Comme je l’explique à Lou entre les allées du salon de L’autre livre au Palais de la femme (ou bien était-ce dehors pour un peu de fraicheur et de tabac ?), écrire aujourd’hui consistera essentiellement à recopier des jours et des jours de journal saisis manuscritement il y a des semaines et qu’il faut à présent reporter dans Spip, c’est comme ça. J’en profite également pour rattraper mon retard dans l’herbier pour Morphine(s) (c’est important). Ce faisant, je retombe sur cette citation de Jünger 1 dans Approches, drogues et ivresse :
L’euphorie et l’insensibilité à la douleur résultent de l’inspiration de substances volatiles, telles que le gaz hilarant ou l’éther, qui fut, vers le tournant du siècle, un narcotique à la mode, et auquel Maupassant a consacré une étude.
Ce qui m’amène à rechercher cette étude qui est é(ou con)voquée là, et à ne pas la trouver. Je mets H. à contribution. M’indique un site plein de textes de lui (Maupassant) devant lequel je fais chou blanc (white cabbage). Il y a bien ici une page qui recense les chroniques de Maupassant, mais rien qui concerne l’éther. Je tombe sur un autre site qui mentionne en citation un curieux « Expérience à l’ether », qui en réalité correspond à un fragment d’une nouvelle, « Rêves ». Mais c’est encore autre chose, Jünger parle d’une étude et non d’une nouvelle. À moins que ce soit une erreur de traduction ? Pas sûr, on trouve trace dans un livre (Ernst Jünger : Dans les tempêtes du siècle une nouvelle fois de cette étude (et de ce mot) :
Lorsqu’il [Jünger] était à l’hôpital de Valenciennes en novembre 1916, il avait lu avec intérêt l’étude de Maupassant sur l’éther, qu’il traduira d’ailleurs en septembre 1919.
J’ignore pourquoi cette histoire d’éther est d’importance (pour Morphine(s)), même pas si ça se trouve, mais ce que je fais s’appelle une fixette et j’aimerais mettre la main dessus. On trouve la même mention à cette traduction dans le n°48 de Nouvelle école, qui dit sensiblement la même chose que le précédent :
Rappelons [...] qu’il [Jünger] a lui-même contribué à la diffusion d’auteurs français, en traduisant en allemand les Maximes de Rivarol, une étude de Maupassant sur l’éther et In memoriam de Paul Léautaud.
Sur un blog cette fois, mention suivante :
Plus tard, alors que les tranchées lui donnaient l’opportunité de lire, il [Jünger] tomba sur une étude de l’ivresse de l’éther par Maupassant qui, ce dernier la définissant comme une révélation acoustique, lui donna l’envie d’en entendre la musique vaporeuse.
Sur le site de spéculation bibliophile (?) Abebooks, on trouve une édition de Vom Äther de Maupassant, traduit par Jünger (198€), réalisée à 50 exemplaires et associée à des aquarelles de Paul Mersmann. J’ai l’impression d’être dans un roman de Pynchon, à chercher un livre qui n’existe pas en français, mais qui a été traduit en allemand, et dont je ne retrouve nulle trace nulle part si ce n’est dans son association à son traducteur (peut-être l’a-t-il lui-même inventée cette étude ?). Grâce à un autre blog, en anglais celui-là, je remonte à une autre mention par Jünger de cette étude, qui devient ici un essay, dans ce que je prends pour son journal en date du 3 mars 1948, chez lui à Kirchhorst. Mais en allant chercher dans La cabane dans la vigne, son journal couvrant la période 1945-48, je ne trouve pas cette entrée (on passe directement du 5 janvier au 6 mars). C’est parce qu’il ne s’agit pas de son journal mais de sa correspondance (privée) avec Albert Hoffman. Il dit, en substance (traduit de l’allemand vers le français via l’anglais) :
L’essai que Maupassant a écrit sur l’éther est à mes yeux d’une telle perspicacité.
Mais voilà que sur archive.org, j’en reviens à nouveau à la nouvelle « Rêves », puisqu’on peut lire (je traduis) :
Jünger a traduit l’étude que Guy de Maupassant a dédiée à l’éther, cf. "Vom Ather",traduit le 8 septembre 1919 depuis "Rêves" de Maupassant.
Retour à la nouvelle, donc, qu’on peut trouver facilement dans le recueil Le Père Milon, par exemple sur Wikisource.
Il s’agit bien d’une nouvelle, structurée, organisée, des personnages, des dialogues, avec un semblant de chute à la fin. La fin, justement, renvoie à une autre nouvelle, via une note de bas de page : « Sur l’eau », texte paru dans le recueil La Maison Tellier en 1876, six ans plus tôt que Le père Milon. Non, en réalité il y a deux textes qui portent ce titre, cette fameuse nouvelle, et un récit de voyage beaucoup plus long 2 et, bien sûr, je ne sais pas auquel des deux textes renvoie cette note qui précise page 142 à 144 (mais de quelle édition ? mystère). On peut logiquement opter pour le récit, compte tenu de l’amplitude de la pagination. Effectivement, à part une petite part d’ivresse due au rhum, rien sur l’éther dans la nouvelle. Il s’agit bien du récit, un passage situé à peu près au milieu, après un détour médical qui parait étranger à la scène au niveau du sens, mais pas au niveau de la narration.
J’ai toutes les peines du monde à mettre la main sur l’édition allemande du livre de Jünger, qui s’intitule Annäherungen. Drogen und Rausch : j’aimerais savoir quel est le mot exact utilisé (et qui a donné en français étude). Même via Google Books, je ne trouve pas, ils n’ont semble-t-il pas indexé ce livre. On trouve plus facilement sa traduction anglaise sur archive.org (Jünger n’est pourtant pas dans le domaine public), ce qui nous permet de consulter la version anglaise de notre phrase d’origine :
Euphoria and analgesia ensue from the inhalation of volatile substances, such as laughing gas and ether, which was, in the last years of the 19 th century, the fashionable recreational vehicle, and Maupassant devoted an essay to it.
On retombe sur le mot essay. Il existe une version numérique allemande du livre, qui est disponible via Kobo sur le site de la Fnac, mais je ne sais pas si j’ai réellement envie de débourser 20 balles pour un mot (non). Si je m’en remets aux articles ou aux livres qui évoquent ce passage (mais sans jamais le citer), et qui sont eux accessibles en ligne, ce serait le mot Studie qui aurait été employé à l’origine. C’est aussi le mot qu’on peut retrouver dans Werk, de Jünger, paru quelques années plus tôt :
...kleinen Studie von Maupassant über den Äther 3...
Une étude, donc, mais peut-être aussi une esquisse ? Et ici, elle est petite (kleinen), ça semblerait donc coller, ce qui clot ici cette histoire narcotique et enterre mes espoirs d’essai authentique écrit par Maupassant sur l’éther, qui était quand même le truc le plus intéressant ici (l’inventer à sa place, peut-être).
↑ 1 Traduction Henri Plard.
↑ 2 De façon tout à fait inattendue, je retrouverai dans ce récit une digression sur la foule que j’ai dû étudier au lycée il y a longtemps et qu’il m’est arrivé de rechercher, sans succès, ayant tout oublié et de l’auteur et du contexte. Eh bien c’est là, mais bien sûr je ne me souviens plus pourquoi, et quand, je cherchais à le retrouver.
↑ 3 ...petite étude de Maupassant sur l’ether...
♗Les plus lus : 270513 · 100813 · 130713 · 120614 · 290813 · 271113 · 010918 · 211113 · Fuir est une pulsion, listing adolescent · 120514 ·Derniers articles : 290324 · 280324 · 270324 · 260324 · 250324 · 240324 · 230324 · 220324 · 210324 · 200324 · Au hasard : 110909 · 140322 · 260619 · 280122 · Semaine 33 · 040612 · 290821 · 020513 · 280713 · Daniel Sada, L’odyssée barbare · |
♘Quelques mots clés au hasard : Ryuchi Sakamoto · Raymond Carver · Christophe Chabouté · Yannick Haenel · Doris Lessing · Alban Lecuyer · Cédric Duroux · Valérie Rouzeau · John Cheever · Raymond Queneau · Albane Gellé · Lapins · Chris Kelso · Manuela Draeger · Ayerdhal · Keigo Shinzo · Georges Simenon · Henri Vernes · Michel Volkovitch · Joey Bada$$ · Jacques Roubaud · Baptiste Morizot · Jean-Yves Fick · Onlit · Mœbius · La Haye · François Bonneau · Jordan Mechner · Yun Sun Limet · Jonathan Wilson |
♙Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010) |