Ce qui est aigu, dans le moment que nous vivons, automne 2007, c’est la conjonction de trois crises : financière, écologique, géopolitique. Elles sont liées par la question de l’accès aux ressources. La ploutocratie a des visées en même temps très étroites et sans limites : se moque des milliards de gens, ne considère que le marché, c’est-à-dire ceux d’entre ces milliards qui peuvent payer, les autres peuvent crever ; son horizon temporel est lui aussi très limité – dans le meilleur des cas, cent ans (la stratégie de long terme de firmes comme Nestlé ou Coca-Cola est de cet ordre), la transmission aux fils, la création d’une dynastie mais ce qu’elle deviendra dans deux générations ? Ce sera à eux de se débrouiller. Cette étroitesse est combinée à une absence totale de limites à l’enrichissement dont ils savent de manière experte qu’elle est liée à l’extraction des ressources : terres, mines, bancs de poissons, travail humain – et là ils sont sans pitié, c’est une question de vie ou de mort, c’est toute leur vie et ils ne savent rien faire d’autre : qui l’emportera ? Ce doit être moi le plus puissant. Quoi d’autre serait réel ?
Et ne connaissant rien d’autre ils sont las, contents et sages, ils vous disent en vous regardant d’un air désolé et satisfait : c’est la loi de la vie. Ils puent la mort.

Laurent Grisel, Journal de la crise de 2006, 2007, 2008, d’avant et d’après : volume 2 — 2007, publie.net (à paraître en novembre)

Termine la mouture 2007 du Journal de la crise de Laurent Grisel. Fascinant plusieurs fois. Sur la construction des crises, au pluriel, mais aussi sur la construction du Journal lui-même, dont l’architecture apparaît, déjà, en squelette. Me souviens de ces années, l’élection de Sarkozy, Merrill Lynch, la mort de Benazir Bhutto, le cours du dollar. Soudainement le cours du dollar c’était devenu important. Pas parce que je suivais ça, je suivais rien de ça, je m’en foutais, mais parce que chaque matin au bureau ils dissertaient de ça, de savoir si c’était le bon moment pour boucler leurs containers en Chine. Avant ces histoires de containers en Chine, j’avais aucune notion du dollar et de son cours et je vivais très bien sans. Apprécie particulièrement ça, l’écriture des journaux, certes, mais d’ordinaire leur lecture est bien plus diluée dans le temps, beaucoup de mal à en lire à la suite. Là non. C’est addictif. Comme pour 2006, ça a remplacé l’espace de lecture consacré habituellement à la presse. Donc je suis mais décalé dans le temps. Façons de se repérer (dans le temps toujours) : l’évolution de la lumière, la boulangerie fermant sa caisse. Les ombres. Les cloches. La faim. Ce genre de trucs. Plus loin, dans Les diplomates :

D’un point de vue écopolitique, l’anthropocène marque l’émergence d’une cohabitation rapprochée et généralisée des sociétés humaines avec le reste du vivant. Les autres vivants ne sont plus dehors, dans un dehors sauvage inaccessible, intact, hostileou pur, c’est-à-dire dans une wilderness — ils sont parmi nous. Plus des neuf dixièmes des terres émergées de la planète sont, en effet, anthropisées. À l’anthropocène, les ours polaires sont parmi nous, puisque nous sommes la cause du réchauffement qui amoindrit leurs habitats lointains ; les orques du Pacifique Nord, jouant dans les amas de détritus plastiques, sont parmi nous ; les chauves-souris australiennes, par lesquelles transite jusqu’à nous le virus Hendra, sont parmi nous.

Baptiste Morizot, Les diplomates, Wildproject, p. 83-84


jeudi 15 septembre 2016 - mardi 23 avril 2024




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