Je regrette rien. De ce que j’ai fait. Pas fait. De ce que j’ai dit, où je suis allée, qui j’ai aidé. Suivre ta mère, aller chez toi, ouvrir ton ordi. Je te dois rien. Tu me dois rien. On se connaît pas. Et on est quitte.

Suivre ta mère m’a permis d’aller chez toi. Aller chez toi de voir ta chambre. Voir ta chambre trouver l’ordi. Puis c’est tout. Ça s’arrête là. J’ai vu, j’ai parlé. Rien de tout ça m’explique pourquoi. Pourquoi tu t’es barré, ce que t’as fuit au fait. Je pensais voir, pensais comprendre. Comme avec une esquisse où voir ça suffirait. Chez toi ça suffit pas.

Je me suis posée la question. Savoir si je serai prête à fuir. À tout plaquer. Oublier, ma famille, le lycée, ma vie. Oublier toute celle encore écrite en pointillés. Oublier médecine et mes parents le répétant jusqu’à ternir le mot. Oublier mes marges, mes mots coincés à l’intérieur. Oublier mes esquisses, toi, moi, redéfinis par les mots, les marges, le reste. Je me pose encore la question. Je pèse le pour, le contre. Me demande si toi aussi. Si tu as pesé. Le même genre de pour et le même genre de contre, avant de prendre ta saloperie de décision. J’aimerais savoir : ce serait une décision qu’on prend ? Ou quelque chose qu’on sait ?

Tu commences à me connaître. J’ai mis ces doutes dans de l’encre et puis cette encre je l’ai écrite. Ces questions. Du moins j’ai voulu. J’ai pris mes mots. Mes marges. Mes doigts silencieux balancés sur l’écran. Le clavier en sourdine, éteinte la lampe. Mes mots censés déplier des mystères. J’ai voulu. J’ai essayé. Mais mes mots, ils sont où ? J’ai cherché. Ni sur l’écran, ni dans mes marges, ni dans mes doigts. Encore moins dans ma tête. Je suis restée les bras autour. Tout autour de mon corps. À voir clignoter sur l’écran le curseur. À voir le noir jaillir. L’écran de veille pointer. Peut-être me suis même endormie, dans le noir si factice de l’écran trop éteint. Mes mots tus dans ma gorge. Des fourmis dans les doigts. Mes doigts inutiles. Les yeux secs, la langue lourde.

Je crois que c’est pour ça, Pierrot, que j’arrive pas à te comprendre. Pour ça que l’écran blanc le reste. Que mes doigts sont silence. J’ai pas les mots pour. Ou bien je les cherche. Pour ça que moi, je pourrais pas partir. Parce que je cherche encore.


Premier jet du 04/02/11

Je regrette rien. De ce que j’ai fait. Ou pas fait. De ce que j’ai dit, où je suis allée, qui j’ai aidé. Suivre ta mère, aller chez toi, ouvrir ton ordi. Je te dois rien. Tu me dois rien. On se connaît pas. On est quitte.

Suivre ta mère m’a permis d’aller chez toi. Aller chez toi de voir ta chambre. Voir ta chambre trouver l’ordi. Puis c’est tout. Ça s’arrête là. J’ai vu, j’ai parlé. Rien de tout ça m’explique pourquoi. Pourquoi tu t’es barré, ce que t’as fuit au fait. Je pensais voir, pensais comprendre. Comme avec une esquisse où voir ça suffirait. Chez toi voir ça suffit pas.

Je me suis posée la question. Savoir si je serai prête à fuir. À tout plaquer. Oublier, ma famille, le lycée, ma vie. Oublier toute celle encore écrite en pointillés. Oublier médecine et mes parents le répétant jusqu’à ternir le mot. Oublier mes marges, mes mots coincés à l’intérieur. Oublier mes esquisses, toi, moi, redéfinis par les mots, les marges, le reste. Je me pose encore la question. Je pèse le pour. Le contre. Me demande si toi aussi. Si tu as pesé. Le pour, le contre. Avant de prendre ta décision. J’aimerais savoir c’est une décision qu’on prend ? Ou quelque chose qu’on sait ? Quelque chose qui est là. Évidence. J’aimerais savoir pourquoi.

Tu commences à me connaître. J’ai mis ces doutes par écrit. Ces questions. Du moins j’ai voulu. J’ai pris mes mots. Mes marges. Mes doigts silencieux balancés sur l’écran. Le clavier en sourdine, éteinte la lampe. Mes mots censés déplier des mystères. Ailleurs, autres chambres, autres têtes : ça dort. J’ai voulu. Essayé. Mais mes mots, ils sont où ? J’ai cherché. Ni sur l’écran, ni dans mes marges, ni dans mes doigts. Encore moins dans ma tête. Je suis restée les bras tout autour. Tout autour de mon corps. À voir clignoter sur l’écran le curseur. À voir le noir jaillir. L’écran de veille se pointer. Peut-être je me suis endormie. Dans le noir si factice de l’écran éteint. Mes mots tus dans ma gorge. Des fourmis dans les doigts. Mes doigts inutiles. Les yeux secs, la langue lourde.

Je crois que c’est pour ça, Pierrot, que je capte pas. Que l’écran blanc le reste. Que mes doigts sont silence. J’ai pas les mots pour. Ou bien je les cherche. Pour ça que moi, je pourrais pas partir. Pour ça que je cherche encore.


dimanche 6 mars 2011 - dimanche 28 avril 2024




31198 révisions
# Objet Titre Auteur Date
Article publié Article 281212 GV Décembre 2012
Article publié Article 291212 GV Décembre 2012
Article publié Article 261212 GV Décembre 2012
Article publié Article 251212 GV Décembre 2012
Article publié Article 291212 GV Décembre 2012
Article publié Article 271212 GV Décembre 2012
Les plus lus : 270513 · 100813 · 130713 · 120614 · 290813 · 271113 · 010918 · 211113 · Fuir est une pulsion, listing adolescent · 120514 ·

Derniers articles : 280324 · 270324 · 260324 · 250324 · 240324 · 230324 · 220324 · 210324 · 200324 · 190324 ·

Au hasard : 251219 · 200713 · 230412 · 281113 · Accident de personne : lancement · 290714 · google alert · 120620 · Ce qui vient de toi ou moi vient de nous tous · 031023 ·
Quelques mots clés au hasard : Nouvelles · Ebishi Maki · Philip Glass · Terrenoire · Muse · Baptiste Morizot · Jakuta Alikavazovic · Soap&Skin · Futurama · Wojciech Kilar · Katsushika Hokusai · Charles Juliet · Lewis Carroll · Florian Wacker · Richard Millet · Thaddée · Patrick Dao-Pailler · Elli Kronauer · Max Blecher · S. · Hélène Cixous · Paul Verhoeven · A Journey beyond Heaven · Patrick Zachmann · Charlotte Brontë · Daniel Keyes · Tom Spanbauer · Jean-Philippe Toussaint · Justin Bieber · Céline Minard

Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)