Donc hier nous avons enterré ma grand-mère. Nous sommes d’abord allés chercher son corps à la morgue, où je ne l’ai pas vue. Ensuite nous nous sommes rendus à l’église St L. au centre de St-Étienne. La cérémonie était plus longue que pour mon autre grand-mère, il y a un an et demi. Mon rôle était de m’occuper de la musique. Il y a avait quatre morceaux que je devais lancer, gérer et éteindre à quatre moments clés. Concentré sur ma feuille, c’est-à-dire le plan écrit du déroulement de la messe, je n’ai pas vraiment eu l’esprit concentré ailleurs. C’est-à-dire que je n’ai pas rien ressenti, simplement ma tête était précisément orientée vers cet ailleurs tout proche : ma tâche à accomplir.

Il n’y avait qu’un seul morceau réellement important sans doute, c’était La quête que ma grand-mère aimait et dont elle nous disait souvent qu’elle ne pouvait jamais se retenir de pleurer en l’écoutant. J’ai lancé La quête où il fallait, après intervention de ma tante et ai laissé s’envoler le crescendo qui, je m’en suis rendu compte peu avant en me remémorant ses paroles, procède exactement selon la même structure que le fameux 505 des Arctic Monkeys dont je me sers pour Coup de tête. Le premier crescendo m’a ému, je crois, comme nous tous ici. Le second je ne l’ai pas entendu car je me concentrais déjà sur le disque suivant qu’il fallait enchaîner.

Ensuite nous sommes allés au cimetière du Crêt de Roc qui, malgré cette journée, plutôt que le lieu d’enterrement de ma grand-mère, restera toujours cet espace ouvert où E., N. et moi-même avons fait des repérages, il y a plus de trois ans, pour le tournage d’un film que nous n’avons jamais réalisé. Le cimetière du Crêt de Roc se trouve en haut d’une colline et surplombe tout Saint-Etienne. Le soleil d’août caniculaire a tapé fort et nous sommes monté lentement jusqu’à la tombe. Ensuite le cercueil a été précipité au fond. Ensuite nous avons lâché des fleurs sur le cercueil et la mienne a fouetté si fort le bois que j’ai laissé ma tête s’abaisser entre mes épaules. Ensuite nous sommes descendu et avons fuit le soleil. Ensuite nous nous sommes rassemblé pour un buffet froid et ma famille, sur la fin, ne s’est pas comporté dignement comme elle aurait dû, mais je n’étais déjà plus là, endormi-absent déjà depuis des heures, car mon attention m’avait quitté. Ensuite nous sommes partis, mes parents, mon frère et moi-même et sommes restés tous les quatre dans le salon à discuter comme il nous arrive bien rarement de discuter.

Mes deux grand-mères sont mortes à présent. Ce qui me paraît injuste : ne reste plus que les hommes. Sans doute, très probablement, que ce sont les femmes, en première ligne, qui se sont laissées user par la vie, et les hommes, ma foi, je ne sais pas vraiment ce qu’ils faisaient, eux, derrière, pendant tout ce temps.