Prenons la vie la plus remplie, du moins prenons une vie remplie de contentements, de contentements remplis pour moitié, prenons des raidillons montés pour moitié, l’autre moitié restant à conquérir, d’autres raidillons pour de bon à gravir, tu n’as pas vu venir mais c’est la fin des années et pourtant après ce carrefour, cette borne, tu sauras quoi prendre, où prendre, tu sauras ce que tu as laissé en chemin et tu l’auras laissé pour prendre ce que tu as pris et tu voudras le reste qui te reste à prendre et que tu vas prendre après le carrefour ou la borne, ce que tu as laissé en chemin tu l’auras laissé pensant au reste qui te reste à prendre et ce reste-là va te rester entre les doigts, ce que tu veux prendre sur le chemin qui t’est dû, ce que tu désires eh bien ça fait des cheveux ça t’emberlificote l’entre-doigts et ça te donne, oui, un sacré chagrin, les cheveux évanescents quand on les compare au peu qu’on a pris jusque-là, comme on l’a mal pris, quand on pense qu’après on grimpera encore et qu’il y aura descente (sur de la mousse), terre de sécurité où bondir (encore) d’épopée en épopée ou d’épisode en épisode à l’intérieur d’une même épopée, du moins, si ce n’est pas trop demander, qu’est-ce qu’on a, comme regrets. On va mourir et en plus on s’ennuie. Et ce qu’on a eu pour moitié sonne tout petit, sonne pour moitié. On va mourir et le chagrin, ne m’en parle pas.

Marie Cosnay, Cordelia la guerre, Les Éditions de l’Ogre, P. 88

Première question, première à en passer par la formulation à voix haute, probablement comme ça rituellement chaque année : on en est à l’heure neuve ? Même si les mots c’est pas les bons, ici c’est la retranscription, et les rêves n’ont plus prise, juste la sensation d’avoir avancé dans l’un d’eux qui était plus proche de soi que les autres mais, non, par exemple, rêver l’éviction onéreuse de Luis Van Gaal à la tête de MU, ça, ça n’a plus prise. Tout le temps un truc de rentabilisation du temps qui passe, qui passe, par exemple là le passage à l’heure d’hiver, savoir ce qu’on en fera en plus des autres jours de ces heures additives, et bien sûr c’est foutu, car c’est une heure de sommeil, pas de vie diurne, donc c’est une heure mort-née, inutile (même si ce rêve, celui qui était plus proche de moi que tous les autres, pas le rêve de Van Gaal, non, cet autre, il venait peut-être de cette heure-là). L’été, c’est le même raisonnement inversé, comme la respiration, inversé, c’est-à-dire qu’il est l’heure alors, littéralement, de limiter les dégâts, voire même de se lever sciemment une heure plus tôt pour annuler l’enracinement dans l’heure neuve, même si c’est toujours précaire comme équilibre (et puis comme raisonnement), c’est toujours une histoire de performance et de perdre le moins de temps possible à défaut d’en gagner.

Ulysse. Avancé en deux jours de 0,15%, ce qui est trois fois plus qu’un week-end normal, on est encore dans la performance, même si je me situe mal par rapport à la trame initiale, je sais plus si je suis en retard sur mes prévisions d’être en avance sur autre chose. J’ai plus de 500 jours d’avance, ça je le sais. Mais il y a quelques mois : plus de 600. Je sais pas ce que ça change. Ce que je sais, c’est qu’au chapitre Hadès mes souvenirs sont faux. Me rappelais d’un mort que Bloom apercevait dans un suicide ou dans une overdose 1, et ce mort c’était lui-même, une mort ratée ou fantasmée ou espérée un jour, un suicide sans suite, mais c’est faux : le mort dont il se souvient dans ce chapitre c’est pas lui, c’est son père. Dans une petite chambre étouffante, soleil chaud sous les stores vénitiens. Des scènes de chasse aux murs.

Une espèce d’insatisfaction. Je sais très bien ce que c’est que l’insatisfaction (c’est le contraire que je sais pas ce que c’est), là ça gagne tous les pans de ta vie. Je sais aussi ce qu’il faut faire : se retirer dans les brumes, aller lire ou marcher ou courir. À cause des genoux et du fait que je lis peu pour moi seul ce sera lire. Et il y a toute cette histoire de journée-Michaux, c’est vers la fin du truc Tumulte, une journée de silence qu’on s’imposerait chaque semaine, mettons le dimanche. Je pensais à ça justement sans me le dire, sauf que là ça prenait la forme d’une journée sans données, d’une journée sans réseau, comme ces quatre jours d’été. Suffit juste de couper le Wifi. De vivre une journée sauf : sauf Wifi. Un peu plus loin (à peine) dans Tumulte : « quelque chose qui a à voir avec le sentiment de fraternité dans la foule ». L’impression d’écrire précisément là-dessus, sur ce qui pourrait être mon truc rond, chaleureux, optimiste qu’H. m’a mis au défi d’écrire il y a des mois, sans le savoir.


lundi 30 novembre 2015 - vendredi 26 avril 2024




↑ 1 Même si le mot overdose est bien présent, les anglais appellent ça une mort par mésaventure.

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Article publié Article 260324 GV il y a 3 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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