Thomas Newman



  • Bogan Road

    20 novembre 2010

    Qui sait pourquoi je fuyais Parkes par Bogan Road a bien meilleure mémoire que moi. Je conduisais bien sûr, il faisait beau mais nuageux. J’ai roulé 11km d’abord, en filature d’une voiture rouge métallisée de marque inconnue car illisible. Je l’ai attendue environ 2km après avoir quitté la Newell Highway et la jonction vers Bogan Road, qui commence ici. Elle m’a semé, donc, 11km plus loin, juste avant Goonumbla, et le plus étrangement du monde, au moment d’un passage à niveau, voie ferrée reliant Parkes à Dubbo via Narromine, elle a simplement disparu, impossible à retrouver ensuite. Voilà le meilleur plan que j’ai pu avoir d’elle.

    A 6km au nord de Goonumbla, une deuxième Bogan Road prend racine à partir de la première, et « Road » est beaucoup dire, car il n’y a pas d’asphalte. C’est une tranchée type terre battue de celles qu’on voit dans les rallyes du Sud : Kenya ou Australie, justement. Au-dessus de cette intersection, dans la poussière soufflée depuis le sol, un maelström de lumière crépitait dans un arbre.

    À en croire les cartes que j’ai consultées, cette deuxième Bogan Road rejoint, via divers détours de 17km, le parc de Wombin State Forest où la rejoint d’ailleurs une Bogan Road n°3, qui est en fait une extension terreuse de la première.

    Une dizaine de kilomètres plus au nord de Wombin State Forest, quelques traces de vie dans la poussière : des moutons, un pick-up rouillé embouti dans un arbre, de la poussière encore et, une trentaine de kilomètres plus au nord, la fin de Bogan Road, le bout du bout de la piste, signalisé par un panneau zebré. J’avais le choix de partir soit à gauche sur Bulgandramine Road, soit à droite sur Bulgandramine Road bis, soit de faire demi tour et remonter Bogan Road jusqu’à son origine.

    En empruntant moins de 2km plus à l’est la Tomingway West Road je pouvais rejoindre Tomingley en moins de 10 minutes, Tomingley qui était elle-même à moins d’une demi-heure de route de Narromine, et comme le mot même de Narromine m’hypnotisait (des mines, peut-être, dans lesquelles on étouffe, minuscules en tout cas), j’ai décidé de m’y tenir. Et, au moins, du côté de Tomingley, il y avait de l’asphalte, et une espèce de civilisation.

    Une fois arrivé à Narromine, détour par le centre industriel où abandonner discrètement ma caisse dans un garage du coin. L’abandonner ou la piquer ? Descendre de voiture ou démarrer ? Difficile à dire l’oeil à la fois tourné sur 360° autour de soi, quand devant, derrière, gauche, droite, sont en réalité un seul et même espace, une seule et même destination.

    Puis, sur Nymagee Street, la tête en sang, les yeux tournés vers le bâtiment rouge de la Commonwealth Bank of Australia, je me suis rendu compte que la nuit tout d’un coup venait de me tomber dessus. C’était grandiose. Un pas sur le ciment du jour, un autre sur l’asphalte de nuit. Pas même le temps d’un seul claquement d’os.

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    La nuit n’a duré que le temps d’un block et j’en suis ressorti. Derrière, j’ai pris une barre de fer dans l’arcade qui m’a fait perdre le nord. Là que j’ai compris parallèlement à moi-même que je ne fuyais pas Parkes pour Narromine mais l’inverse, que la Bogan Road avait été prise à l’envers, et que je ne je ne courrais pas vers mais depuis. Et tout ce temps croire que je ne faisais que le suivre quand en réalité, oui, je le remontais. Ici, ils roulent à gauche.