction de la masse de travail avec laquelle je devrais jongler. CDD d’un mois qui pourra éventuellement muter en plus longue durée si je fais l’affaire. Je suis officiellement "assistant chargé de relation clientèle", ce qui veut dire que je réponds aux clients potentiels, aux clients exigeants ou aux clients en colère, par mail, chat ou téléphone. Je reste donc le cul vissé sur mon fauteuil pivotant, la tête dans l’écran et les yeux ailleurs.

    Premier jour exigeant pour moi qui n’ai pas vraiment eu d’activité professionnelle régulière ces derniers mois (années ? jamais ?). L’impression de regarder filer l’heure en mouvement lent dès trois heures de l’après-midi. Puis le deuxième jour déjà plus banal. Appris à faire ce que j’étais censé faire. Quelques petites choses à apprendre encore. Le gros du boulot consiste en réalité à donner l’impression de distribuer des informations qu’on ne possède pas. Suffit de prendre le coup de main. D’éluder les questions. De projeter une illusion d’amabilité.

    Je ne possède pas encore mon propre téléphone mais ça viendra. Arrivé ce matin en Colissimo. La semaine prochaine, me souffle mon supérieur, tu pourras commencer à répondre au téléphone. Je dis ok mais en vrai je pense un super... que je ne laisse pas filtrer. Pas que je n’ai pas déjà eu à prendre le standard pour dépanner. C’est déjà arrivé plusieurs fois, notamment lorsque mon supérieur est en pause. La joie de se retrouver face à une voix qui exige tel produit aux telles dimensions pour tel usage quand le site de l’entreprise sur lequel je pourrais fouiller à sa place se met à ramer grave. Joie.

    Grosso modo, on prend le coup de main. Ce n’est que trois jours par semaine, ça passe vite. Ce n’est pas quelque chose qui me passionne, tant mieux, l’objectif étant quand même de rester concentré sur Coup de tête et le reste. Prochaine étape : essayer de profiter de ma pause déjeuner

    Tu viens manger avec nous ?, y a un super japonais au coin de la rue tu vas voir. Répondre que non, c’est bon, je suis bien là, devant l’écran, avec ma salade-sous-vide-à-3€ et mon pitch-pépites.


    pour poursuivre mes corrections/relectures/réécritures de Coup de tête. Histoire de ne pas perdre la main. De ne pas me laisser distancer par le texte. C’est tellement facile d’y perdre pied, je ne tiens pas à tout reprendre encore.

  • 271008

    27 octobre 2008

    ...les trains après les bus et les trams ; en réalité la même chose, si ce n’est que le monde défile plus vite sur la voie d’à côté ou encore que la stabilité de l’habitacle me permet de lire sans avoir le mal des mots ; l’attente est la même, sur un quai en ciment ou devant la place chauve derrières les rues de Nuggets City ou derrière les lignes en braille au sol qui tatouent l’asphalte aux arrêts de tram ; les secondes sont les mêmes ; derrière les vitres sales du RER, la buée par dessus, les noms des gares au-delà floutés par la pluie, l’impression que la nature rend tout le monde myope le temps d’un aller simple au moins ; puis Breathe me me traverse les tempes et mes vitres sifflent mais sifflent mal et l’impression, Sia et les morts de Six Feet Under n’y sont pas pour rien, que mon wagon se remplit de larmes l’espace de trois minutes trente ; l’attente de tout à l’heure, un peu plus tôt, oubliée, évaporée comme mon train, supprimé dixit l’écran de contrôle, et ce gros sac de tôles que j’imagine percé comme une bulle entre deux voies, bulle de rien qui n’a jamais existé et moi non plus d’ailleurs ; j’y pense entre deux heures de mouvement-tire-bouchons ; j’y pense, profitant de la trêve souhaitable qui empêche les téléphones de sonner à nouveau ; je dis sonner comme une métaphore anachronique, car bien sûr rien ne sonne, mon écran se colore juste de cette annonce clignotée qui me rappelle que je dois faire semblant de l’entendre sonner avant de décrocher mon combiné fictif et d’étaler mon ignorance de tout sur tout ce qu’on voudra bien me demander à l’autre bout de la ligne ; puis retour traversé via la Gare de Lyon et quelques annonces filtrées, prises au vol au portable pendant que je trompe l’attente, pour Coup de tête : La voie de départ sera affichée dès que possible / La SNCF vous présente ses excuses / M. Machin est attendu au bureau d’accueil qui fait face à la voie, etc. ; ma journée symétrique se termine comme elle a commencé : le train suivant qu’on attrape parce qu’il faut bien, la nuit qui tombe déjà faute d’une heure en moins, des maux de têtes en buée sèche autour des yeux ; je regarde par la fenêtre pourtant et j’attrape tous les arcs électriques qui traversent les wagons défilants, puis les étincelles bêtement lâchées derrière qui crépitent ; le ciel est gris, les fumées d’usine n’arrangent rien ; dans mon MP3 à présent, ne se découvrent que des paroles du type I don’t want anything but you ou and darling I think of you, etc. ; ma seule perspective réjouissante pour la soirée (et celle-ci après s’être farci ma pile vaisselle d’hier négligée pour cause d’OM-PSG) : voir l’épisode 5 de la dernière saison de Desperate Housewives diffusée de la veille et téléchargée du matin ; je crois qu’il est temps que H. revienne : je n’aime pas trop ma vie de célibataire, ces jours-ci...


    Diana Krall - Day In Day Out - From This Moment On

  • 270109

    27 janvier 2009

    Fera aussi office de croquis #7

    1

    Train (aller) : la proximité d’une femme, face côté droit qui ne me rappelle pas Lisa Kimmel Fisher mais qui est Lisa Kimmel Fisher, ressuscitée-alléluia, sortie du ventre de la baleine qui l’avait digérée, un manteau mauve sur le dos, au bras (gauche) d’un banquier crânien et potelé (qui aurait pu croire qu’elle se marierait avec un tel individu, un cétacé lui-même, après la mort qu’elle a eu ?), genou droit agité sec sur sol dur et son alliance par dessus (signe que), menton pris sous son col et foulard couleur lagon calme, avant les premières vagues et la noyade qui découle.


    2

    La migraine sous-jacente, tapée depuis l’intérieur, qui ne demande qu’à sortir. Je sais bien que je suis à l’abri. Elle n’éclatera pas sous la tempe avant de quitter le boulot. D’abord se frotter les yeux sur l’écran. Il est quinze heures. Encore une heure trente à mélanger les mots et à ne plus savoir répondre aux voix qui s’agitent sous combiné. Encore une heure trente à dire ne vous inquiétez pas, oui tout à fait, frais de port offerts.

    3

    Les airs d’accordéon sur le quai Z, je ne vois pas le type qui. Je poursuis lentement, très lentement (savoure) les pages de Dans ma maison sous terre. Ses airs me relancent les tempes, la douleur migre doucement vers l’orbite (gauche), plus tard tombée sur le nez et les pommettes autour. Depuis quelques jours je pense à consigner quelque part (carnet ? fichier ? post-it abandonné ?) toutes les visions que je peux avoir et que je crains à l’intérieur, que j’esquive avant qu’elles puissent se produire, fictions quotidiennes d’images demi-paupières. J’appellerais ça Ce qui n’arrive jamais ou bien Livre des peurs primaires (si c’en est un). A l’instant où, cela correspondrait à :

    Les notes de l’accordéoniste pénètrent trop loin dans la chair, plus loin le crâne. Ses pieds bouffis longent le quai opposé, aller-retour-aller, son sourire travers affiché aimable. Un peu le huitième nain de blanche-neige égaré en sous-sol, édenté par l’avant. Il joue trop fort, trop près de moi. Je le pousse par dessus le rebord, peut-être avec le pied, la semelle, un coup de rotule gauche-arrière et projeter le nain sous les rails, un dernier accord peut-être comme simple chant du cygne. Peut-être que le train arrive et que le nain craque. Ils m’arrêtent. Me laissent croupir. Retracent le contenu de ma journée sur papier punaisé au liège, accroché au mur. Ils disent : voyez, voyez ça ? Je ne vois rien. Il me demande vous faisiez quoi ? Je lisais. Je leur montre le livre, Dans ma maison sous terre, ils s’intéressent, mais pas assez pour tourner les pages. Peut-être que c’est le livre qui m’a donné l’impulsion, l’envie de mort. Peut-être. Ils vont attaquer Chloé Delaume en justice parce qu’ils le peuvent. Je me dis, pourquoi pas, ça lui fera de la publicité. Et la mienne également. Mais non. Je sens mon pouls pris sous poignet gauche, ça n’arrivera jamais.


    4

    Train (retour) : cette femme devant, d’accord je ne la connais pas, ni ne reconnais personne à travers elle, mais je me fais la remarque, je punaise une note interne au revers du crâne, cette femme, je me dis, c’est la première femme, la première, qui puisse à la fois projeter par dessus elle des âges aux diamètres opposés, tel que quinze et quarante, par exemple, et je la regarde comme je le pense : une femme de quinze et quarante ans à la fois, l’œil vide et le manteau noir, son duvet chauve sur lèvre supérieure, quinze-quarante, impossible de savoir, impossible, on ne saura pas.

    5

    Train (plus tard, dans la foulée de) : immobilisé entre deux gares, le conducteur déclare qu’il vaudrait mieux ne pas ouvrir les portes en pleine voie, les râles agacés et les tics nerveux des bras tout contre. Entre un tunnel et un pont, le noir du dehors c’est en fait dedans. Il est possible que, ça se pourrait si, il suffirait de et le wagon explose, une bombe quelque part, le jaune et la suie éclatés sur les murs du tunnel, les corps éparpillés, on s’échangerait les membres. Mais mon pouls toujours pris sous poignet gauche, non, ça n’arrivera jamais.

    6

    Emmuré chez soi, la migraine dans le noir de la chambre. Le noir ne calme pas, le silence n’apaise rien. Il affine la perception : on se rend plus compte. On sent mieux. La douleur, peu importe, mais l’esprit monopolisé, l’incapacité du sommeil, c’est ce qui gêne, précisément. La solution : l’écran, la couleur de l’écran, un film où l’on pourrait se perdre, léger si possible, marrant si besoin. Puis dormir, dormir plus tôt qu’un autre soir mais ne pas y sacrifier sa soirée, ne pas s’emmurer derrière.


    7

    On-dit : la date du jour (la date d’hier) consacrée journée de la dépression annuelle, le jour le plus propice à, le plus approprié pour. Moi ce jour, je me suis juste dit et si, j’ai juste essayé de faire taire en moi ce qui rayonnait, j’ai juste fait putain y en a marre, et puis : vivement demain, et tant qu’à faire vivement jeudi.

  • 210112

    21 janvier 2012

    Nate Fisher (Peter Krause) dans la série Six Feet Under

    Je l’ai tenu cette semaine, mais tu crois que je pourrais écrire une entrée Journal chaque jour sur la durée ? Certains le font, ou l’ont fait par le passé. Mais ça ne me dérange pas de pratiquer l’aléatoire. On n’est pas à l’abri de ces semaines éteintes où non seulement on n’a trop rien à dire, mais où surtout on ne vit rien, ni dehors, ni dedans.

    Même sans neige, le Janvier fond. Vingt-quatre heures avant retour fictif dans les ruelles de Ciudad Juarez via le Monde et découverte, audio, d’un portrait croisé Super Mario / Edgar Poe, déjeuner avec H. rue Montmartre. Entrée avant pizza et fraîche : Mozzarella burrata fondante. Je ne prends pas en photo.

    Et puis quoi, les soldes ? Je casque cash et des milles et des cents. Achète pastille verte un manteau rouge qu’il me faudra trouver les couilles de porter dans la vraie vie (l’humaine). Puis plus loin costume noir, cintré noir, chemise noire, taillée slim, pour obligations dites professionnelles. D’après H. je ressemble, le machin sur le dos, non griffé De Fursac, à un Fisher & sons.

  • 110913

    11 septembre 2013

    Depuis quand j’avais pas mis les pieds dans un magasin de sport ? Des pompes des fringues des trucs pour courir bois de Vincennes, faire baisser les 82p d’hier. Courir : comme mon père comme mon frère, comme Nate pendant Six Feet Under.

    Le soir chercher boulevard Sebastopol quelque chose quelque part pour faire une impression papier, finir dans le hall d’un hôtel je sais pas quoi, rentrer déçus, seuls mais plusieurs.

    Seb Ménard dit cette phrase : je lis plusieurs journaux en ligne — et cette impression — celle de connaître la personne qui est là (c’est faux bien entendu). Pareil. Je lis des voix muettes qui parlent à haute, les yeux fermés, dans des coquillages frêles tous les jours tous les jours. Et moi je les connais pas bien sûr, mais je les écoute ça ouais.

  • 150913

    15 septembre 2013

    Le crash de la PS3 a condamné un DVD de Six Feet Under. Au cours des épisodes 306, 307 et 308, Lisa et Nate partent camper en montagne, David et Keith font du paintball et des threeways, le père de Brenda meurt, Ruth et Arthur se tournent autour, Claire sculpte des termitières (entre autres). Besoin d’un tournevis torx 10 pour ouvrir le capot et chercher mon machin.

    Confectionné l’epub bilingue d’Hamlet pour usage personnel. Rien de très compliqué à faire, aucune finition faite ou harmonisation des styles, m’en tape. Veux juste que ce soit bien lisible. Parti de la version gratuite du texte anglais sur Feedbooks auquel j’ai intercalé, entre les feuilles .xml (une pour chaque scène) d’autres feuilles .xhtml comprenant la scène correspondante en français. Utilisé Sigil. La version que j’ai choisie correspond au second Hamlet traduit par Victor Hugo disponible gratuitement sur Wikisource. Pour ceux que ça intéresserait, le fichier est librement récupérable. Une lecture pour demain.

    Concernant l’Avrocardyl, quelques effets secondaires de type sensation dans les côtes et thorax, ok, mais limités et dans l’intensité et dans le temps, pas de sternum comprimé ni de torse qui pèse.

  • 060115

    23 janvier 2015

    Que sait ce type de l’Afrique, se demanda le psychiatre pendant que l’autre, boulangère d’Aljubarrota du patriotisme à la sauce légionnaire, s’éloignait en puissant de petits cris indignés et en promettant de lui réserver un réverbère de l’avenue, que sait ce quinquagénaire imbécile au sujet de la guerre en Afrique où il n’est pas mort et n’a vu personne mourir, que sait ce crétin des administrateurs de brousse qui enfonçaient des glaçons dans l’anus des Noirs qui leur déplaisaient, que sait ce couillon de l’angoisse de devoir choisir entre le dépaysement de l’exil et l’absurde stupidité des tirs sans justification, que sait cet animal des bombes au napalm, des jeunes filles enceintes passées à tabac par la PIDE, des mines qui fleurissent en champignons de feu sous les roues des camionnettes, de la nostalgie, de la peur, de la fureur, de la solitude, du désespoir ?

    António Lobo Antunes, Mémoire d’éléphant, Points Seuil, traduction Violante do Canto et Yves Coleman, P. 46

    Quelqu’un dit il fait moins froid que ce matin. Ce matin il faisait dans les un. J’ai oublié qui a écrit cette phrase qui dit en substance qu’il faisait si froid qu’à chaque expire c’était comme assister à la fin du conclave. 1 Une fois dehors, croiser Mark Greene devant des montres à dix mille balles. Il marche seul sous un anorak noir à capuche et il clope de l’e-clope avec sa bouche : c’est Mark Greene même s’il est mort il y a plus de dix ans, même si Mark Greene est le nom d’un personnage de fiction, même si quinze milles personnes réelles s’appellent peut-être réellement Mark Greene. Plus tôt dans la journée : Marguerite Duras assise en terrasse d’une brasserie au nom de singe, deux yeux des grosses lunettes éberluées. Croise souvent Nate Fisher il est mort lui aussi. C’est comme ça. Parlé une bonne partie de la nuit de Grisélidis Réal avec Lou Sarabadzic. Un jour, il faudrait raconter où et comment j’ai rencontré Lou Sarabadzic. En marchant j’ai des livres partout sur et autour de moi. Dans celui qui dit la phrase Plus on connaît les hommes, plus on apprécie les appareils électro-ménagers, je plonge dans la page une étiquette cartonnée qui dit

    SOIN À APPORTER
    AU PRODUIT

    et quand je boucle la boucle du jour et que j’arme la serrure d’une porte qui n’est plus tout à fait ma porte, c’est pour entendre brinquebaler le feu, criqueticher les mâchoires et les yeux. Je respire.

    Je t’aime tellement que je ne sais pas t’aimer, j’aime tellement ton corps et ce qui en toi n’est pas ton corps que je ne comprends pas pourquoi nous nous sommes perdus si à chaque pas je te rencontre, si chaque fois que je t’ai embrassée j’ai embrassé plus que la chair dont tu es faite, si notre mariage est mort de jeunesse comme d’autres meurent de vieillesse, si après toi ma solitude s’emplit de ton odeur, de l’enthousiasme de tes projets et de la rondeur de tes fesses, si je suffoque d’une tendresse que je ne réussis pas à exprimer, ici en ce moment, mon amour, je te dis adieu et je t’appelle en sachant que tu ne viendras pas et en désirant que tu viennes, de la même façon que, comme dit Molero, un aveugle attend les yeux qu’il a commandés par la poste.

    Ibid.

  • 100315

    2 avril 2015

    Dans L’enfance politique, Noémi Lefebvre cite des répliques tirées de Six Feet Under. Pour l’avoir vu X fois, pas besoin d’être contextualisé pour que je sache : ce que c’est, d’où ça vient, quand c’est dit, dans quelles circonstances et par qui. Il y a quelques semaines, passé les cinq saisons à L. qui m’a dit, par écrit, il y a quelques jours, je suis à l’épisode pilote, j’hallucine (mais dans le bon ou dans le mauvais sens ?). Comme souvent quand je lis un bon truc, je me dis faut l’envoyer à V. Ce que je lis je le lis sous l’afflux d’un son qui dure 21 minutes et qui s’appelle Repeating History for piano : comparable au travail de recomposition de Max Richter sur les Quatre saisons ? Comparable à notre propre travail de réécriture des classiques ? S’agissant de Morphine, par exemple, je crains d’être trop sage, de ne pas aller au cœur des choses pour les réencoder, précisément ce que fait Jeroen Van Veen.

    Quelqu’un dit j’aimerais bosser à la DGCCRF. Vivre c’est quoi ? Une carte postale au kiosque pour y écrire trois mots qu’il aurait fallu crire, déjà, dix jours plus tôt (1€). Numéro 1 de Society 2 et taper sur la vitre en plastoc (3.90€). Combien ça pèse une demi-page de pub dans Society ? Évariste c’est vraiment un bon livre ? Ce que la pub te vend, c’est le corps du bonhomme, pas le corps de sa langue.

  • 230615

    9 août 2015

    L’inconnue est sur le lit. À travers des scènes sans amour (corps plats, objets sadomasochistes, cachets et grimaces de chômeurs) tu arrives au moment que tu nommes l’automne et tu découvres l’inconnue.

    Roberto Bolaño, Prose de l’automne à Gérone in Trois, Christian Bourgois, traduction Robert Amutio, P. 16

    Refaire limer des dents encore. C’est arrivé hier. Inside job à cause de la sérendipité cathodique, troisième ou quatrième, j’ignore à quoi ça tient, j’aime ce film. La journée en Belgique, réunion d’une heure trente. Le reste du temps, un train, un taxi. Le chauffeur parle de cyclisme, il me dit : Tom Boonen. Dernière fois que je viens dans ces murs, que j’enfile les chaussures de sécurité pour traverser l’usine, que je frôle le long des chaines de production la matière mise en fonte, que je sens la texture du plastique rejetée hors des moules. N’ai rien dit à personne. À propos de mon départ n’ai rien dit à personne. Fait mon truc. Nous sommes dans une toute petite salle face aux pluies. Je fais mon truc je dis notre objectif c’est de rester en-dessous d’1 %. J’entends Paris parler dans l’haut parleur du Skype. Pour 2016 l’idée c’est d’automatiser la saisie des requêtes pour ne pas augmenter les coûts en personnel. Je prends des notes dans un carnet orange avec un stylo noir à carreaux. Sur la route du retour, deux personnes ont installé des chaises de jardin dans leur garage, portail ouvert, tournés vers l’extérieur : regardent la nationale 3.

  • 030316

    3 avril 2016

    Par hasard le pilote de SFU. Combien de fois je l’ai vu et pourtant des trucs neufs. Chaque personnage est typiquement lui-même, déjà, poussé dans ses retranchements, dans ses névroses, et chaque réplique, chaque, est une manifestation de lui-même. Plus tôt dans la journée quelque chose m’est venu : c’était une information sans aucune importance qui m’avait été communiquée au cours d’un rêve et que j’avais prise par erreur pour une réalité. Avant cette scène où des morts jouent au carte en sous-vêtements, j’ai envoyé cette liste de mots par email afin qu’ils soient lus : Courbet, la colonne Vendôme, réalisme sale, Tikrit, une femme en Russie, un poulet entier, l’économie politique du zimbabwe, la ville de Providence, cité des joyaux en plastique, Harare, les mouvements de résistance, le Omar Saeed Quintet, Pantalons baissés dans l’insurrection, Raymond Carver, voyage en Italie, manifestation antiguerre, divorce.

  • 100316

    11 avril 2016

    Déraillé près des bris de ces branches qui ont chu, des cosses prises sous l’écorce, des bourgeons jamais nés. Les pneus sont mous, tant mieux (du verre cassé et mietté là). Des sous-dossiers, l’arborescence : Associés, AGE... Squatte pas mal en ce moment. Plus tard quelqu’un dira was that the point where you called him a greedy nazi fuck ?

  • 110316

    16 avril 2016

    C’est des jours éprouvants. Ici sur un toit blanc des escaliers longs, un labyrinthe dit-elle. Publie entre officiellement dans sa configuration actuelle, qui n’est donc plus celle d’avant-hier. Il faut que j’aille courir deux tours, j’ai la tête qui explose non mais littéralement. 28’35, 4km, sur le son de mes propres respirs. Cette fois-ci ça n’aide pas mais au moins je me dis tu as fait ce qu’il fallait faire. Il y a sur l’île des chats des chats qui miaulent des hurlements. Avant de partir j’ai consulté les heures du soleil et de la nuit pour savoir : j’ai fini dans la nuit. Je regarde, shooté jusqu’à la moelle, des trucs que j’ai déjà vu cent fois. We live, we die. Ultimately, nothing means anything.
    — How can you live like that ?
    — I don’t know. Sometimes I wake up so fucking empty I wish I’d never been born, but what choice do I have ?

  • 200416

    21 mai 2016

    Cette très belle scène dans la saison trois de SFU : Lisa se fait masser par Brenda sans lui dire qui elle est. Dit comme ça, on a l’impression que c’est du soap. En réalité c’est très clair. Précisément ce que la journée n’a pas été, claire. C’est ce que je dis à quelqu’un après la conférence de Baptiste Morizot sur la diplomatie animale au musée de la chasse. Il y a un musée de la chasse. C’est rue des archives. Discuter avec Thierry pour le retrait de ses textes du catalogue. J’aime bien Thierry mais perdre du temps comme ça m’envenime. Ça me rend con et chiant. Donc nous retirons ses textes du catalogue, c’est mieux comme ça car on ne se comprend pas, on n’est pas sur la même longueur d’ondes, et sans doute qu’on ne veut pas la même chose. Passer du temps à ça m’empêche de terminer un article pour Rue89 sur les fictions web où il est précisément question, entre autres, de 1 minute. L’heure d’après tu te retrouves à vouloir envoyer un certain nombre de bouquins au Canada et c’est tout un binz là encore, le poids, la taille, la déclaration de douane, le code prévu par les autorités douanières (il y a des autorités douanières) correspondant, eh bien, au livre, appeler les autorités pour ça, attendre sur la bande enregistrée exprès pour qu’on attende dessus, attendre encore, parler au type, se faire raccrocher au nez après quatre secondes, trouver l’info ailleurs finalement et puis revenir quarante fois sur le même écran pour corriger des trucs, finir par finir, imprimer le machin, le coller, passer à la Poste avec ledit colis, se le voir refuser par quelqu’un, quand bien même le truc est validé, imprimé, facturé semble-t-il 4, le pays est inconnu (le Canada c’est inconnu), revenir avec ton colis énervé, appeler Colissimo, attendre un certain temps, tomber sur quelqu’un qui t’explique que le service clients aux entreprises a fermé à 18h, qu’il est 18h30, que là c’est le service clients aux particuliers, que tu n’es pas un particulier, qu’il faut rappeler demain 5, et Baptiste Morizot qui dira à un moment donné que la vie lupine est assez shakespearienne, je veux bien le croire. Je suis sur une liste d’attente et j’attends. Une interminable perte de temps qu’aujourd’hui 6.

  • 210416

    21 mai 2016

    Bloqué dans un gigantesque grand magasin en forme de pagode. Il y a des issues de secours et des escalators mais rien qui mène nulle part. Je cherche un lien vers l’extérieur. Quelque part on nous dit de quelqu’un qu’il ou elle prend pour sa santé mentale des proleptiques et des analeptiques et je réfléchis au sens des mots qui gisent cachés sous ces médicaments. Rendez-vous annuel au cabinet neurologique 7. Donc reprendre des médocs. Un nouveau truc pour les zones de dix jours qui s’agrègent : la douleur va par zone de dix jours à peu près. Même chose des périodes intenses dont je sais à l’avance qu’elles risquent d’être dures, sensibles. Traitement de fond à pas prendre tout le temps. Ça me va. Laroxyl ça s’appelle 8. Léger, sortir de ça. Comme si c’était une perspective de bonheur que ces trucs (ça peut l’être). Comprends ce que ça veut dire quand on dit d’un médecin qu’il ne soigne pas que (voire pas du tout) une maladie mais le rapport que quelqu’un entretien avec sa maladie. Je ne sais pas si c’est une maladie. Mais ça conditionne beaucoup de choses. Par exemple l’irritabilité. Genre beaucoup. Ce matin ce machin qui s’intitule Une nouvelle recherche révèle que se plaindre vous rend littéralement malade et vous tue à petit feu. Et écouter ceux qui se plaignent équivaut à se plaindre soi-même. Alors, tant qu’à faire, autant se plaindre soi. Emporter tout le monde avec nous. Ailleurs une pub pour un jeu free to play : Ceux qui jouent à ce jeu ont oublié la réalité. Je dépose La Tendresse. Je lis du Boutonnier. Prince est mort 9. Il existe une Fantômas SARL. Brenda dit I’m sick of being so fucking conscious all the time. It’s like I’m this incredibly boring, watered-down version of myself. J’ai le temps de poser devant moi une image de ce qu’un texte pourrait ou devrait être. Je prends ce temps toujours. J’avance dans cet article Rue89. J’en chie mais je suis, oui, content de ça.

  • 110419

    12 mai 2019

    Il paraît qu’il ne faut pas couper sa salade avant de la manger (ça ne se fait pas). Mais moi, à chaque fois que j’utilise l’essoreuse à salade (qui fait peur à Poulpir, mais c’est un autre sujet), je pense à ma grand-mère qui utilisait un genre de truc manuel et métallique pour l’essorer, de préférence devant la maison, dehors, en Haute-Loire. Et si je retourne une deuxième fois chez l’opthalmo en moins d’une semaine c’est à cause d’un antécédent de glaucome dans ma famille, précisément chez ma grand-mère, encore que ce soit cette fois mon autre grand-mère (c’est une histoire de grand-mères aujourd’hui). Le médecin est moins loufoque que vendredi dernier, encore qu’elle me prescrive un autre collyre qui rend les yeux rouges à la place de celui qui rend les yeux aoutch (elle le savait que ça faisait mal et elle a tenté le coup quand même, ah ah, qu’est-ce qu’on rigole en ophtalmologie). Là, elle aurait préféré que je sois informaticien pour réparer son scanner, et d’ailleurs c’est où la touche fab ? Je crois que ça se dit tab. Bref, pour elle tout va bien, alors même qu’elle m’explique qu’il y a un truc dans le blanc, là, à surveiller, et aussi que les données de l’œil droit, elles sont pas exploitables, malgré de longues minutes passées à voir s’articuler dans un scanner des formes dignes des meilleurs shoot them up 8 bits d’antan, ici à base de lignes rouges et de croix vertes. Derrière, on n’y voit plus rien à cause des litres de gouttes qui dilatent la pupille grave et qui fait que tout brûle froid, je saurais pas mieux le dire. Aussi, une douleur est venue dans l’œil droit alors je déclenche le chronomètre pour voir si elle s’éloigne ou si elle se rapproche (c’est mitigé) car j’ai besoin de ça en définitive : de données factuelles qui me permettent d’être moi le plus froid de nous deux, et de prendre des décisions en conséquences, dépassionnées. En 6 h 30 de chronométrage et de pupille dilatée, j’ai pointé 80 tronçons différents, avec des rythmes très réguliers (une seconde de douleur toutes les quatre ou cinq minutes, puis toutes les trois, et deux minutes pendant plusieurs heures), puis plus espacés (quatre, six, quinze, vingt, trente minutes), signe que ça s’éloignait de moi. Et c’est comme de mesurer l’orbite d’un corps astral autour d’un autre ou alors les tours effectués par un coureur de fond autour d’une piste, en définitive. Pendant que je fais ça, je ne peux rien faire d’autre que lire, relire, ça tombe bien j’ai beaucoup à faire dans ce domaine, par exemple cette suite d’essais courts de Jacques Ancet absolument remarquable, et je pense essentielle à notre cheminement critique (quand bien même nous ne sommes pas de la même génération, et n’avons pas les mêmes points de références textuels, encore que). À un moment donné :

    (...)si comme le rappelle Octavio Paz, la clef de voûte de l’analogie n’est plus, à l’époque moderne, l’infinité divine qui donne sa cohérence à la Divine Comédie, par exemple, mais un abîme énigmatique, elle est, pour le texte, une réalité non dépourvue, elle non plus, d’une énigmatique profondeur : celle du corps.  

    J’ai failli annuler nos retrouvailles au Pouchla avec T. après des mois sans à cause de cette histoire d’œil ou d’yeux, ce ne sera pas le cas finalement, et il sera question du noir qu’on broie, de Flaubert et du mépris, de la chasse aux alligators dans les égoûts de V, de Minuit aujourd’hui et hier, de l’avant et de l’après, de Claro, d’enceintes bluetooth, de Nate Fisher et de Jimmy McNulty, des choses qui sont ou non mainstream (liste non, mais alors méchamment non exhaustive).

  • 070819

    7 septembre 2019

    Chère Madame, Cher Monsieur,

    Lorsque je travaillais chez STAT, j’avais souvent affaire à vous, pourtant on ne s’est pratiquement jamais parlé directement. Ceux qui s’adressaient alors à moi, comme aujourd’hui je me retrouve à m’adresser à vous, n’arrêtaient pas de me dire des trucs comme je vais en référer à 60 Millions de consommateurs  ! Quand ils ne vous mettaient pas directement en copie de nos échanges. Ça ne m’empêchait pas de faire mon travail. Une fois ou deux, j’ai eu l’occasion d’échanger directement avec vos services, et si j’ai oublié comment ces trucs se sont soldés je crois me souvenir que nos courriers étaient courtois. C’est déjà beaucoup dans ce monde tourmenté. Là, si je vous contacte à présent, c’est que ça me concerne directement. J’ai envie de dire personnellement. Voilà maintenant une dizaine de jours que j’envoie des courriers de réclamation tout azimut, au rythme d’un par jour environ, et je suis fatigué. Fatigué de la situation dans laquelle je me trouve. Fatigué d’une forme d’insatisfaction dévorante qui dure depuis des semaines. Fatigué enfin de constater qu’en réalité ces courriers, je ne les envoie pas à des entreprises, peu importe leurs errements à mon égard, mais à moi-même. Comme on dit dans les reportages télévisées censés s’adresser au plus grand nombre (or donc à personne en définitive), c’est là que le bat blesse. J’aimerais concevoir la vie autrement que comme un service qui devrait m’être rendu et dont je m’estime lésé. Ou, pour le dire autrement : si tu conçois la vie comme un distributeur dans lequel tu mettrais de la bonté dans l’espoir d’en retirer du bonheur, tu risques d’être déçu. Est-ce cela que je fais quand j’écris à d’autres que quoi que ce soit est intolérable ? Est-ce cela que je fait quand je pense ? Et quand je pense que je pense, je fais quoi ? Par exemple, quand je pense que j’ai mal, j’ai mal. Ca doit porter un nom cette histoire. Là, j’en suis à J + 3 d’une migraine qui s’étend, comme souvent, sur quatre jour. Il y a le jour J, avec une douleur estimée, sur une échelle allant de 0 à 10, à 4. Suite à quoi tu prends quelque chose, ici 1g de paracétamol caféiné (inefficace) et 1mg d’anti-inflammatoire. Ça passe. Quoi qu’on redoute à l’instant t de la douleur, ça passe toujours. Derrière, le jour J+1 est presque un jour normal. Comme toujours, j’ai envie de dire. Et puis, comme toujours là encore, le J+2 est le plus rude, avec un retour de la douleur, une réplique de la crise initiale ou alors une douleur de rebond comme certains disent. Comprendre que si la douleur a commencé à gauche, le rebond sera à droite. C’était le cas hier, on en viendra à bout sans violence avec beaucoup de glace et un maté très fort, pour une douleur estimée à 2, toujours sur une échelle allant de 0 à 10. À J+3, c’est plus diffus encore, de l’ordre du 0 ou du 1. Et puis, si tout se déroule comme d’habitude, demain ce sera bon. C’est long quatre jours. Mais c’est moins long que cinq. Ou douze. Il faut prendre les choses comme elles viennent. Il y a, bien sûr, parfois quelques variantes. Un triptan aurait été plus efficace au jour J, mais ça aurait tiré sur le nerf optique à J+2. En revanche, le J+3, je ne l’aurais pas senti. Là, ça a tiré sur le nerf d’Arnold et non le nerf optique, et c’est plus long. Est-ce grave ? C’est grave peut-être pour quelqu’un qui a des exigences de rentabilité envers les médicaments qu’il consomme, ou du temps qu’il passe à réguler ses crises. C’est grave si on conçoit la vie comme un achat qu’on ferait quelque part et dont on ne serait pas, pleinement, satisfait. Vous savez ce que j’ai fait aujourd’hui ? Je me suis levé de ma chaise et je suis allé acheter une cafetière. Comment se fait-il que ma réaction primaire dans ce genre de situation, ce soit d’acheter un truc ? En plus, je ne bois pas de café. Pourquoi ? Je n’attends pas que vous répondiez à cette question. Si je l’ai fait, c’est comme tout finalement. Pour réguler la douleur. Et ça vaut certainement un clou de plus dans le cercueil de l’âge adulte, je crois. Est-ce que ça va marcher ? Qui sait. Mais si ça ne fonctionne pas, je ne prendrai pas la peine d’écrire à qui que ce soit pour m’en plaindre. Pourquoi ? Car à mon retour, je suis passé par le local des boites aux lettres de mon immeuble, machinalement. Tout simplement pour relever le courrier comme quiconque le ferait à ma place en fin de journée. En entrant dans ce local, le long de mes pensées automatiques qui bombardent tout un chacun lorsqu’il effectue, à son corps défendant, des tâches du quotidien sans y réfléchir outre mesure, je me suis dit la chose suivante : attends, je suis en litige avec quelqu’un ici ? Dans le local des boîtes aux lettres. Je crois que c’est un signe. Le signe que je dois en terminer avec ma série de courriers de réclamation. Ai-je gagné quoi que ce soit ? Oui, sans doute. La SNCF m’a proposé un dédommagement 10, la marque de pizza un bon d’achat 11, la marque de crème solaire le remplacement deladite crème solaire 12. Ce n’est pas rien. Suis-je satisfait pour autant ? Non bien sûr. Et j’ai fait perdre du temps à bien des gens avec mes histoires... Du temps qui pourrait être mieux employé, par exemple à résoudre des litiges plus importants encore auprès de consommateurs dans des situations plus précaires que la mienne, possiblement aidés par vos services d’ailleurs. Mais vous savez ce qui m’étonne le plus dans les échanges que j’ai pu avoir avec ces personnes, notamment téléphoniques (car des appels ont eu lieu) ? C’est qu’à aucun moment personne n’a jamais sourcillé devant l’incongruité des courriers que j’avais pu leur envoyer. C’est comme s’ils n’étaient même pas là. À leur place, chez STAT par exemple, j’aurais eu un mouvement d’arrêt. J’aurais hésité un instant. J’aurais fait un commentaire peut-être. Peut-être même que j’aurais ri. Là non. C’était normal. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce que ces courriers sont examinés par mots clés. Je ne dis pas qu’il y a nécessairement des logiciels qui font ça (encore que, ce ne serait pas non plus très étonnant). Je dis que, humainement, ces employés, qui étaient tous charmants avec moi, courtois, ont examiné mes courrier en relevant uniquement les informations qui les concernaient. Motif, dédommagement demandé, contexte, laps de temps, ton, menaces, agressivité, oui, non, passer à autre chose. Moi, chez STAT, j’aurais été un lecteur de ces lettres. J’en aurai mesuré le potentiel narratif. Là non. Sans doute ça vient de moi. Et peut-être que j’attends trop de chose de l’écriture. Si j’étais moi-même un produit, croyez-vous qu’on pourrait me retourner au service après-vente pour défectuosité ? Je crains d’avoir dépassé ma durée de garantie, à moins bien sûr que je sois garantie à vie, ce qui n’est pas sans poser problème dans le droit français car, comme vous n’êtes sans doute pas sans l’ignorer, il y a un flou juridique sur ce que recouvre le concept de vie. Est-ce celle de l’acheteur ou celle du produit ? Non, je crains qu’on m’expertise et que le verdict soit sans appel : il faut changer les deux nerfs d’Arnold, les yeux, et peut-être une ou deux coutures à reprendre ici ou là. A-t-on encore les pièces d’origine ? Non. On a arrêté de produire les pièces détachées pour cette série-là. Quoi faire alors ? Acheter un nouveau produit. Rajeunir tout ça. Et voilà. Cette histoire s’arrêterait ici. Alors, que me reste-t-il à faire ? Boire du café. Vivre dans le présent. Sans attendre quoi que ce soit, jamais, de rien, nulle part, ni de personne. De cette manière, on n’est jamais déçu. C’est un remède contre l’insatisfaction. Et attendre que le temps fasse son œuvre. Vivre, quoi. Ne pourrait-on pas écrire un courrier de plus, juste un ? À qui ? Pourquoi ? Cette histoire de garantie à vie me ramène inévitablement à la spiritualité. J’imagine que pour celles et ceux qui croient à une vie après la mort, ou à la transmigration de leur esprit, ou à une forme de transcendance X ou Y, cela équivaut à un genre de garantie à vie de leur âme. J’ai beaucoup de mal à m’y résoudre. M’en remettre à la spiritualité, c’est comme sur Facebook : c’est compliqué. J’imagine qu’à mes yeux, la cessation de la souffrance, c’est un objectif à atteindre dans cette vie. Pas au-delà. Autrement, ce n’est juste pas acceptable. Et voilà que je reparle encore en terme d’entreprise et de satisfaction, preuve qu’on n’apprend jamais rien de nos erreurs et qu’on ne progresse pas, car fondamentalement rien ne change vraiment. Et, je suis désolé de vous le dire, mais je crois que c’est le fin mot de cette histoire de courriers.

    Bien à vous,

    GV

  • 070919

    7 octobre 2019

    35 minutes autour du lac à courir dans la blancheur phosphorescente des allées blêmes là-bas. Même quand le soleil est pâle le sol réverbère grave la matière même de ça, la lumière. Il faut en passer donc par des sous-bois minuscules et montant pendant grosso modo 5km. Je n’ai pas mes lunettes de soleil. Fuck. Derrière, le sel que c’est les lèvres quand les sueurs confluent jusqu’à la bouche. J’apprends que le signe | porte un nom : pipe. Je termine de recopier les extraits cornés du Traité des couleurs dans l’herbier d’Après tout, qui s’appelle toujours, pour l’heure, Après tout, mais qui se dirige lentement mais sûrement vers Chiasma, que je préfère finalement à Chiasme à (vraiment trop pédant). Quant à Grieg, je crois de plus en plus à l’option d’un titre aléatoire, avec différents niveaux d’aléatoire pour imprimer un genre de rareté des titres (un titre vraiment secret qu’il n’y aurait qu’une chance sur mille de tirer). Douce idée. Mais nos idées, même les plus belles, ne sont que le fruit d’une sorte de recyclage continuel des pensées et des œuvres d’autrui. Précisément, dans Grieg, ce passage dont j’avais oublié l’existence et que je trouvais si fort il y a quelques jours, je viens de réaliser qu’en réalité il découle d’une chanson que j’ai dû écouter un million de fois, et qui s’appelle « Waiting ». On l’entend à la fin du pilote de Six feet under et certes ce n’est pas un chef d’œuvre mais c’est une belle chanson. Je n’ai jamais dû prêter plus que ça attention aux paroles jusqu’à aujourd’hui mais là si. Et ce que cette chanson raconte, dans les grandes lignes, c’est ce passage de Grieg. En soit, je m’en fiche un peu, je suis juste admiratif de voir comment la construction des pensées s’opère quand on écoute d’une oreille une chanson pendant des années sans jamais l’avoir réellement entendue, mais que notre subconscient si. Là, en cherchant une cafetière à pas cher dans cette brocante qu’il y a rue ou boulevard de Reuilly, je réalise mon erreur. Ce n’est pas une brocante. C’est le forum des associations. Ils ne vendent pas de cafetières.

  • 071219

    7 janvier 2020

    Je cherche une métaphore qui soit juste et douce à la fois. Je parle de la douleur. Fondamentalement, je parle toujours de la douleur (sauf quand c’est elle qui parle à travers moi). La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est : un incendie. Non, une étincelle. Comme dans la chanson d’Étienne Daho. Une étincelle qui se produit au milieu d’une flaque d’essence, l’essence brûlera autant qu’il y aura de combustible à brûler. Eh bien là, disons qu’avant septembre je me nourrissais d’essence. Depuis, je ressens des douleurs sèches, des étincelles donc, pas toujours suivies d’effet. Et, lorsque c’est le cas, comme hier, c’est un incendie autrement plus localisé et étouffé que d’habitude. L’autre chose à laquelle je pensais dans le noir, ce sont des cordes. Un instrument à cordes. N’importe quel instrument à cordes. Si l’une vibre, on peut la saisir pour l’étouffer, et en éradiquer le son. Mais en faisant ça, qui sait si nous n’allons pas frôler voir heurter les cordes voisines, et donc déclencher d’autres vibrations, d’autres sons, d’autres accords ? Voilà nos médicaments. Mais si l’on ne fait strictement rien, ou disons plutôt le moins possible, combien de temps cette corde va-t-elle continuer à vibrer d’elle-même ? Qui peut savoir si aucune mollécule a réellement un effet sur quoi que ce soit puisque nous ne pouvons pas comparer deux fois le même moment dans le temps ? Une fois qu’on a pris quelque chose, ou qu’on s’est abstenu de rien prendre, on ne peut plus revenir en arrière et faire le cheminement inverse. Le plus souvent quand je prends un médoc et que la douleur se dissipe, je ne me dis pas que j’ai bien fait d’y remédier mais que, la douleur se dissipant, j’ai pris des anti-douleurs pour rien. Voilà de quoi sont tissées mes pensées. Je reste dans le noir. J’écoute des fictions au kilomètres. Polidori, La promenade des envahisseurs, Boileau-Narcejac. Adolescent, je lisais Boileau-Narcejac. Moins de dix ans plus tard, à la fac, l’un de nos profs prononcera ce nom à voix haute, et je réaliserai qu’il s’agit de deux personnes différentes, et qu’ils écrivent en tandem, ce qui est assez rare. Je venais de découvrir qu’un auteur écrivant de la littérature dite jeunesse, ou de genre, pouvait également être cité dans un cours d’histoire littéraire à l’université. Je n’avais jamais entendu parler des Diaboliques, a.k.a Celle qui n’était plus. Là je l’écoute. C’est très bien. J’ai ouvert un fichier quelque part que j’ai nommé tout. J’y écrirai à la suite les trucs de la journée, journal, pas journal, fiction, tentatives, prises de notes, etc. C’est kafkaïen, mais kafkaïen au sens propre. Comme ça, je n’aurais pas besoin de lancer aucun écran qui soit, de faire lever aucun gramme de grésil, et d’attiser aucune douleur. Ma théorie se confirme : sans aide extérieure, par exemple chimique, la douleur suit le même cheminement qu’avec. C’est juste un petit peu plus long. J’en suis venu à considérer avec suspicion toute forme de médication. J’ai l’impression qu’on m’empoisonne. On, ici, est un moyen détourné de dire je. J’ingère toujours un demi Nocertone par nuit, et je suis persuadé, à tort ou à raison, que cette moitié-là me fait plus de mal que de bien. Je n’arrive pas à passer au quart. Je remets au lendemain. Les conditions ne sont pas réunies. Là, ce serait trop risqué. J’en suis venu à me dire : j’ai probablement une tumeur inopérable, mes jours sont comptés. Mais en réalité, tumeur ou pas tumeur, mes jours sont comptés. N’est-ce pas le cas pour tout le monde ? Je n’ai jamais passé de scanner ou quoi. J’ai peur de ça. Non pas de la procédure mais de l’imagerie. Ce qui pourrait être trouvé. Dans les livres, dans les films, dans les séries, bref, dans un récit, cette attitude conduirait le personnage principal (à supposer qu’on soit jamais le personnage principal de quoi que ce soit, à commencer par nos propres vies) à effectivement contracter quelque chose, et, le temps de savoir véritablement, il serait déjà trop tard. Il y a une mort comme ça dans Six Feet Under. Il faut se méfier des morts de Six Feet Under. Pour commencer, elles parlent. Elles existent après leur propre mort. Elles se survivent sous la forme d’images mentales qui ne sont pas à proprement parler des fantômes, mais plutôt des projections que porte en soi chacun. Qu’est-ce que je porte en moi ? La nuit, souvent, quand je suis mal, je me réveille mille fois et je fais des obsessions sur des choses. Ce ne sont pas à proprement parler des cauchemars. Ce sont des concepts. Là, ce sera le Vampire de Polidori. Mais je ne faisais pas une fixette sur le roman, sur l’univers ou sur la créature qui donne son titre au roman, non, je faisais une fixette sur le nom de son auteur. Polidori. C’était assez pour me retourner le cerveau, littéralement, et littéralement plusieurs heures plus tard j’ai senti la douleur quitter un œil pour aller en inoculer un autre. Je sais que, suivant le cycle et le schéma de la douleur, cela va rebondir encore quelque fois, droite, gauche, droite, gauche, et résonner derrière, dans les nerfs, pendant quelques jours. C’est ce qui me rassure quant au fait que je n’ai pas de tumeur. Une tumeur ne bouge pas. Une tumeur ne joue pas au ping pong dans l’espace intérieur de ton corps. Une tumeur ne te donnerait pas l’illusion qu’elle est en mouvement sans jamais s’échapper de toi, si ? Une tumeur, non. Mais une tumeur maligne ? C’est un jeu de mot. Je reconnais que c’est de mauvais goût. J’ai d’autres choses à faire ce week-end, à commencer par réparer le porte-bonheur d’Asakusa. Ce ne sera que la deuxième fois. Peut-être aurais-je moins mal avec lui à mon poignet ? Lequel, le droit ou le gauche ? Si j’ai mal à gauche, je le mettrais à gauche. Même chose à droite. Je ne suis pas pressé. Je suis pressé. Mercredi, ils opèreront Poulpir à nouveau. Elle et moi avons besoin de toute la chance qui s’offre à nous. On ne doit pas lésiner. Il faut mettre le paquet. Le paquet, à mes yeux, prend la forme d’un bracelet de 21 perles en quoi ? en céramique ? enfilées dans un fil de nylon. Je sais déjà d’expérience qu’il fonctionne sur les gens. Fonctionnera-t-il sur les lapins ? Qui sait quel genre de porte-bonheur il faut pour ces bêtes ? Une patte d’eux-même ? Jusque-là, on ne peut pas dire que ça les ai beaucoup aidées. Ça les a amenées en vie jusqu’ici, j’ai envie de dire. Mais ça ne tient qu’un temps. Un trèfle à quatre feuilles ? Ils le mangeraient, nonobstant la mutation génétique du brin l’ayant conduit à développer un quatrième trèfle contre-nature. Une sorte de tumeur, à son échelle de trèfle. Un mot magique ? Je me vois bien lui chuchoter le mot Polidori à l’oreille pendant des heures avant qu’elle parte pour la Clinique Vétérinaire de Maisons Alfort qui, on l’a vérifié au cas où les métros continueraient de ne pas rouler suite à la grève, n’est qu’à environ quarante-cinq minutes à pied d’ici si on ne se perd pas. Combien de fois peut-on répéter à l’oreille otitée d’un lapin le mot Polidori pendant quarante-cinq minutes de marche dans le froid de décembre ? Le BM3 n’est toujours pas expédié. Du moins, il ne l’était pas quand j’ai vérifié pour la dernière fois hier soir. Aujourd’hui, le BM3 est donc réduit au rang de chat de Schrodinger des cadeaux que l’on se fait à soi en quatre fois, non sans frais : il est peut-être en chemin ou encore en stock dans un entrepôt quelque part, peut-être bien bloqué par des manifestants furieux de ce que le monde dans lequel nous vivons est bien celui-là et non un autre. Je ne peux que leur donner raison. Après tout, le vampire de Polidori est à la fois mort et non mort. De même que le personnage de Mireille chez Boileau-Narcejac. Ou que Shinji dans La promenade des envahisseurs. Les cordes continuent-elles de vibrer même lorsqu’on n’entend plus aucun son ? Et, à l’inverse, le son qu’on croit entendre, est-il issu d’une corde manifestement à l’arrêt, ou bien le fruit d’une rémanence auditive qui n’a plus cours que dans notre propre cerveau et non dans le monde ? On ne sait rien. On fait semblant de suivre nos intuitions à l’aveugle.


  • ↑ 1 Du conclave ou d’un conclave.

    ↑ 2 C’est comme le Tigre mais en moins bien.

    ↑ 3 Je pense à cette photo.

    ↑ 4 En fait, non.

    ↑ 5 Tout ça pour finir, deux jours plus tard, par foutre tout ça en l’air et envoyer le tout en tarif lettre inter.

    ↑ 6 Heureusement, il existe en ce monde un truc qui s’appelle The most immaculate haircut.

    ↑ 7 Vous avez déjà fait l’imagerie du cerveau ?

    ↑ 8 C’est aussi utilisé, avec un autre dosage, comme antidépresseur.

    ↑ 9 Je n’ai jamais dû écouter une seule chanson de Prince en entier de toute ma vie.

    ↑ 10 Deux en réalité, note du 1er septembre.

    ↑ 11 Le magasin m’a transmis un bon d’achat, la marque de pizza m’a remboursé par virement trois fois le prix de ladite pizza, note du 1er septembre.

    ↑ 12 Puis, finalement, son remboursement par virement.