22 octobre 2008Je me demande dans le silence de ma tête close : qu’est-ce qui peut pousser les gens à travailler dans une entreprise spécialisée dans la vente (en ligne) d’accessoires pour le vin ? (ça c’est la version classe, la version neutre étant : tire-bouchons) Et avant que je puisse m’en rendre compte, le silence de ma tête vide s’est dépressurisé et je découvre un peu curieux que celui qui est en train de bosser pour cette entreprise, c’est moi ; apnée soudain brisée d’un rêve compact qui n’en est pas. Je passe donc mes trois premiers jours dans les locaux de Waw-vive-les-tire-bouchons.com. Précision : je ne vends pas de toner Supervisor : So, I think you’re ready to sell toner, do you have any last questions ? Phoebe : No. (Pause) Oh wait yes ! I do, I do have one question. What is toner ? et je ne suis pas obligé de porter de collants pour venir au bureau ; voilà déjà deux cauchemars fictifs récurrents de moins et autant de raisons pour ne plus trop craindre ce monde de l’entreprise. Reste ce je veux faire quelque chose d’utile pour changer que je balance au téléphone à Nico il y a un mois et demi, mais on ne peut pas tout avoir. Comme base : un contrat temps partiel de 21h réparties comme il faudra que ce soit réparti dans la semaine en fonction de la masse de travail avec laquelle je devrais jongler. CDD d’un mois qui pourra éventuellement muter en plus longue durée si je fais l’affaire. Je suis officiellement "assistant chargé de relation clientèle", ce qui veut dire que je réponds aux clients potentiels, aux clients exigeants ou aux clients en colère, par mail, chat ou téléphone. Je reste donc le cul vissé sur mon fauteuil pivotant, la tête dans l’écran et les yeux ailleurs. Premier jour exigeant pour moi qui n’ai pas vraiment eu d’activité professionnelle régulière ces derniers mois (années ? jamais ?). L’impression de regarder filer l’heure en mouvement lent dès trois heures de l’après-midi. Puis le deuxième jour déjà plus banal. Appris à faire ce que j’étais censé faire. Quelques petites choses à apprendre encore. Le gros du boulot consiste en réalité à donner l’impression de distribuer des informations qu’on ne possède pas. Suffit de prendre le coup de main. D’éluder les questions. De projeter une illusion d’amabilité. Je ne possède pas encore mon propre téléphone mais ça viendra. Arrivé ce matin en Colissimo. La semaine prochaine, me souffle mon supérieur, tu pourras commencer à répondre au téléphone. Je dis ok mais en vrai je pense un super... que je ne laisse pas filtrer. Pas que je n’ai pas déjà eu à prendre le standard pour dépanner. C’est déjà arrivé plusieurs fois, notamment lorsque mon supérieur est en pause. La joie de se retrouver face à une voix qui exige tel produit aux telles dimensions pour tel usage quand le site de l’entreprise sur lequel je pourrais fouiller à sa place se met à ramer grave. Joie. Grosso modo, on prend le coup de main. Ce n’est que trois jours par semaine, ça passe vite. Ce n’est pas quelque chose qui me passionne, tant mieux, l’objectif étant quand même de rester concentré sur Coup de tête et le reste. Prochaine étape : essayer de profiter de ma pause déjeuner Tu viens manger avec nous ?, y a un super japonais au coin de la rue tu vas voir. Répondre que non, c’est bon, je suis bien là, devant l’écran, avec ma salade-sous-vide-à-3€ et mon pitch-pépites. pour poursuivre mes corrections/relectures/réécritures de Coup de tête. Histoire de ne pas perdre la main. De ne pas me laisser distancer par le texte. C’est tellement facile d’y perdre pied, je ne tiens pas à tout reprendre encore. 2 novembre 2008...pour en réalité finir trempé entre les passages cloutés, sans rien derrière ni devant les yeux. Nous avons rendez-vous avec Nico et Isa pour la séance de 16h, devant le Méliès et tout, pour voir le dernier Woody Allen , Vicky Cristina Barcelona, histoire de perpétuer la fameuse tradition cinématographique de saison. Des trompes d’eau sur les vitres, je pars de chez mes parents en regrettant un brin d’avoir laissé mon parapluie à Y. puis m’abrite sous l’abri-bus prévu pour. Sur l’écran de contrôle, je vois l’arrivée du prochain 4 pour 22 minutes plus tard. Il est trois heures et demie alors je me dis merde. Texto-éclair pour Nico qui, lui, est toujours très ponctuel : pas de tram avant 20 min, ça va être chaud pour être à l’heure puis retour écran de contrôle histoire de : un 5 dans deux minutes donc bon. Texto effacé-non-envoyé. Retrouve Nico à l’heure ou presque pour finalement se dire que vis à vis de la séance de 4 heures, ça va être trop juste pour Isa (shocking !) donc non. Du coup, retour voiture-à-Nico sous trompes d’eau régulières pour bouger jusqu’à St-Roch histoire de se rapprocher de chez Isa et d’une et de payer moins cher le parcmètre ensuite. Petit tour de Sainté embuantée derrière les essuies-glace battus, puis slaloms entre les rues inroulables du centre-ville pour finalement s’échouer sur le parking St-Roch complètement vide. Entre temps, coup de fil d’Elise pour dire qu’effectivement on pourra sans doute pas se voir ce week-end puis répondre oui on avait un peu remarqué de notre côté. Z’allez voir quoi ?, elle demande, alors je lui dis ce qu’on est censé voir puisqu’elle demande, puis ah oui, ça a l’air nul, qu’elle répond, alors du coup ça motive. Retour St-Roch avec horodateur à gaver, puis douche lourde sur la nuque pendant que les pièces glissent à l’intérieur, jusqu’à ce que je fasse remarquer à Nico que, d’abord, c’était jour férié hier donc gratuit niveau stationnement et, ensuite, que puisqu’il s’était remis à pleuvoir, c’était peut-être moyen de redescendre à pattes pour retourner à notre point A. Certes. Donc retour au point A, oui, mais en voiture, donc compléter le tour initial et revenir se garer grosso modo au même endroit qu’avant. Pause au sec dans un coin du Méliès, puis croiser ma tante et mon oncle entre deux coups de fil (un bonjour à Virginie-en-Irlande qui nous traverse le ciel-nuit-d’aprem par Skype interposé), puis redépart pour remonter jusqu’à vers chez Isa, soit notre point B inutile de tout à l’heure, pour passer la prendre, monter à Centre 2 et faire les courses pour les crêpes du soir. Courses et pâte à crêpe réglées, repartir, en voiture toujours, il est huit heures moins le quart, le film est à huit heures, le ciel solide nous tombe dessus par vagues, quatre fois le tour du centre-ville pour trouver une place, un œil perdu sur l’horloge de bord (oui mais elle avance donc en fait on est par en retard), puis garés sous-terrain, déboulés par dessus le sol glissant et inondé du dehors, carcasses trempées sur le tapis du Méliès, il est huit heures dix, film commencé depuis dix minutes, et oui. Du coup repartir direction le Gaumont, des fois qu’il y ait quelque chose de pas trop mal mais en fait non. Donc demi-tour aqueux jusqu’au parking sous-terrain, cheveux trempés et flotte dans les yeux puis sur les sièges d’Isa. Départ du point C pour un retour point B sans passer par la case machin ni toucher quoi que ce soit. Dernier Woody Allen non vu, du coup (ouais bah il est nul alors ça va, dixit Elsa ), mais la poisse diffusée jusqu’au jour suivant, aujourd’hui donc, avec TER retardé de 50 minutes à cause des intempéries d’hier, avec la gueule du Gier puis du Rhônes qui déboulent sur la droite de la voie, les eaux brunes raclées du lit vers les berges puis les stigmates d’inondations passagères sur les rives ou les champs limitrophes. Et par dessus le soleil brille, première fois depuis que je suis arrivé, en cette belle journée qui commence, etc. 30 juillet 20091 Les soldes ont entraîné des pics de commandes, donc des pics d’expéditions, donc de livraisons, donc des retards accumulés, donc plus de problèmes de SAV, donc plus d’échanges à organiser, donc plus de retours à prévoir, donc plus de remboursements à demander, donc plus d’appels à gérer, donc plus de clavier frappé et de dossiers ouverts, fermés, mis entre parenthèses, donc plus retards intercalés entre les cas, donc plus d’appels à nouveau, plaintes, mails, messages, courriers, éclats de voix furieux, insultes, menaces, crises de nerf, automutilations, suicides, etc. La fin des soldes a brisé net la spirale, quand bien même les prix, eux, n’ont pas tellement changé. Depuis des jours : retards amassés éléphantesques, quasiment impossibles à rattraper en sous-effectif durant l’été. Parfois, je suis arrivé devant la porte close du bureau, car je n’ai pas la clé, avec l’envie de repartir aussi sec et d’oublier toutes ces lignes de données qui me réveillent la nuit (six heures trente du matin, yeux ouverts, paupières fermées, ce n’est pas vraiment le matin). Je compte à présent les jours, même si les piles de cas lentement se défont depuis hier, et ne regrette pas de ne jamais posséder le précieux sésame, faux porte-clé, qui m’ouvrirait enfin au quotidien les portes du bureau, du moins de celui-là. 2 Terminer 2666, encore une fois, me brise le cœur. J’aborde aujourd’hui les dernières lignes comme j’avais entamé les premières : dans la carcasse bouillante d’un train lancé direct entre un point A et un point B, bien qu’entre temps inversés l’un par rapport à l’autre. Je pourrais encore citer longtemps, je garde en réserve ces phrases qui me viennent pour une chronique future, sans doute dimanche. Je pourrais citer, citer et citer plus ou mieux : je pourrais tout reprendre. Le livre n’est plus dans le même état qu’aux premières pages découvertes : entre temps trois semaines, des milliers de kilomètres avalés, même si statiques au fond. Je prenais soin les premiers jours ne pas trop casser le livre, ne pas trop corner la couverture, plier les pages, forcer la colle, défaire la forme. Je tenais les pages du bout des doigts. Puis je l’ai attrapé, attrapé vraiment par les épaules et j’ai forcé ouvert les grands pectoraux, muscles trapèze et deltoïdes, et maintenant le livre est dans un état épouvantable, et les pages sont cornées, et la couverture rebiffe, et la crasse intérieure de mon sac s’est étalée sur la tranche, et certaines empreintes d’objets lâchés en orbite autour des pages ont mordu dedans. Je me suis fait à cette idée. Le long de ma lecture, le livre, avec moi, a éprouvé. Je n’aimerais pas l’idée qu’il puisse garder forme nette après milles pages parcourues, comme si rien ne s’était produit, comme si l’ombre des choses n’avait pas été vue, pesée. En revenant ce soir j’ai posé 2666 sur une étagère et dans dix, vingt, trente ans, au fil de mes lectures, il se décomposera progressivement et je serai heureux qu’il se défasse, s’affaisse, parallèle à moi-même. 3 Je repense aux heures, jours, minutes qui ont précédé il y a un peu plus de deux ans maintenant mon départ de St-Étienne et premier déménagement. J’y pense puisque hier, après le travail, j’ai pris un autre train d’une autre ligne pour une autre gare, autre destination ; y retrouver N., fraîchement installé dans le 77 et découverte de la ville dans laquelle il s’est posé et l’appartement dans lequel progressivement il emménage. Nous avons passé une bonne soirée, je crois, avons croisé, durant nos déambulations de centre ville, quantité de restaurants ou traiteurs asiatiques qui ressemblaient en tous point à ceux qu’on aurait pu trouver n’importe où ailleurs.
10 octobre 2009Cause : clavier récalcitrant.
Le 21h12 est arrivé 21h17, nous sommes montés dans le deuxième wagon puis assis premier étage déjà bien clairsemé passé Gare du Nord, moi contre la vitre, lui en face contre le siège contre la vitre, jambes tendues entre, sourire écartelé sous les joues : celui-là est il est omnibus, il va faire toutes les gares, j’ai acquiescé, je vais moi, il a fait, jusqu’au bout de la ligne, yeux grands ouverts bien ronds puis sourire à nouveau, il a laissé filé quelques rires qu’il a ensuite toussé dans un mouchoir. J’ai fait l’Afrique, il a dit, c’était y a longtemps mais je l’ai fait. Maintenant l’Afrique c’est ici, il a montré les visages éparpillés-fermés dans le wagon, on est les seuls blancs du wagon, j’ai dit ah, il a dit comptez, j’ai dit je vous fais confiance. Les militaires ont patrouillé le long du quai avec leurs FAMAS entre les mains, il a dit c’est la guerre, je lui ai dit c’est possible, je lui ai dit vous savez ce que c’est FAMAS et il a dit j’en ai monté démonté quand j’étais en Afrique, j’ai dit non je veux dire les initiales : Fusil d’Assaut de la Manufacture d’Armes de Saint-Etienne, c’est leur fierté là-bas, où ça il a dit ? à la manufacture, j’ai dit. Vous aimez ça les flingues ? il a demandé et j’ai dit non pas du tout. On est sorti Gare de Lyon, bout du tunnel, il faisait nuit déjà, la fumée encore accrochée aux gorges des cheminées derrière la Seine. Marié ? j’ai demandé, il a dit non, moi j’ai vu oui, j’ai pas répondu. Le niveau des gamins d’aujourd’hui est merdique, il a repris, j’ai haussé les épaules, savent plus poser une division à virgule, je lui ai demandé : comment est-ce qu’on pose une division à virgule ? j’ai dit moi j’en sais rien. Si les futurs cadres connaissent pas les bases, il a fait en croisant les bras et j’ai dit je suis pas futur cadre, non, il m’a demandé ce que j’étais, je lui ai dit je suis un futur que dalle et j’ai pas mon bac alors. Il a dit vraiment ? pourtant on dirait pas, j’ai fait je présente bien c’est pour ça, il a acquiescé les deux bras croisés, les yeux bien ouverts. La nuit c’était pas vraiment la nuit, l’orage nappé plus loin à l’horizon, les lumières crépitées autour c’était pas des immeubles, des avions, mais des banlieues entières qu’on traversait sans plus rien se dire. Pendant cinq minutes il a pas parlé et moi non plus. Texto reçu de N. dans la poche droite
et il travail dans une clinique ct sur sa veste ptet qui sen est échappé non ?
Les noirs sont descendus en masse à E. ou C. ou entre, il a dit faut s’éloigner de Paris pour retrouver de l’air, j’ai répondu moi je suis asthmatique, il a dit pour de vrai ? j’ai dit si on veut. Il m’a dit j’ai des problèmes de santé, j’ai fait ah bon ? Genre grave ? Grave, il a répondu. Tous les mois le toubib me fout à poil et me touche, tous ces pédés. J’ai demandé quels pédés ? et il a dit tous. C’est quoi comme maladie ? j’ai dit et il a fait genre j’en sais rien. Ca doit bien avoir un nom, j’ai fait, et il a dit eux ils me disent que j’ai rien mais ils mentent et je sais. Tous les mois je vais voir un toubib différent qui me... Tous ces pédés, j’ai dit, et il m’a dit qui ça ? Le 21h17 censé partir des Halles 21h12 est arrivé Y. 22h22 censé repartir 22h16, la voix synthétique a dit le nom de la gare et moi j’ai dit c’est là que je descends maintenant tu peux enlever ta main de ma cuisse ? merci. 15 octobre 2009N. m’a offert D’autres vies que la mienne (ce qui n’est pas la même chose que « N. m’a offert d’autres vies que la mienne », ce qui aurait été une phrase curieuse, quoiqu’agréable) un jour de train, c’est à dire qu’on en partageait un, d’ailleurs le wagon était vide. Il m’a dit en substance « c’est pas top mais bon », je lui ai dit « je lirai puis te dirai » et l’ai posé sur ma pile métaphorique, puis réelle, de livres à lire. C’était il y a quoi, deux mois je crois. Demain je le terminerai. Lui écrirai un mail où je dirai : « toute la première partie j’ai pas aimé, tu me l’aurais pas offert je l’aurais laissé tombé, d’ailleurs cette première partie qu’est-ce qu’elle vient faire là ? Il aurait dû couper au montage toutes les pages sur le Tsunami si tu veux mon avis. Après je me suis laissé prendre, ai arrêté de compter les mots que moi j’aurais mis ailleurs et suis tombé entre les pages, j’ai continué de lire, les pages ont filé, j’ai pas trop fait gaffe, certains passages m’ont franchement touché. Je n’ai pas adoré, non, et sans doute que dans deux ans je n’aurai plus beaucoup de souvenirs de ce livre, ceci dit j’ai beaucoup aimé le fait que ce livre on me l’ait offert et que ce on renvoie à toi. » Puis je trouverai une bricole pour terminer car je n’aime pas finir un mail sans le conclure. (J’imagine qu’à présent que ces lignes sont écrites, je peux m’abstenir d’envoyer réellement ce mail fictif ?) A la différence d’Etienne qui, sans y mettre jamais de grivoiserie, aime parler de sexe au point d’en faire un préalable pour qu’une conversation mérite ce nom, Patrice est assez prude et cela m’a surpris, en feuilletant les planches d’une de ses bandes dessinées pleines de graciles princesses et de preux chevaliers, d’y repérer un ange équipé d’une bite tout à fait apparente. Quand je lui pose la question, cela dit, il me répond sans gêne que pendant la grossesse et après la naissance de Diane le désir entre eux était en veilleuse, qu’il est doucement revenu à l’automne, ce qui les a rendus très heureux, mais qu’ensuite elle s’est mise à être de plus en plus fatiguée : il y a eu ses problèmes respiratoires, puis l’embolie, puis, bon... Ils ont refait l’amour une fois, juste après l’annonce du cancer. Ils étaient maladroits tous les deux, désaccordés. Il avait peur de lui faire mal. Il ne savait pas que c’était la dernière fois. En dehors du sexe proprement dit, ils avaient depuis le début une relation de tendresse très fusionnelle. Ils se touchaient beaucoup, dormaient blottis l’un contre l’autre, en cuillers. Quand l’un se retournait, l’autre dans son sommeil se retournait aussi, elle ramenant ses jambes avec ses mains, et ils se retrouvaient dans la même position, inversée : il s’était endormi tourné contre son dos à elle, quand il se réveillait elle se serrait contre son dos à lui, les genoux repliés aux creux des siens. Avec la maladie, c’est devenu impossible : il y avait la bouteille d’oxygène, il fallait qu’elle dorme surélevée, c’était à la maison comme une chambre d’hôpital. Cette intimité nocturne qui ne les avait jamais trahis au long de leur vie commune leur manquait, mais ils continuaient à se tenir la main, à se chercher dans le noir et, même si la surface de contact s’est amenuisée, Patrice ne se rappelle pas une seule nuit, jusqu’à la dernière, où un peu de la peau de l’un n’a pas touché un peu de la peau de l’autre. 19 octobre 2009J’ai manqué une marche, escaliers Gare de Lyon, pris le rebord sec sur genou droit : la marque de la marche est restée imprimée sur la peau. Une seconde arrêté le temps de me dire : putain de merde, temps de me demander : est-ce que quelqu’un m’a vu ? je suis remonté sur une jambe, me suis traîné jusqu’à la ligne 14. N’ai pas pu faire une station, me suis retenu de vomir sur les gens autour, ai dit pardon à ceux qui bouchaient la porte, un pardon que j’ai vu prononcé mais pas entendu, les visages autour ont viré flou et je suis tombé contre l’armoire électrique près du wagon de tête. J’ai pensé entre deux souffles : j’étais sûr que je tomberai quelque part et aussi : au moins j’ai pas bloqué le métro (c’était une peur primaire). Deux ombres sans tête m’ont demandé : vous voulez qu’on appelle les secours et j’ai dit oui. Un type est arrivé, m’a demandé qu’est-ce qui s’est passé ? et j’ai raconté. Allongé par terre dans un courant d’air devant les portes du métro je voyais rien, je voyais à peine la tête du type penché sur moi à qui je parlais, je voyais le néon plaqué plafond par dessus moi, me suis dit pendant dix minutes : cette photo là tu devrais la prendre, mais l’ai pas prise, de peur que l’autre penché sur moi me dise : mais qu’est-ce que vous foutez ? Le type penché sur moi m’a demandé vous avez froid ? et j’ai dit oui parce que c’était vrai. Il a sorti la couverture allu et attendu à côté de moi que les pompiers arrivent. J’ai attendu avec lui en silence, en me disant : il doit penser que je n’ai aucune conversation et il aurait raison. Sur la droite j’aurais pu compter le nombre de métros entrants, portes ouvertes, corps vidés, échangés, portes fermées, métros sortants : au moins dix, au moins quinze, ce qui me donne vaguement une idée du temps qui passe. Le type penché sur moi m’a dit : vous êtes très pâle quand même, et je lui ai dit non, ça c’est normal. Quand je suis parti avec les pompiers le type qui jusque là était penché sur moi, je l’ai loupé, je sais pas où il est passé, mais j’ai pas pu lui dire merci au revoir, ce qui était quand même la moindre des choses. On est parti à pieds, mon genou droit me faisait mal, on a pris les escalators. On a pris mon nom, mes coordonnées, ma tension, on m’a dit : vous êtes très pâle quand même et j’ai dit oui je sais, c’est normal. Arrivé devant l’Hôtel Dieu les pompiers ont roulé sur un pigeon et moi j’ai repensé au jour où j’avais accompagné N. à l’hôpital de Bellevue il y a trois ans. 20 octobre 2009J’aurais aimé pouvoir enregistrer cette conversation qu’on a eu H. et moi avant qu’il parte travailler ce matin, comme j’aurais aimé pouvoir enregistrer n’importe quelle conversation qui compte et sur lesquelles je n’ai jamais beaucoup de prise : une fois que les mots ont été dits, rien ne reste, on a encore perdu les phrases, les sons. Il y a cinq six mois, aussi, j’aurais aimé pouvoir enregistrer la conversation qu’on a eu, V. et moi, sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, parce qu’on s’y est dit, je crois, des trucs importants, mais des trucs déjà un peu éparpillés et que je me rappelle mal. Il y a dix jours quand j’ai vu N. je lui ai dit : Coup de tête ça n’avance plus, je suis en panne sèche, je brasse de l’air. Avant-hier dans mon mail à V. j’écrivais : Coup de tête se termine, je n’en ai plus que pour quelques mois, j’ai la trouille de voir ce qui va venir après. Parfois je me dis que s’ils s’échangeaient entre eux les différentes versions des discours que je leur tiens, ils pourraient bien se marrer. On le fait bien, nous aussi, de temps en temps. Il a commencé par : quand j’avais quinze ans, mon père était vivant, je détestais mon père. On n’habitait pas là, on habitait ailleurs, j’avais une chambre à moi. Il a invité un gamin de mon âge, il avait quoi deux ans trois ans de plus que moi, ok, mais moi je savais qu’il avait mon âge, qu’il était de mon monde je veux dire et pas celui de mon père. Dans d’autres vies ça aurait pu être mon pote ou un connard qui t’agresse après les cours à coups de barre de fer mais au moins, tu vois, ça aurait été normal. Je sais pas pourquoi il est venu vivre avec nous, j’ai pas demandé et je m’en foutais, dans ma tête il avait pas de famille et c’était mieux comme ça. La nuit ma chambre c’était sa chambre, mon lit c’était son lit, mes murs c’était ses murs. Moi je dormais ailleurs dans une autre pièce, une pièce qui était pas une chambre. Des fois il se tirait pendant des semaines, on le revoyait même pas. Des fois il revenait pendant des mois, il vivait avec nous. J’en ai jamais parlé à mon père. J’ai jamais parlé avec mon père. Quand il me parlait, lui, je lui répondais d’aller se faire foutre et honnêtement j’avais raison. Je veux dire : c’était ce que je pensais vraiment, vraiment quand je le voyais. Je me barrais en claquant la porte, y a des nuits où je revenais pas. Ma mère elle disait rien. Ma mère jusqu’à ce qu’elle claque la porte aussi elle a jamais rien dit. Ma mère elle trainait dans l’ombre de la cuisine et elle regardait les trucs se passer et je vois pas pourquoi elle aurait pu faire autrement parce qu’en vrai elle savait pas faire. La journée l’autre gamin il y était pas, il était ailleurs. La nuit mon lit redevenait son lit. Entre temps on se voyait pas assez pour se parler, on se croisait trop pour s’en foutre. Un jour j’ai vu mon père et je lui ai dit, je lui ai gueulé : lui c’est juste un autre moi que tu peux avoir à ma place, un autre que tu peux baiser et il m’en a pas retourné une, non, il m’a pas claqué les mâchoires, il a juste rien dit et il a fait comme si mes mots c’était que dalle. La nuit dans ma chambre qui était pas ma chambre j’aurais bien aimé qu’il vienne pour m’écraser les côtes et me tabasser par terre mais jamais il l’a fait. Après le gamin c’était plus un gamin, il est parti bosser, il est plus revenu. On a déménagé. Ma mère elle est partie. Mon père il a continué à vivre sa vie, ça veut dire qu’il était tout seul et que de temps en temps y avait des types comme l’autre ou des types comme toi qui venaient gratter à sa porte et lui il leur ouvrait. Après je suis parti aussi. Mon père il est mort tout seul parce qu’il avait personne, je vais pas pleurer sur lui. On l’a cramé, jeté ses cendres, fait tout comme il voulait pour plus en entendre parler. Aujourd’hui il me reste cette boite bourrée de merdes qu’il voulait qu’on donne. A toi, aux autres, je m’en fous, je vais pas m’amuser à trier. Puisque t’es là prends la et pars avec. Après on vendra tout, on reviendra plus. Viens, la boite est à la cave. Ce paragraphe ne me paraît pas mauvais, c’est le comble, mais comme détaché du reste de Coup de tête, il n’est pas crédible, certes, mais il n’est pas cohérent, surtout, et c’est ça qui dérange. Ces trucs là, j’ai envie de dire, on s’en fout. Qu’est-ce qui est important ? La sensation physique de se trouver en face de lui à ce moment là, de savoir que ce moment est important. La fuite qui suit la scène et conduit les deux personnages un étage plus bas. La façon dont le narrateur régurgite cette même scène, un peu plus tard, et la façon dont il l’a assimilée, comment il se l’est appropriée. Ce n’est pas un problème d’histoire à raconter ou d’histoire qu’on voudrait raconter mais bien de personnage : cette histoire est celle d’un autre, mon narrateur ne voit que la sienne. Celle-ci est une parenthèse, une amputation de plus à faire sans état d’âme entre lui et les autres. L’écrire ici me permet aussi de le comprendre, d’apprendre et d’assumer. 13 novembre 2009Aujourd’hui vendredi 13 : surdité oreille gauche. C’est aussi celle qui entend fuser les conversations des passants, deux étages plus bas, dans la rue adjacente. Aujourd’hui vendredi 13 : aucune conversation. 46° 16,8’ latitude nord / 86° 40,2’ longitude est se cherche. J’ai déjà écrit cinq premiers paragraphes différents, ce n’est pas encore ça. Ma récente lecture d’Invisible m’invite à chercher le changement de narration : parler au tu, au vous, par exemple. Parler à l’infinitif, au participe passé, alterner un paragraphe sur deux rêve/réalité, dans le sillon de Volodine. Mes actuelles obsessions musicales me conduisent à calquer le récit sur la chanson Exit music (for a film) de Radiohead : d’en faire un crescendo, de gueuler à la fin. La trame est là, un peu vague, issu d’un rêve de 2008. Ce sont des idées éparpillées, ce n’est pas encore bien réel. J’ai terminé le week-end dernier une version satisfaisante de la troisième partie de Coup de tête. Après avoir relu tout court, je relis sur liseuse, bascule d’un format vers un autre, écrème ce qui accroche encore. D’ici la fin du mois ce sera bouclé. Je crois avoir trouvé ma fin : elle me conduira très probablement à amputer la cinquième partie, qui jusque là faisait office d’épilogue. Je n’ai aucun scrupule à le faire. Demain croiser V. et N. à Paris, entre deux gares. Nous y échangerons quelques anecdotes et autres informations sur nos actualités respectives. La mienne sera la suivante : je me rendrai ce lundi à un entretien d’embauche, le premier depuis plus d’un an, je ne suis plus très sûr de savoir comment faire et, pire, quoi dire. Je ne pense pas être pris. Je ne suis pas sûr de le vouloir.
A la date du vendredi 13 d’un mois quelconque, probablement milieu ou fin des années quatre-vingt, David Menear écrit (Journal des sens, Vol 1) : Aujourd’hui vendredi 13, vu dans le miroir un premier poil poussé sous la gorge, entre clavicules. Observé à la loupe, curiosité. Quel âge avoir ? Quand est-ce qu’on est ? J’en ai craché par terre. Je détesterai que cela puisse se produire encore : j’ai eu la sensation très réelle (et donc la certitude) que je n’avais pas été assez désiré, et je ne peux être désiré qu’imberbe. |
7 février 2010De : G.V. À : N.J. Cc : E.D. Cher N., Me suis bien occupé de la p’tite, te la rends (j’espère) en bon état. Nous sommes trouvés 14h55 gare de Lyon sous les destinations, numéros de trains, numéros de quais, entre palmiers. Ensuite avons remonté boulevard Diderot et avenue Philippe Auguste jusqu’au Père Lachaise. N’avons pas vraiment vu les tombes connues mais n’avons pas cherché. À un moment vue de Paris depuis sommet, tombes et caveaux contre-plongé, la même que F. et moi et H. avions fixé plusieurs minutes il y a quelques années, mêmes arbres février, même gris du ciel et silence capitonné. Nous avons marché plus de cent mètres, sommes à présent lessivés. Passé 17h enfermés dans un bar, retour Châtelet, au Diable des Lombards, proche Beaubourg, parlé de toi aussi un petit peu, mais pas trop. D’après E. les chiottes du Diable sont psychédéliques mais n’ai pas vérifié moi-même. Ai pris plusieurs photos de la petite, séance lumière tamisée mais visage toujours gommé-flou par ailleurs et aspiré derrière, rarement visible (vois par toi-même). Derrière nous couple d’étudiants première année philo qui dissertait concepts entre deux bières puis s’échangeait entre eux des vignettes dinosaures (« pas juste, tu m’as filé tous les herbivores »). E. s’est moquée d’eux et moi aussi un peu. Ensuite séparés 18h10, elle devrait te revenir dans le courant de la soirée. Prends bien soin d’elle. Merci encore pour Psychose, hier. À bientôt, Guillaume PS : E., j’ai vérifié dans le train ma série photos pour 17h34 du jour, navré de t’apprendre qu’une seule a prise, les autres buguées indéchiffrables, celle où tu grimaces avec les dents. Elle sera mise en ligne dimanche prochain, pensais qu’il valait mieux t’avertir. 23 mai 2010Vu N. hier, fait beau, un verre, parlé un peu des trucs qu’on s’est pas dits depuis trois mois qu’on s’est pas vus. Me demande comment avance Coup de tête, si tout est terminé, lui réponds que c’est en cours, qu’il ne devrait plus rester que trois ou quatre mois de travail avant de tout boucler. Ça fait trois ans qu’il reste plus que quelques mois de travail, je précise, alors points de suspension. Il m’explique aussi qu’il comprend rien aux trucs que je balance en ligne, si c’est vrai, si c’est pas vrai, prenant exemple entre autres mon récent passage aux urgences psychiatriques évoqué sur Twitter. Je lui réponds que je comprends pas, que rien n’est faux dans mes notes et que jamais je ne me permettrais de balancer de la fiction dans mon Journal. Qu’on se comprenne. J’ai une éthique. Qu’on puisse croire que c’est faux, vraiment, est une sorte de peur primaire en soit. D’ailleurs le Livre des peurs primaires est toujours en pleine expansion, qu’on se le dise, et signalons au passage la chronique récente de Christine Jeanney sur le sujet, merci pour son retour. Plus tard passage à la F.N.A.C. pour achat divers. Si nous étions momentanément transposé dans le Journal d’Andy Warhol je devrais écrire que achat de Nada et du Journal de Manchette, Le troisième reich de Bolaño et DVD Un jour sans fin & La belle personne = 95€. Larbaud pas encore terminé j’achète déjà un nouveau journal car c’est plus fort que moi : et la première page lue en rentrant dans le RER me donne raison : et Manchette n’a alors que 24 ans : dommage que la couverture soit abimée, m’en suis rendu compte après coup. Je reverrai sans doute N. prochainement. D’ici là retour prévu Sainté du 2 au 6 juin, dans deux semaines, billets payés ce jour.
Ce matin reprise Coup de tête partie 1, premier jour repris aux trois quart, je m’attaque maintenant au deuxième, le but premier étant de dynamiser (dynamiter) le dialogue qui sert à présenter le personnage de Nil. L’idéal, je me suis dit en mettant les mains dans le cambouis des mots, ce serait encore de ne faire parler Nil qu’au discours direct et le narrateur qu’au discours indirect & indirect libre mais ce n’est pas vraiment faisable et ce serait (trop) systématique. - T’es sourd ?, il me gueule. Je te dis que c’est le jeudi ! Est-ce qu’on est jeudi ? Etc. 29 août 2010J’attends le 31 du mois comme si ce 31 là devait être le dernier 31 à jamais voir le jour dans la grille du Temps. Impression étrange. Peut-être car le 31 qui marque généralement la fin des vacances en ouvre pour moi le début. Non pas des vacances, ni même du chômage, mais bien un mois 0, type, qui demanderait qu’à s’éterniser in-dé-fi-ni-ment. Hier vu N. Je lui explique oralement ce qu’il prenait pour une fiction écrite : je lui refais la chronologie, la même que je répète à droite à gauche pour expliquer pourquoi ce mois 0, ce mois type, sera aussi un mois chômé. Fin juin a été décidé la fermeture du bureau parisien de PDG, je lui explique. Ensuite proposition transmise d’être muté ailleurs, un ailleurs poliment refusé. Ensuite ils ont engagé une procédure de licenciement économique pour certains, fautes graves pour d’autres. Ensuite j’ai pris mes clics et mes clacs et le dernier jour chez PDG est arrivé : c’était la semaine dernière seulement : c’était il y a des siècles. Passé par la Fnac, achat Vies de saints, de Rodrigo Fresán que j’attends déjà depuis des lustres. Pour l’occasion, et pour profiter de la parution simultanée au Seuil du Fond du ciel, Passage du Nord-Ouest ressort aussi nouvelle édition de Mantra, nouvelle couverture comprise, pour faire de cette « rentrée littéraire » un événement Fresán. Je reparlerai plus en détail du Fond du ciel plus tard, je le relis encore et parce que c’est un livre aliénigène (au moins) il sera nécessaire d’y revenir.
Par hasard, Fnac toujours, tombé sur 79 carrés Nuit Blancs de Jean Gilbert, acheté par hasard, pour l’avoir si peu feuilleté. Plus loin, Fnac encore, cherché en vain DVD de 2001 l’odyssée de l’espace, pour mieux doubler Le fond du ciel. Passage chez lui, un peu plus tard, après avoir vu avec lui Fenêtre sur cour en DVD et avant d’attraper Le crime était presque parfait sur Arte, N. me prête le DVD de 2001, merci, j’en ai besoin pour disséquer Fresán, pour mieux laisser vibrer au creux des yeux le leitmotiv de la vitesse des choses. 20 septembre 2010Hier dimanche, direct Corbeil – Melun. Le train s’appelle ZIPE, il traverse la campagne, la campagne d’une banlieue de banlieue bien écartée de Paris. Retrouve N., chez lui, plus tard sommes rejoints par E. Bien des années plus tôt, encore à la fac, nous passions nos journées, heures, semaines, grosso modo tous les trois. Aujourd’hui, plus ou moins dispersés dans la carte et le territoire, c’est un miracle si on arrive à s’accrocher tous trois trois fois par an. Dans le ZIPE aussi je termine Lichen, lichen, d’Antoine Emaz, car le bouquin n’est pas à moi et que je dois le rendre à ma mère, prochainement. Faire figure est fatigant. Mieux vaut tenir tête, ou même simplement se tenir, être à la hauteur, pas davantage. Bref ne pas séparer le poète du commun des mortels : une peau, des os, des mots. Le RER entre Corbeil et Melun longe la Seine. Très peu de corps pris dans l’habitacle, beaucoup de sièges libres, quelques écluses bien monstrueuses à quelques points névralgiques de l’eau. Certaines, plus gigantesques encore, plantent sur l’eau des grues métalliques et surréelles. Dans chaque poème il y a au moins un point où, si l’on poussait plus loin, tout s’effondrerait, et nous avec. On retournerait, plus bas, dans l’agitation muette qui a précédé. Arrêt Saint-Fargeau-Ponthierry. En face, derrière la Seine, qui dépasse sous l’ombre des arbres, un autre métallique, celui-là plus imposant, et des pylônes qui crépitent au soleil. Et au sommet des ces pylônes, tout en haut du zinc, au-delà de l’alu, et bien, juste, rien, car ils soutiennent que dalle. S’il n’y a pas d’issue, explorons la cage. Elle deviendra plus vaste. Et est-ce une carcasse, est-ce un OVNI, est-ce superman ? Est-ce que, déjà, c’est quelque chose et si oui où, quand et pourquoi ? Le manque est moteur. Si c’est un OVNI, c’est crashé, si c’est ailleurs, pourtant, c’est bien là, et si c’est un homme c’est un géant, un de ces poteaux électriques à forme humaine qui galopent en Islande. Noter, c’est comme être à côté. On sait que l’on n’a pas la meilleure place, mais à un moment, peut-être, on aura le meilleur angle de vue. Les rails tournent autour de la forme : je la retrouve à Boissise-le-roi. Je n’ai pas meilleure prise sur la forme car la forme est cachée : ne dépasse que les pylônes. Je n’ai même pas pensé à sortir le Kodak pour en prendre une photo. Simplement je me suis dit : back home passer par dessus, Google Earth, et voir vraiment ce qui s’étale sous le métal, ce que cache la forêt et ce qu’abrite la forme. « la nuit tombe / jusqu’où // tout un sac de nerfs nus / et chacun serré cherchant de quoi / rire » Back home, en effet, j’ai dégainé Google Earth, mais Google Earth ne m’a rien offert. J’ai trouvé le lieu mais aucun corps de métal à l’intérieur. Les pylônes, écrasés par la perspective, littéralement bouffés par la vue satellite, se fondent pratiquement avec le nu du sol. Il faut zoomer fort pour les apercevoir. Et autour, juste, rien. Même pas usine, même pas centrale électrique, même pas prison, même pas, même rien. Simplement, peut-être, quelques antennes extra-terrestres, légèrement décollées du sable pour émettre vers un ailleurs plus vrai puisque, justement, bien ailleurs.
Mélancolie, spleen n’ont pas de point de départ visible. C’est brusquement et sans raison sentir le vide de vivre, creuser la mort dans vivre. On ne s’explique pas ce basculement dans le dégoût de tout, l’inertie, l’insipidité, sinon par un masque tombé, celui du clown ou du vainqueur, peu importe. Google Maps, pas mieux. J’espérais un nom, un code, une forme sur la carte dépouillée du cadastre. Mais là encore, que dalle. Juste un point A planté nulle part dans le vide du décor, celui précisément du Livre blanc de Philippe Vasset : une carte vierge de territoire, un gouffre dans la cartographie du réel. « Bird, I cannot see a thing. / It’s all in your mind » 13 novembre 2010Hier soir retrouvé N., V. et M. devant la fontaine des Innocents, et pendant que je les attendais, plaquant sur les corps qui traversaient mon champ de vision leurs visages, ou ce que je me souvenais de leurs visages, une femme le vent dans la tête me demande si
M. nous parle d’un livre de médecine légale qu’il a récupéré et qui « montre littéralement l’effet et le cheminement d’une balle et sa pénétration dans le corps » et je me dis putain ce bouquin est pour moi et je le veux. Il n’y a pas si longtemps, finalement, en sortant de la fac descendre à pieds par la rue Michelet et acheter chez un bouquiniste quelques dictionnaires de médecine, anciens ou non, et les ramener chez moi pour les lire, absolument fasciné. C’est cette absolue fascination que me procure la simple image mentale d’une balle déchiquetant et explosant à l’intérieur du corps, n’importe lequel, et photos à l’appui pour en montrer l’impact, le sens et les répercussions. Et quand on me demande ce que j’écris, je réponds « des trucs minuscules et même sans importance » mais ce que je ne dis pas, c’est que kiss bye boy, dans ma tête tout du moins, est tout à fait prêt à être posé sur l’écran et écrit véritablement, mais que j’ai réellement peur de le commencer, peur de le rater une fois encore et de n’avoir plus, cette fois, rien à écrire du tout. V. me dit qu’en tout cas j’ai « beaucoup publié cette année » et c’est vrai, même si pour moi cette période n’est pas cette année, mais à des dizaines de kilomètres de ma mémoire immédiate, voire a million miles away from home, comme le dit la chanson.
20 décembre 20101
10 avril 2011J’ai dit à H., dans la bagnole, entre ici et là-bas, tu sais suis incapable de juste montrer sur une carte l’endroit qu’on va rejoindre et, ensuite, après notre arrivée hier et premier jour ce matin je saurai toujours pas, toujours pas comment dire, au juste, où on est ni pourquoi. Je crois que c’était ça le but. J’aurais envie d’écrire ici ou ailleurs, sur papier, sur écran, sur messagerie perdue dans un portable éteint, peu importe, que, chère maman, oui, nous sommes bien arrivés, que le voyage s’est bien passé et, oui, que c’est superbe ici, car il n’y a tout simplement pas le moindre son autre que nos propres respirations, idées, humeurs, pulsations sous le voile de la peau car c’est la nature, la vraie. Hier soir, nuit tombante, avons traversé un bois dans le noir ou le gris, au sol tapis entiers de fleurs de gaz, pétales bleus, bout de la tige, dans la nuit, l’air gris ras du sol, on aurait dit quelque part ou ailleurs (ailleurs, là encore) que la flamme Butagaz était là tout autour prête à servir de prétexte à sa détonation (mais j’avais pas d’allumette). J’écrirais également que, non, chère maman, nous n’avons ni allumé la télévision ni branché nos laptops, car la lumière et le jour sont ici véritables et, il se trouve que, non ce n’est pas une blague, il y a des chevaux juste à côté d’ici, là-bas, séparés de nous-mêmes par une simple barrière et, l’un d’entre eux, je le crains, serait du genre à nous tourner autour jusqu’à nous rendre fous, alors je me méfie, sois sûre, je me méfie big time. Comme dans la chanson, je voulais voir Honfleur, nous avons vu Honfleur, est-ce que sinon, surtout, le serveur du resto était libre ? Fallait, c’est vrai, lui poser la question. Sur la plage, plus loin, baignade interdite, vue sur Le Havre industriel, et entre nous navire, plate-forme plutôt, baptisé Atlantis, et dont le job était visiblement d’aspirer la tôle, la merde, la caillasse pris au fond de l’eau grise. On a maté, scrupuleusement, le métal remonter. La photo vient de là. Seulement, voilà, mes mots, ma lettre, le lendemain de l’arrivée, prendrait plutôt la forme d’un texto qui dirait simplement : chère maman, oui nous sommes bien arrivés, oui sommes toujours vivants (jusqu’à preuve du contraire). Plus tard, N. par texto me demandera si on peut se voir, si on peut juste se voir, mardi peut-être, et ce que je répondrai : je ne suis pas ici. 22 avril 2011Je sais toujours jusqu’où m’asseoir une fois littéralement en train, à droite ou bien à gauche, pour ça faudrait encore qu’on soit soit le matin ou bien en fin d’après-midi car à ces heures précises je sais toujours sur quel bord versera le soleil (toujours je choisis l’ombre). À gauche en tenant devant moi le sens du train, toujours. En début d’après-midi tout est très différent (car le soleil ondule). Alors je suis jamais bien sûr de choisir quel côté, quelle bordure, quelle fenêtre, me couperait la lumière (car toutes les voies tortillent) alors je prends le risque de m’y exposer (et ça ne manque jamais).
9 juillet 2011Tu déménages ? Où ça ? C’est un lieu ? Ça existe ? C’est plus petit que... ? Plus loin ? Plus grand ? Plus grand. Plus calme. Mieux foutu ? Mieux foutu. Ça pouvait pas être pire. Enfin je voulais pas dire... Enfin je veux dire. Tu vois ce que je veux dire. Tu veux manger ? T’as faim ? J’ai pas mangé. J’ai faim. Ça te dérange si je mange ? J’ai pas mangé. J’ai mangé ici avec P. une fois. En fait, tu veux que je te dise ? J’ai aussi mangé avec V. ici une fois-. En fait c’est pas génial. Mais c’est ici alors... Tu manges ? Je me rase plus. C’est fini tout ça. Plus jamais plus jamais. J’ai perdu trois kilos oui. Ça se voit ? J’ai rien fait pour. J’ai rien fait pour. Oui j’ai un nouveau taf. C’est bien génial, c’est même l’éclate totale, si tu savais. Ça oui. Mieux que dans mes rêves, dans mes rêves éveillés, lesquels sont plutôt craignos laisse-moi te le dire. Je veux dire : qui peut rêver être payé à faire semblant de bosser pendant des heures tout en lisant Ulysse, n’importe lequel ? J’ai l’impression d’être gardien de parking. J’ai toujours voulu être gardien de parking. Pas toi ? À l’école je me disais : oui mais je sais que je peux faire mieux que je peux cartonner alors à quoi bon le faire effectivement puisque je sais que j’en suis capable ? Et puis ça ne m’a jamais intéressé d’être plus brillant qu’un autre, je suis comme ton rouquin du premier rang, celui désespérant. Je suis désespéré. Est-ce que tu l’écris en annotation en haut de ses copies ? Tu devrais. Je veux dire je devrais l’avoir écrit. Je veux dire l’avoir lu. Et tu as lu ceci ou tu as lu cela ? Tu devrais. Moi, je n’ai pas lu le passé. Je veux dire je n’ai pas lu Le passé. Je sais bien. Il est quelque part sur mon bureau, devant moi, mais recouvert par quelques autres. Il faut savoir gérer ses priorités. Tu as de nouvelles de V. ? Moi non. Elle ne répond pas à mes mails. J’en ai envoyé un. Non il n’appelait pas de réponse. Mais quand même. Bien sûr qu’elle travaille trop. Enfin elle est trop elle-même. Mais on lui en voudrait du contraire. Je lui en voudrais du contraire. Bien sûr je lui fais signe. Je lui fais signe. Tu sais j’ai gardé note de toutes nos conversations et tous nos mails bien sûr et nos conversations MSN, elle me disait : t’as pas fait ça ? Et moi : bien sûr que si ! Et je les publierai un jour où elle sera célèbre et elle me dira mais quel salaud, enfin bon c’est pour la postérité, il faut bien y passer. Moi je garde tout. Même ça. Même ça. Non je rentre pas. Enfin si mais non je rentre pas. Pas de vacances à cause du nouveau taf mais c’est normal, c’est merveilleux. Tu déménages quand ? Tu dis si je peux t’aider. Enfin pendant un week-end faudrait parce que sinon ça va être... Ah oui dans ce cas je crois que je pourrais pas, en voilà une excuse crédible. Attends je prends une photo. De toi et puis de l’arrière plan panoramique de toi. Pour mes archives. Les mots aussi, dans mes archives. Je prends tout des fois que ça vive. Pour que ça vivre. Me reproche pas de vouloir que ça vive. Je veux m’extraire des moutonneries comme tu dis. Si tu l’as dit. T’as dit moutonneries. Moi je l’ai entendu. Tiens. C’est romantique. Je vais prendre autre chose, tu veux quelque chose ? On va prendre quelque chose. Si je me souviens bien sûr. C’était en troisième année. J’ai pas pris ce cours pour le livre, je l’ai pris pour le prof. C’était cool. Non en fait je l’ai pas lu le bouquin. Ni ceux autour. Mais c’était cool. Enfin sauf quand avec E. on allait à la place au ciné, on allait souvent à la place au ciné, c’était cool. Je regrette cette époque. Bien sûr que je la regrette. Bien sûr que j’avais envie qu’elle se termine pendant que je la vivais. J’ai bien envie que celle-ci se termine. Vivement que je la regrette. Je me demande bien ce que je vais regretter. C’est ça tout le sel de la vie, c’est comme le goût des doigts après les chips. E. va bien. Elle est en Thaïlande. D’après moi ce genre de tourisme. Bien sûr qu’elle me l’a dit. Enfin je l’ai entendue dire quand elle ne l’a pas dit, tu sais comment elles sont. Les filles je veux dire tu sais comment elles sont. J’avais pas aimé Jaccottet. J’ai trouvé ça chiant. Je trouve toujours. Je veux dire quitte à choisir du contemporain autant prendre du bien, non ? Attends c’est l’heure. C’est l’heure de la photo. Chaque fois que je dégaine l’oeil je vois mon reflet dans l’écran de l’oeil, celui derrière. À chaque fois ben je me dis que c’est ce reflet là qu’il faudrait que j’attrape mais c’est même pas possible pas vrai ? Pas vrai ? Tu as vraiment besoin de quelqu’un pour ton déménagement ? Tu reveux quelque chose ? Non, non merci je vais y aller. Je vais y aller, Soupirou est tout seul. Il a un enclos, mais il est tout seul. Avant ils étaient deux mais maintenant il est tout seul Soupirou. Mariette et Soupir. Un classique de mon enfance. Et crotte de bique. 6 août 2011Show me slowly what I only know the limits of J’ai souvenir d’un oral de troisième année sur Proust, nous étions deux pour le faire, et travailler avec N. ça ne m’est finalement pas arrivé si souvent que ça, peut-être même uniquement cette fois là, mais je m’en souviens parfaitement car travailler avec N. ça voulait dire mettre les bouchées doubles pour être à son niveau. Je ne me souviens pas de la note, mais d’un exposé plutôt réussi (et je me souviens du mot, du mot « semelfactif », balancé comme ça sur la table de travail entre nous comme s’il n’avait jamais existé auparavant, d’ailleurs c’était le cas). Et des dessins au tableau imprimant la fameuse « réciprocité des regards », ce que n’importe quel étudiant avait déjà dû faire avant nous oui mais nous avions l’impression d’être les premiers. Je ne me souviens plus exactement du texte lui-même, comment il était découpé, et s’il couvrait bien ces deux paragraphes et non plus (ou moins).
C’est Ulysse qui m’extirpe ce souvenir hors de tête en rejouant la scène, peut-être pas celle d’une love at first sight mais ce fameux et leurs yeux se rencontrèrent, ce qui n’est déjà pas si mal, dans la partie Nausicaa.
Le ballon renvoyé par Bloom aux enfants est dévié sur la plage et termine sa course sous la jupe de Gerty, laquelle fantasme sur l’étranger anonyme qui reste « by himself » du côté des rochers, lequel étranger se masturbe « by himself » en observant Gerty, laquelle quittera la plage à la fin du chapitre révélant qu’elle n’était pas dupe quant aux activités solitaires de l’étranger (« Gerty MacDowell noticed the time she was there beacause she was as quick as anything about a thing like that, was Gerty MacDowell, and she noticed at once that that foreign gentleman that was sitting on the rocks looking was
Il s’agit de la même vision (je me souviens dans cet oral que notre explication était centrée autour et contre ce mot, la vision, aussi bien celle de l’oeil que celle dedans : la machine à fantasme) qu’on traîne lorsqu’on aperçoit de l’autre côté du quai un corps, n’importe lequel, comme cette côte de mouton au soleil qui s’approche pendant que le train se remet à bouger, et entre deux visages un poteau quelconque poussé là sur le quai par hasard qui lui ne bouge pas, seul élément fixe entre deux corps en mouvement qui avancent à vitesse égale mais opposée : c’est à dire qu’il restera planté entre nous à jamais : c’est à dire que je ne verrai jamais son visage ni lui le mien, aucune réciprocité des regards ici bas. 9 novembre 2011
Hier est aujourd’hui, aujourd’hui c’est demain. J’explique à E., par téléphone, piétinant sous mes semelles d’autre semelles gorgées d’os et de chair, l’air est vicié, j’explique qu’il l’est, il tourne en boucle sept heures de suite dans l’air des bureaux chaud, j’ouvre les fenêtres plein axe, elles donnent sur Novembre toute l’année, pour respirer autre chose que ma propre petite gorge, mais ça ne suffit pas, et une fois venue l’heure de m’extirper d’ici une autre nuit s’amarre et me jette sec jusqu’au prochain demain. Ça me tape sur le crâne. J’avale des comprimés. Je rêve le crâne ouvert des sangsues capable, elles, de me sucer le front pour aplanir les vagues. Pour m’en débarrasser déplacer sang, les litres, autre part mais où les foutre ? E. me dit qu’elle arpente : ça s’entend. Moi aussi. Elle dehors, dedans moi. À quelques centimètres de nous nos deux ombres moulées, le fil tient bon, nous dérivons lentement, mois après mois, année après année après année encore 1 l’un(e) de l’autre. Dans quelques mois elle s’envolera pour le septentrion, non, pas le septentrion mais l’orient, et moi je resterai vissé aux centimètres, ceux mêmes qu’hier, c’est-à-dire aujourd’hui. Elle me dit j’ai rencontré un arbre au parc de la Tête d’or. Je lui raconte Versailles. Je verrai N. dans une quinzaine de jours. Passe lui l’bonjour.
15 novembre 2011
Tout gèle, les pare-brises et la prune de nos yeux. Quatre jours off dans la nuque sont devenus des jours, des semaines. Les bureaux sont bien vides. Tout le monde s’est barré. Hubert Nyssen est mort. Je prends des coups de jus dans chaque tempe en écoutant Daft Punk. J’ai dans la tête Diego libre dans la sienne depuis la veille et matin. Alors je pense à N., P. Le gars de la gauche, le siège en face, ouvre sa fenêtre sur la nuit, inonde la rame des cinq degrés Celcius d’à côté et volatile l’alcool depuis sa peau vers les nôtres. Je décline : on m’appelle pour me donner du taf. Le correcteur automatique de l’iPhone m’impose au pouce le mot marché à la place de la marche. Je peste contre le sale diktat de la phynance. 28 novembre 2011
Je vertige face au quai, suis mort ici quasi vingt fois, suffirait d’un crâne dingue, coup de coude, épaule, pression vers devant qui déraille ; je me souviens des brosses Teloc, qui me lécheraient le visage. Lundi les brumes montent, on fourmille sous l’air blanc. Novembre émerge et baigne. Je m’en tiens aux quelques constantes flagrantes : je mets les pieds dans tel train, me dirige vers le nord, le fleuriste est fermé, les clodos sont dehors, un Maigret dure 180 pages. Au taf ne suis plus très sûr de bien savoir qui je tu, qui je vouvoie. Hier passant l’après-midi chez N. je n’ai pu m’empêcher de remarquer, devant sa fenêtre, fendre les trains, une espèce de mes rêves, pour ça j’adorerais vivre quelque part Gare de Lyon et voir filer (et non plus fendre) sur les rails tous ces monstres, Teloc ou pas. Matriochka (cliquer)J’ai souvenir, durant rencontre avec Frédéric Boilet, qu’il me parle de cet envie de dessiner un album, ou de tourner un film, je ne sais plus, ou peut-être qu’il parlait de quelqu’un autre ou de lui-même, mais bref, cette envie de fixer une gare, rien qu’une gare, et les trains bouillonnants, voire même fixes. Teloc ou pas je le prends quand même. Je monte le volume. Bach est un câble entre mon père et moi. La nuit tombe blanche. Maigret dure 180 pages. Les grues causent cash au kit main libre. On me demande mon chiffre en kilo. Je dis ce que je pèse. 17 décembre 2011J’avais dit à H. : on a rendez-vous à 15h, j’y serai à moins le quart, eux à l’a-demi (et c’est le cas). Je le répète indemne à V., pris dans l’Escalator qui nous arrache au ventre. N. est derrière qui feuillette une pub de lingerie. J’ai eu le temps, les attendant, de filer dans le cinquième, librairie Compagnie, n’y pas trouver Hôtel clair de crime de Werner Kofler, en choisir un autre à la place, les Leçons sur la langue française de Guyotat, me prendre sur la gueule de la flotte, revenir, me poster sur mon X, attendre encore un peu, avant de pouvoir leur en faire le récit exhaustif, par pur soucis de culpabilisation. On se pose au Molière. Y parle.
Je n’avais jamais mis les pieds à la BNF, pas plus que je n’avais ouvert, jusque-là, de Boris Vian devant mes yeux. Un fantôme de moi se rappelle d’une époque où il n’y avait pas, autour, tous ces bâtiments neufs de beaux quartiers d’affaire. Je passe un peu à l’ouest de l’expo elle-même (je mens, me rajeunis pour passer sous la barre du tarif réduction), prends en photo cette phrase, trouvée con. V. elle me dit : comment tu peux la trouver con cette phrase ? Mais moi : la vraie question c’est comment toi tu peux ne pas. On y rejoint C., avec qui j’ai traversé une partie de mon cursus scolaire, avant de la retrouver par hasard à la fac ; depuis la fac, justement, nous ne nous étions pas revus. En quittant la BNF, pas de Kofler non plus. Je mate la maquette dans le couloir, et les petits piétons fictifs collés dessus (car j’en suis un).
Par la 4 atterrissons à Alésia, puis chez F., une fille avec qui paraît-il nous aurions partagé une année de fac, avant que je m’en aille. Elle est aujourd’hui journaliste politique et moi je fais comme si je me souvenais d’elle (c’est-à-dire rien). Mais préviens : je reste pas. Rentre très tôt par le dernier direct. Je file à V. un sac qu’un de ces concours de circonstance m’a collé entre les mains la veille. Poreux je fais encore le robinet, me barre. Avant cela prononcé quelques mots, pas plus, quasi aucun réel, comme souvent.
28 décembre 2011Je reprends, retour, encore le même numéro de train. Ma tête respire l’encens. E., Lyon, proche Terreaux, nous invite dans son appart, nous présente M. (rencontre). N. avant de mettre un pied dans le même TER que moi m’envoie texto par erreur : Petite poule en mousse tu t’appelles Henriette. Une fois rejoint dans le même wagon lui demande : est-ce que c’est tendancieux ? Est-ce que je peux le raconter à tout le monde via l’autoroute de l’information ? J’ai oublié ce qu’il a pu me répondre.
Parle-t-on autant de moi, en mon absence, que nous, en l’absence d’autres que nous, nous parlons d’eux ? Je m’étais jamais posé la question. Car quand je quitte la pièce la pièce on la dynamiterait. L’autre soir, chez F., tôt, après mon départ il lui ont lâché l’adresse d’ici, très bien, mais qu’ont-ils pu trouver à dire d’autre que ce qui avait déjà été dit, soit si peu ? Sur l’iPad, noir et blanc, le visage du marin, pris en stop par une conductrice hystérique et déjà morte, articule quelques mots puis s’enfuit. You don’t need a boyfriend, qu’il lui dit, you just need a good night sleep.
VF
2 janvier 2012Ouais j’ai envie de me tirer une balle par la fenêtre. Après ma sieste la plupart de mes compagnons de cellule, non, rame ou wagon, partage entre leurs yeux, les miens, les nôtres, la même sale paire de songes, à savoir mais qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que j’ai fait putain pour me retrouver ici ce jour et à cet endroit même ? Et : est-ce qu’on ne pourrait pas trouver autre chose à faire de nos vies, autre que d’être ensemble et mort, de retour vers le taf, une année de plus encore, la même que celle d’avant et celle précédent celle qu’on vient à peine de taire ?
On a eu cette conversation chez E. : trahir ses rêves d’avant. Mais le fait est que mon rêve de mes seize je le vis. Je voulais vivre ailleurs et j’y suis. Avant tout avec H. Ecrire en toute priorité, ne pas en vivre. Lire et même plus qu’il n’en faut. Checker matin si le husky d’en face est là et si oui s’il hurle. Et oui.
Hier avons vu Smoking, d’Alain Resnais, théâtre sur pellicule, où l’intrigue s’inverse à coups de contingences et de « ou alors il dit : », s’en suit alors une autre réplique qui vient en remplacer une autre, déjà vue, et qui accouche d’une autre intrigue, etc. Soit le principe, en fait, de mon vies //.
Je badge et me jure que si un seul d’entre eux me joue clairon du bonne année je fais demi-tour et file ma dem à un fantôme de chef. On me dit bonne année, plein de bonnes choses, et merde, mais j’ai pas les c. Bientôt on me colle, on me dit bonne année puis plein de bonnes choses et tiens voilà la bise. Sur mon bureau on a posé deux magazines dont les unes titrent : La fin d’un monde (sous-titre Le salaire des cadres) et L’Europe Allemande. Au tel, par mail, en pouces, on nous dit bonne année, plein de bonnes choses. Chacun des commerciaux de la boite, éparpillés mais là, envoie à tous contacts une carte de vœux animée d’au moins 18Mo le mail. Les cartes disent bonne année plein de bonnes choses et sous leurs mots la neige.
Et si on était Smoking ? Après un panneau peint et interlude au piano on nous dirait « ou alors il dit : » et je dirais autre chose, mais si longtemps avant, assez pour tout faire dérailler en quelques sons à peine. Quand je reprends, passé proche, mes derniers bons souvenirs, j’attrape la semaine en Normandie, printemps dernier, où une tique m’a bouffé trois kilos. Le cheval indécis nous mate par la fenêtre dans notre hutte en verre. J’avale boudins aux pommes, Honfleur. Les lapins, toujours deux, bouffent jaunes les pissenlits par la tête. Je termine Infinite Jest et le soir, deux, Doctor Who. Je veux y retourner, pigé ? Mais pas y retourner physiquement. Retourner, dans le temps, X mois plus tôt et glisser mes mêmes pas dans chacun des vieux miens. Je dirais les mêmes mots. Ou alors je dirais (à mon oreille dirais) : gaffe à M. Lapin car il est presque mort.
Je paye, pour un euro, avec un billet de cinquante à blanchir. Je m’excuse, j’dis voilà. Le type me rend la monnaie, m’assaisonne bonne année, plein de bonnes choses.
Je prends sur mon temps P pour traîner le long des vitres de luxe, trouver costume qui fasse pour le repas de fin d’année bis de la boîte, prévu fin du mois-ci, et je me vois faire dans la doublure du verre ; comment, putain, j’ai pu en arriver là ?
Ou alors je dis : bonne année, plein de bonnes choses et tiens : c’est ce que j’écris, texto, à N., avant d’ouvrir, fermer, lâcher n’importe quelle porte de n’importe quelle façade fugace du jour dont j’essaye de m’extraire (mais j’échoue, car en fait j’essaye pas ou alors on dirait que j’aurais dit j’essaye). |
↑ 1 Lapsus clavier : pour encore j’écris encre.