Jean Echenoz



  • 151112

    15 novembre 2012

    Cela peut plaire de voir une planète depuis sa fenêtre,
    bleue et sphérique, mais il n’y a pas de ressemblance possible
    entre un organisme qui choisit des chaussures
    et une sphère volumineuse qui navigue dans les airs.

    Gonçalo M. Tavares, Un voyage en Inde, Viviane Hamy, traduction Dominique Nédellec.

    Règles du jeu du trainball (nom provisoire), sport postapocalyptique possiblement pratiqué dans quelques pays et époques de /// :

     Deux duellistes s’affrontent sur le toit d’un vrai train en marche, l’un en tête de rame et l’autre en queue.
     Chacun est armé d’un pistolet paintball chargé d’un nombre limité (?) de billes de peinture.
     On tatoue à chacun une cible sur sa nuque.
     Le premier à atteindre la cible de l’autre avec l’une de ses billes gagne le duel.
     Tous les coups sont permis.
     La durée du duel correspond à la durée du trajet.
     Si aucune cible n’est atteinte à la fin du trajet, celui qui a le plus maculé le corps de son adversaire remporte le duel.
     La mort, accidentelle ou non, de l’un d’eux duellistes disqualifie le restant.
     Il n’y a pas d’autres règles.

    Correspondance avec l’URSSAF, suite : je soussigné XY atteste sous l’honneur des faits suivants : n’envoyez, sous aucune circonstance, les huissiers menaçants à ma porte car j’ai déménagé.

    Le reconnais : me suis trompé d’horaire pour lire, lire et finir, Un voyage en Inde : aurais dû lire le soir, sur des mois, affranchi de toute contingence spatio-temporel. Ceci étant, cela n’explique en rien pourquoi aucune des femmes évoquées au cours de cette odyssée n’est ni un cadavre ni une prostituée.

    Lu, deux fois de suite et d’affilée mais ému, entre les tôles et corps de mon métro en panne, de Jean Echenoz L’occupation des sols :

    Comme tout avait brûlé – la
    mère, les meubles et les photographies de la mère –, pour Fabre et le
    fils Paul c’était tout de suite beaucoup d’ouvrage : toute cette cendre
    et ce deuil, déménager, courir se
    refaire dans les grandes surfaces.
    Fabre trouva trop vite quelque
    chose de moins vaste, deux pièces
    aux fonctions permutables sous une
    cheminée de brique dont l’ombre
    donnait l’heure, et qui avaient ceci
    de bien d’être assez proches du quai
    de Valmy.

    Jean Echenoz, L’occupation des sols, Minuit

  • 130719

    13 août 2019

    Parlons peu bien.
    Montagne ou mer, ici, c’est toutun.
    C’est Merterranée. Aussi, par exemple notre cuisine : l’anchois&blettes (ou anchois&épinards), le bar-aux-oulives, c’est toutun. La peau avec les vêtements, les danses avec les chants, les lumières avec les chemins, les reflets avec les intérieurs, toutun ! Toutun, toutun !

    Benoît Vincent, L’entreterre, Les inaperçus, P. 46

    Je n’arrêtais pas de renvoyer une balle à un chien qui avait, cette balle, été ramassée quelque part en pleine zone interdite, vers Prypiat ou quoi, c’est donc qu’elle est contaminée, ou bien sa gueule l’était, au chien, ou bien ma main l’était, qui n’arrêtait pas de la lui renvoyer car ça le rend heureux, le chien, et moi je m’imaginais nager dans des piscines d’eau radioactives censées refroidir le cœur du réacteur (ou bien, qui sait, le nôtre ?). Après tout, quel était le pire truc qui pouvait m’arriver ? Être victime de combuch’tion ch’pontannée comme dans cette scène hilarante du début de Chrono Cross ? Mais il en faut peu pour me faire rire, par exemple il y a une scène de la vie politique de ces dernières années qui me fait rire, elle consiste à voir, sur un plateau télé, dans un débat X ou Y, Nicolas Sarkozy se mettre à dire Tartuffe ! comme ça, plusieurs fois, de façon là encore ch’pontannée, et je trouve ça tout à fait désopilant, cette scène, Tartuffe !, on dirait un personnage de cartoon un peu gauche (et c’est probablement précisément ce qu’il est, ce qui en soit serait effectivement drôle si ce n’était pas aussi tragiquement triste pour l’ensemble de nos concitoyens et nous-mêmes). C’est comme ce moment anodin où je dis un truc à H. et lui comprend que je lui ai dit, non pas je me force à cligner (ce qui est vrai, c’est une nouvelle lubie oculaire qui me vient aujourd’hui) mais je me force à t’aimer, ce qui n’est certes pas quelque chose de très agréable à s’entendre dire (heureusement donc que je ne l’ai pas dit), mais qui est assez drôle en définitive car moi, cette phrase, je me force à t’aimer, elle me fait l’effet d’une de ces chansons moisies du fin fond des années 80, interprétées au choix par François Valéry, Valéry François, François François ou Valéry Valéry, le clip sur un fond vert, une chevelure d’époque, un ventilateur à donf sur ces veuch, et donc ce refrain entêtant, un brin vitupérant tout de même, l’air faussement agressif, bad boy d’âme et de cœur, genre comment il s’appelle, ah oui, Jean-Luc Lahaye, bref, JE ME FORCE À T’AIMER, tam tadam tam (vous voyez le topo). Et là, par mail, quelqu’un me dit que j’ai une voix d’adolescent (et une voix d’adolescent ne serait pas, je pense, en mesure de chanter « Je me force à t’aimer », voilà mes rêves de top cinquante qui s’envolent). Est-ce une bonne chose ? Est-ce que les choses devraient nécessairement être bonnes ? Par exemple, fallait-il qu’une balle radioactive soit autre chose que ce qu’elle est, un objet transitionnel référentiel bondissant ? Quant à l’outil scripteur que je m’apprête à emmener pour partir loin du bruit ambiant, comme je l’écris ici, là encore dans un mail, et qui est japonais (l’outil scripteur, pas le bruit), aura-t-il une capacité en encre suffisante pour écrire (mais pour écrire quoi ?) quinze jours loin d’ici ? Ça ne me sert à rien pour relire Eff et reporter dans l’écran quelques 1474 mots sauvés (sur 3367). Et, là-dessus, comme Jean Echenoz avant moi, je m’en vais.

  • 111020

    11 novembre 2020

    Avant de me cogner bêtement la tête, je n’avais rien à écrire dans ce journal. Après non plus. Ce choc aurait pu entrainer un genre d’épiphanie (après tout, le Doc a eu l’idée du convecteur temporel de la DeLorean en se cognant la tête sur la cuvette des toilettes) ; même pas. Aurais-je écrit ces phrases, ceci dit, si rien ne s’était pas produit ?

    C’était une fin d’après-midi. Autour d’eux, par-delà les barrières délimitant le no man’s land autoroutier, la campagne se laissait doucement écraser par un ciel strié de filaments de nuages fins, laiteux, linéaires, presque translucides comme de la salive ou de l’albumine, diffractant des tons rose-orangé dans cette grande clarté calme, bleu pâle proche de l’obscur, où s’effaçaient des traces de réacteurs qui se confondaient par mimétisme avec les nuages. Au loin, sur la déclivité placide d’un champ strié de sillons à la plume, un tracteur avançait imperceptiblement.

    Jean Echenoz, Cherokee, Minuit

  • 121020

    12 novembre 2020

    Faut-il nécessairement écrire un journal quand on tient un journal ? Pourquoi ne pas sauter un jour, ou deux, ou douze ? Pourquoi dire telle goutte de pluie, là ? Pourquoi écrire la pression atmosphérique ceci, les dents des bêtes cela ? Pourquoi vouloir que les cendres remuées forment dans le foyer froid sous la brosse un nuage ?

    — Je ne fais que passer, leur dit-il, je ne suis que l’antépénultième. Après moi sera un autre puis un autre qui verra l’assomption du rayon jubilatoire. Ce temps est proche, je le dis. Le huitième nom vient vers nous.Nous le rejoindrons bientôt dans les sommets, plus près des neiges perpétuelles, plus au cœur du rayon axial. Allez, à présent. Faites fleurir cet instant.

    Jean Echenoz, Cherokee, Minuit

  • 120322

    12 avril 2022

    Bourse aux livres à P. Voilà donc où finissent les cadeaux de Noël de tout un chacun. Ici, quelqu’un vend tous ses Echenoz. Là ses Fred Vargas. Bruno Masure jeune sur une couverture d’il y a trente ou quarante ans, aux couleurs affadies par le soleil. La Toei s’est fait hacker il y a peu alors tous les épisodes de La quête de Daï sont suspendus. Celui d’aujourd’hui était censé être super. Quand on nous a dit au début de cette guerre que rien ne serait plus comme avant, ce n’est pas nécessairement à Daï ou à One Piece qu’on pensait. Une étude de The Lancet estime que les morts du Covid sont trois fois supérieurs aux chiffres officiels. Une autre qu’on ne commence même pas à imaginer l’ensemble des désordres à longs termes pour ceux qui n’en sont pas morts. Je ne sais pas pourquoi, mais une partie des images liées aux articles du journal, en 2020, sortent dans une si piètre qualité qu’elles apparaissent hyper pixelisées. Ça ne me dérange pas mais est-ce le signe que le site est en voie de pourrissement par son extrémité graphique ? Est-ce un genre de vernis involontaire, voire inconscient ? Je me sens, bien souvent, comme on le lit dans Comme un ciel en nous au sujet des hommes de bonne famille, intact, inentamé par le monde, par la vie, et j’y vois la cause principale de mon écriture sans relief. Apprendre de ses erreurs : vérifier si la trappe de la cheminée est ouverte avant d’allumer un feu.

  • 210322

    21 avril 2022

    En tatar, le chiffre sept se dit Җиде. Le printemps, c’est le printemps qui tape à la porte (non, c’est Chronopost). Un article analyse les effets de la guerre en Ukraine en librairie et dans le monde du livre : Les maisons d’édition s’activent en ce moment même pour profiter de la conjoncture. D’autant plus si le conflit dure... Sur tel livre lié à Poutine, Bidule espère dépasser les 10 000 exemplaires. Un objectif qui n’aurait pas été si élevé sans cette guerre. Loués soient les éditeurs. Ils ont tout compris à la vie. Un mot pour désigner ce nuage, cette suspension qui s’opère juste après avoir cassé la coque de la noisette, quand l’armure fend, avant le rapt du fruit sec et son ingestion, la fine poussière qui se dégage pour ne pas retomber (et où finir) ? À mon retour du U H. est antigéniquement positif au covid. Je commence un autre livre après avoir fini le précédent, l’un allumé au cul de l’autre, et dans celui-là un homme viole une femme, ah non c’est un meurtre, alors il la tue. Un autre personnage a été tondu à la libération semble-t-il. C’est un faux roman noir en écriture blanche. Ce n’est pas mauvais en soi mais entre Simenon, Manchette et Echenoz c’est du LL&R (lu lu et relu).