...j’essayai de m’imaginer me persuader que j’étais un cheval, je gisais mort au fond du fossé dévoré par les fourmis mon corps tout entier se changeant lentement par l’effet d’une myriade de minuscules mutations en une matière insensible et alors ce serait l’herbe qui se nourrirait de moi ma chair engraissant la terre et après tout il n’y aurait pas grand-chose de changé, sinon que je serais simplement de l’autre côté de sa surface comme on passe de l’autre côté d’un miroir où (de cet autre côté) les choses continuaient peut-être à se dérouler symétriquement c’est-à-dire que là-haut elle continuerait à croître toujours indifférent et verte comme dit-on les cheveux continuent à pousser sur les crânes des morts la seule différence étant que je boufferais les pissenlits par la racine...

Claude Simon, La route des Flandres, Minuit

Collyres encore. Dix prises par jour de trois produits différents, espacées à chaque fois d’un quart d’heure, ce qui nous fait vingt gouttes par jour, mais dix moments cadencés, saccadés, rythmés, pour ne pas que ces trucs se mélangent, se neutralisent, s’ensemencent. Et cette marque colorée fait que j’ai les yeux jaunes. Alors je pleure des larmes d’or ou d’ocre et ce qu’il en reste, c’est de la bien mauvaise poésie. Les travaux à l’étage du dessous se poursuivent (peinture), si bien que c’est encore la même métaphore à l’œuvre. Rien ne fonctionne aujourd’hui : bugs à tous les étages (sur notre propre site, sur le site dédié aux bibliothèques abonnées, sur l’espace de métadonnées Hachette de nos livres, sur le site du dépôt légal de l’imprimé). Une autre métaphore en soi. Quel serait le message ? Ça ne fonctionne pas. C’est comme dans la vie. Quand on essaye d’être dedans, ça ne fonctionne pas. Quand on prend peu à peu ses distances et qu’on regarde le tout (ou, plus sagement encore, qu’on s’abstient de regarder), ça ne fonctionne toujours pas, d’accord, mais au moins n’est-on plus soi-même en tension vers ce point de rupture où rien ne va. D’autres métaphores sont possibles : 1) J’imprime désormais en niveau de gris pour économiser l’encre. 2) Quand j’attends que le feu passe au vert, je mets ma tête dans le petit carré d’ombre que projette le signal des piétons. 3) On reçoit dans les paniers de l’amap un sac de petit épeautre dont on n’a pas idée de que faire. 4) Je choisis moi-même ma brioche à l’ancienne à la boulangerie. 5) Une bulle d’air s’est formé au goulot du collyre qui menace de m’emporter dans les airs et de me balader autour du monde comme un zeppelin. 6) Quelqu’un dans un café (un serveur qui parle à des Américains du Tennessee, disent-ils) disant : if you want a little bit cocaine, that will do (je crois que ce qu’il veut dire c’est cooked, mais c’est cocaine qu’on entend). 7) Je débranche mon imprimante la nuit pour qu’elle arrête de faire ses mises à jour intempestives (ou bien, qui sait, ses conciliabules de machines liguées contre l’espèce humaine ?) à deux heures du matin. Et je vis mieux comme ça.


samedi 18 mai 2019 - dimanche 21 janvier 2024




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Article publié Article 240324 GV il y a 18 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)