Du jour au lendemain je vois flou. Je sais pas si c’est un oeil ou l’autre et ce n’est pas spectaculaire, pénible juste. Jamais eu aucun problème pour lire l’ordi sans lunettes jusqu’ici, ce matin c’est comme en surbrillance et bouclé. Même chose avec les verres : les noms des stations de métro, le titre des livres dans les mains des silhouettes, les enseignes lumineuses, ça sursaute. Sais pas à quoi c’est dû. Il vaut mieux pas aller voir ce qu’en pense l’Internet, ils diront c’est une tumeur. Je vais voir ce qu’en pense l’Internet néanmoins (ils disent c’est une tumeur). Je prends rendez-vous à l’usine optique d’à-côté. Les lettres je les lis pas correctement je les devine : si ça c’est pas un S c’est que ça doit être un O. Il peut y avoir des chiffres des fois ? Il peut y avoir des logos ou des icones des fois ? On dirait un parapluie. On dirait la silhouette sur la porte des chiottes pour les femmes. On me dit votre vue elle est bonne on ne peut pas augmenter la correction. Pas ce que je veux bien sûr : ma vue n’a pas bougé depuis trois ou quatre ans, je suis venu ici il y a moins de trois mois, ces lunettes elles sont neuves, c’est pas un problème de correction, j’aimerais comprendre. Il ne me dit même pas c’est sans doute dû à de la fatigue visuelle, c’était pas dur à dire, il met les mains dans mes globes oculaires, balaye, y a rien. Je sais pas d’où ça vient ce que c’est combien de temps ça durera (si ça doit bien durer). Je paye. Je reçois quelques heures plus tard en aval, dans l’eau tiède de l’après, une enquête dite de satisfaction, je la fais. C’est précis. Pour chaque étape de la visite tu peux dire es-tu très satisfait, plutôt satisfait, plutôt insatisfait, ou tu ne te prononces pas. Tu peux jeter le nom de la réceptionniste, le nom de l’ortoptiste et le nom du médecin en dessous de chaque case (c’est facultatif mais tu peux) et puis dire : es-tu très satisfait, plutôt satisfait, plutôt insatisfait, ou tu ne te prononces pas. J’ai arrêté de remplir et je n’ai pas validé la machine. On note pas son médecin même quand on perd son temps. On n’en est pas là merde. On a gardé en nous une part d’humanité, on ressent le dégoût dû à l’odeur du monde, on a le droit de dire moi je refuse.


jeudi 25 septembre 2014 - samedi 20 avril 2024




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Article publié Article 200324 GV il y a 4 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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