Jérôme Orsoni



  • 100216

    20 mars 2016

    Hier, dérivant, discussions autour des remix et des samples. Daft Punk. D’autres trucs. C’est ça dans toute forme de création, c’est ça dans tout ce qu’on fait, lire, reprendre, refaire, désosser, rehausser. Ici Jérôme Orsoni parle de l’écrire et de ce que c’est comme geste.

    Vila-Matas écrit : « Comment se fait-il, ai-je pensé, que l’une des choses que les gens en général ne comprennent pas chez les écrivains — du moins chez les écrivains sérieux —, c’est qu’on ne commence pas par avoir quelque chose à dire pour ensuite passer à la pratique, mais que c’est le processus de l’écriture proprement dit qui permet à l’auteur de découvrir ce qu’il veut dire ? »

    Là un lapsus de lecture : je mespionne par la fenêtre. Ce qu’elle voudrait dire, cette phrase, si elle était réelle. La repiquer, s’en servir autre part. C’est un sample peut-être, un remix. Je crois aux ratés, aux incompréhensions. Ce qu’on construit aussi sur ça, sur ce que c’est, sur ce que ça n’est pas.

    Le soir H. m’invite dans ce restaurant-là, rue Quincampoix, où tu manges dans le noir. Le noir complet 1. Ce n’est pas tant ça (pas voir), c’est l’inspacialité permanente, la micro-géographie variable. Tu ne sais pas où sont les voix et à qui, d’où elles viennent, qu’elles sont les frontières mises aux conversations et où versent les sons qui sont dits. C’est un espace social mais non délimité. Toute la communication non-verbale est gommée. C’est apaisant au début, et après c’est bizarre, quand les voix se mélangent et que tu ne sais pas à qui. La taille de l’assiette et le volume de nourriture sont insondables. Curieusement, bien plus de réticences à manger quelque chose d’inconnu en sucré qu’en salé.

  • 130616

    13 juillet 2016

    Un jour, un enfant rentre de l’école avec son père. Il y a quelque chose que son père et lui ont l’habitude de faire tous les soirs en rentrant de l’école. Tous les soirs, en rentrant de l’école, le père et le fils regardent ensemble une vieille émission en noir et blanc qu’une chaîne de télévision rediffuse et que le père regardait déjà quand il était enfant. C’est un moment de complicité, je crois qu’on pourrait dire ça, d’autant que c’est un moment qui abolit d’une certaine manière le temps, comme si le père et l’enfant vivaient la même enfance, en faisant les mêmes choses ensemble. Ce jour-là, en rentrant de l’école, l’enfant demande à son père s’ils vont regarder l’émission comme tous les soirs. Le père répond à son fils qu’ils ne vont pas la regarder maintenant parce que c’est le midi et que l’émission est diffusée le soir. L’enfant ne semble pas comprendre. Le père lui répète que c’est le midi et qu’il faudra attendre le soir pour pouvoir regarder l’émission. Il lui dit d’aller se laver les mains pendant qu’il fait réchauffer le déjeuner. Mais l’enfant ne bouge pas. Il regarde son père sans rien dire et semble attendre. Ou non, il n’attend pas. L’enfant refuse tout simplement cette réponse et, soudain, il entre dans une colère terrible, silencieuse, on pourrait dire une colère noire, mais ce n’est pas une question de couleur, c’est une question d’attitude, de ce qu’il va faire ensuite. Ce qu’il fait ? Eh bien, il se précipite dans sa chambre en courant, saisit le premier objet qui lui tombe sous la main et le jette violemment par terre. Il le ramasse et le jette à travers la pi !ce où il finit son vol en heurtant l’une des deux vitres de la fenêtre de sa chambre, qu’il brise. Il reste là, à regarder ce qu’il vient de faire, peut-être ne regarde-t-il même pas ce qu’ilvient de faire, peut-être ne voit-il déjà plus rien, il est là, c’est tout. Son père se précipite dans sa chambre et lui demande ce qu’il lui arrive, et l’enfant répond que c’est le soir, que le temps ne va pas : c’est le soir, c’est déjà le soir. Il perd connaissance. Quand il se réveille, c’est effectivement le soir, il voit le regarde de sa mère inquiète qui lui demande comment il se sent et l’enfant lui répond calmement que tout va bien, maintenant.

    Jérôme Orsoni, Pedro Mayr, Actes Sud, Un endroit où aller, P. 139-141

    Le marché de la poésie c’est fini, faire les comptes. Ranger les livres. Des tableaux xls. Des additions foireuses. Non : des formules défectueuses. Rien fait de tout le matin, repos. Mais moins crevé que j’aurais pu. Termine doucement Pedro Mayr, de Jérôme Orsoni, livre tout en absence, d’abord, puis qui se retourne comme un gant vers le dernier quart du livre. Là que le roman apparaît. Auparavant, c’est un miroir brisé et c’est cela qu’on lit : des bris. Si Pedro Mayr n’existait pas, cela ne ferait pas de différence. Pendant longtemps le livre non plus n’existe pas et puis là, d’un seul claquement de doigt, émerge. Pensé à Vila-Matas un peu. J’apprends ici qu’il a écrit Steve Reich. Sur Steve Reich. Aimerais assez lire ça.

  • ❆ Lectures 16

    3 septembre 2016

    janvier

     Svetlana Alexievich, La supplication, JC Lattes ⇄ journal du 151215, 181215, 211215 & 030116.
     Wu Ming 4, L’étoile du matin, Métailié ⇄ listing adolescent.
     Samuel Beckett, Stirrings still, OR Books
     Philippe Rahmy, Allegra, La Table Ronde ⇄ journal du 180116 & 300116.

    février

     Clarice Lispector, Un apprentissage ou Le livre des plaisirs, Éditions des femmes ⇄ journal du 310116 & 050216
     Michael Seidinger, The Strangest, OR Books ⇄ journal du 010216.
     Vincent Message, Défaite des maîtres et possesseurs, Seuil ⇄ journal du 080216, 110216, 140216 & listing adolescent.
     Michal Michalik, A Cold Grave, Le vaste web ⇄ journal du 120216.
     Collectif, Watchlist, OR Books ⇄ journal du 140216.
     Lucien Suel, Dérives dans l’espace temps, QazaQ ⇄ journal du 190216 & listing adolescent.
     Ludovic Degroote, josé tomás, Éditions Unes ⇄ journal du 200216.
     Goran Petrović, Atlas des reflets célestes, Éditions Noir sur Blanc ⇄ journal du 210216 & 250216

    mars

     Pierre Senges, Achab (Séquelles), Verticales ⇄ journal du 260216, 040316, 070316, 250316 & listing adolescent
     Pierre Bergounioux, Carnet de notes. Journal 1980-1990, Verdier ⇄ listing adolescent
     Valerio Evangelisti, Les Chaînes d’Eymerich, La Volte
     Georges Cheimonas, roman, Noël Blandin ⇄ journal du 070316
     Pier Paolo Pasolini, La persécution, Seuil ⇄ journal du 090316 & du 120316
     Luvan, Walvis Blues, maelstrÖm reEvolution ⇄ journal du 130316
     Pierre Souvestre et Marcel Allain, Le mort qui tue ⇄ journal du 130316, 190316 & 270316
     Antoine Dole, Laisse brûler, Sarbacane ⇄ journal du 280316
     Ezia Polaris

    avril

     Éric Hazan, Une histoire de la Révolution française, La Fabrique
     Frank Herbert, Dune, Chilton Books ⇄ journal du 280416
     Marie Redonnet, L’accord de paix, Grasset ⇄ journal du 030416
     Marc Perrin, Spinoza in China, Le Dernier Télégramme ⇄ journal du 090416, 170416
     Pierre Bergounioux, Carnet de notes. Journal 1980-1990, Verdier ⇄ journal du 070416 & du 090416
     Elizabeth Legros Chapuis, Dans la forêt des livres
     Ivan Tourguéniev, Le Bureau particulier du domaine, La Pléiade ⇄ journal du 120416 & du 170416

    mai

     Frank Herbert, Dune, Chilton Books ⇄ journal du 060516, 280516
     Marc Perrin, Spinoza in China, Le Dernier Télégramme ⇄ journal du 030516, 080516 & 090516
     Pierre Bergounioux, Carnet de notes. Journal 1980-1990, Verdier ⇄ journal du 200516
     Elizabeth Legros Chapuis, Dans la forêt des livres ⇄ journal du 220516
     Anthony Poiraudeau, Projet El Porcero, Inculte ⇄ journal du 220516
     Arnaud Maïsetti, Quand la nuit vient ⇄ journal du 200516 & 250516
     Quentin Leclerc,Saccage, Éditions de l’Ogre ⇄ journal du 250516, 290516 & 010616
     Berit Ellinsgen, Not Dark Yet, Two Dollar Radio
     Philippe Aigrain & Christine Jeanney, Versées ⇄ journal du 290516
     Jacques Ancet, L’incessant, publie.net ⇄ journal du 270516 & 010616

    juin

    juin16-2

     Frank Herbert, Dune, Chilton Books ⇄ journal du 060516, 280516
     Max Porter, La douleur porte un costume de plumes, traduction Charles Recoursé, Seuil ⇄ journal du 030616 & 040616
     Jérôme Orsoni, Pedro Mayr, Actes Sud ⇄ journal du 130616
     Ocean Vuong, Night Skies with Exit Wounds, Copper Canyon Press
     Virginie Poitrasson, Tendre les liens, publie.net ⇄ journal du 180616
     Pierre Escot, Le Carnet Lambert, art & fiction
     Général Instin, Anthologie, Nouvel Attila ⇄ journal du 190616
     Laia Jufresa, Umami, Buchet Chastel ⇄ journal du 200616 & 020716
     Pierre Bergounioux, Carnet de notes. Journal 1980-1990, Verdier
     Sébastien Ménard, Temps zéro, diafragm.net ⇄ journal du 240616
     Philippe de Jonckheere, Février, désordre.net ⇄ journal du 250616 & 260616
     Philippe de Jonckheere, L’immuable en question, désordre.net ⇄ journal du 270616
     Gloria Ackerman, Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle ⇄ Notes sur T. & listing adolescent

    juillet

     Pierre Bergounioux, Carnet de notes. Journal 1980-1990, Verdier
     Gloria Ackerman, Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle ⇄ Notes sur T. & journal du 090716
     Philippe de Jonckheere, Février, désordre.net
     Thomas Bernhard, Le naufragé, Folio ⇄ journal du 030716, 040716, 060716 & 090716
     Claude Simon, Le tramway, Minuit ⇄ journal du 140716
     Ivan Tourguéniev, Le Journal d’un homme de trop, La Pléiade ⇄ journal du 160716 & listing adolescent
     Mariam Petrosyan, La maison dans laquelle, Monsieur Toussaint Louverture ⇄ listing adolescent
     Timothée de Fombelle, Vango, Gallimard Jeunesse ⇄ listing adolescent
     Henri Simon Faure, Je me brûle l’œil au fond d’un puits, Du Lérot ⇄ journal du 160716, 220716 & 260716
     Edgar Lee Masters, Spook River, Nouvel Attila ⇄ listing adolescent
     Corinne Lovera Vitali, Nitti, Gallimard ⇄ journal du 240716 & 260716

    août

     Edgar Lee Masters, Spook River, Nouvel Attila ⇄ listing adolescent
     Stephen King & Peter Straub, Talisman
     Martin Page, Je suis un dragon, Robert Laffont ⇄ listing adolescent
     Živko Čingo, La grande eau, Nouvel Attila ⇄ journal du 100816 & listing adolescent
     H.G. Wells, The invisible man ⇄ journal du 130816
     Cyprien Luraghi, Coup de rouge
     Eric Chauvier, Contre Télérama, Allia ⇄ listing adolescent
     Baptiste Morizot, Les diplomates, Wildproject ⇄ journal du 080816, 100816, 150816, 210816 & 270816
     Julio José Ordovás, L’Anticorps, L’olivier ⇄ journal du 220816
     La Bhagavad Gîtâ
     Ezia Polaris
     Goethe, Faust, GF Flammarion ⇄ journal du 210816, 270816 & 280816
     Markiyan Kamysh, La zone, Arthaud ⇄ journal du 310816
     Emile Souvestre & Marcel Allain, Fantômas : L’agent secret ⇄ journal du 020916

  • 060117

    6 février 2017

    Des kiwis mais immenses, on dirait des pommes. Et pas verts, vaguement jaunes, moches comme tout mais bons. Série d’entretiens de Steve Reich sur France Culture signalée au Flotoir par Florence Trocmé. Fabrication de It’s Gonna Rain (et l’écoute). Une série de répétitions qui façonnent une ventilation. J’ai le livre de Jérôme Orsoni pas très loin, il faut que je prolonge. Et Pérotin, Viderunt omnes. Quelque part, c’est assez proche des vibrations qu’il y a dans Joyeux animaux, repris hier : les rats, les cancrelats, les serpents, singes, tigres, ils nous font bien l’amour. Il y a de l’humour, je lis plus lentement. Et les entretiens avec Donatien Grau ça aide. Recours à la quatrième aussi, qui une œuvre à part entière. Bk, 444 mots. Eff, 222 par dessus ceux d’hier, 203 de plus à côté. Cette obsession des chiffres c’est fou. Nouvelle soirée de notre série JDR Lovecraft, cette fois projetée dans le futur où des tanks pyramidaux avancent dans le désert vitrifié.

  • 160417

    18 mai 2017

    Dans une semaine une présidentielle qui vient, un premier tour, et je ne sais toujours pas quoi voter. Macron faisant campagne même dans les rêves. Dans le Livre rond de Christine : tout est tranquille, nous savons où nous sommes et qui, ou presque, et ça malgré l’obscur. Dans 4321, l’énorme (plus de 800 pages) roman que Paul Auster a publié en début d’année, et qui vise à raconter des vies alternatives d’un même personnage dont les circonstances et choix varient d’une trajectoire à l’autre, l’une des occurrences de Ferguson côtoie à Columbia quelques uns de ses personnages précédents (David Zimmer, Marco Fogg, Daniel Quinn), qu’on est heureux de retrouver des années après les avoir lus nous-mêmes. Et dans Des monstres littéraires :

    dans cette écriture à l’envers, la possibilité d’une littérature infinie s’ouvre dans laquelle tous les personnages peuvent revenir indéfiniment, pas comme les fantômes d’eux-mêmes, mais comme de nouvelles versions d’eux-mêmes, des versions interminablement mises et remises sur le métier de la littérature. Les personnages circulent ainsi d’un auteur à l’autre, ils ont plusieurs vies, comme autant de versions d’eux-mêmes, comme autant de variations d’eux-mêmes au gré de la fantaisie de chacun de leurs auteurs successifs.

    Jérôme Orsoni, Des montres littéraires, Actes sud

    Ailleurs, dans Une fuite en Égypte (p.121) : j’insère ici un signe typographique distinct pour vous faciliter la tâche ; vous pouvez donc vous épargner la scène de poursuite de voitures en vous reportant directement au prochain #. Sans parler mêmes des momification 2 de Daniel Spoerri dans la géniale Topographie anecdotée du hasard. Quant au remake américain du film Ghost in the Shell, sans être un bon film, ce n’est pas non plus l’abominable navet jusque-là redouté.

  • 220417

    22 mai 2017

    Tombe par hasard sur ce Journal de bord de la retraduction d’Ulysse parue en 2004 sous la direction de Jacques Aubert, ici sous la plume de Bernard Hœpffner, qui figure dans le numéro 25 de la revue Translittérature. Sur cet effort de traduction collective, il écrit : Il s’agit (...) d’une schizophrénie à huit. Et sur le chapitre problématique des Bœufs du soleil (conservé dans la nouvelle traduction dans la version d’Auguste Morel de 1929) :

    Tiphaine veut entreprendre de traduire les Bœufs du soleil, épisode que nous avions dès le début, en accord avec Teresa Cremisi, accepté de garder dans la traduction de Morel ; elle abandonnera quelques mois plus tard ; nous décidons alors, en commun, a posteriori et avec mauvaise foi, que, étant donné que cet épisode est un historique de la langue anglaise, le fait d’intégrer la traduction de Morel en fait un historique de la traduction, ce qui nous permet de faire taire nos scrupules – il est néanmoins évident que les échos ne fonctionneront pas à cet endroit-là.

    Réveillé en plein milieu de la nuit et en sueur : mais t’as pas fait tel truc ! Ou bien alors c’est une conscience soudain que la temporalité réelle a dépassé la temporalité relative que l’on se construit nous, à l’instinct, et sans soudain se dire mais le temps a disparu, comme enlevé par un vaisseau extraterrestre en quête de chair humaine sur qui prodiguer ses expériences ou ses sévices. 2073 mots d’Eff 3, de quoi pouvoir demain changer de voix. C’est peut-être fastidieux cette histoire de changement de voix, peut-être qu’il faudra repenser ça. Mais pas pour l’instant. Là il faudrait rester dans le flux, dans la dynamique. PSG - Montpellier (2-0). En quelques jours, deux fois le livre Silence de John Cage mentionné dans des lectures diverses. Dans 4321 (mais j’ai oublié quand). Dans les cahiers fantômes de Jérôme Orsoni aujourd’hui (c’est-à-dire hier). Philippe de Jonckheere au sujet des élections présidentielles de demain, dans Qui ça ? : La véritable indifférence, voilà le but à atteindre, pas seulement refuser mollement de participer, refuser d’être participé. Baptiste Morizot : être, c’est d’abord être le produit historique et l’activité d’une relation avec l’autre que l’on a rencontré.

  • 070517

    6 juin 2017

    Toutes les peines du monde à construire quelque chose de cohérent et de construit pour Morphine. C’était une succession de nouvelles et d’interludes, ça n’a donc pas réellement de tension commune. Au-delà de ça, beaucoup de difficultés en réalité à écrire un roman cohérent, quel qu’il soit, qui se tiendrait du début à la fin, même pour Eff. Ça part dans tous les sens aussi parce que je suis comme ça, et une capacité d’attention zéro. Zapping. Dans 4321, il y a cet élan cohérent, malgré les longueurs inévitables dans un livre de plus de 800 pages (beaucoup au début, un peu à la fin). Et une pirouette narrative à la fin qui remet les choses dans un bon ordre de marche. Donc, oui, ça fonctionne. Là j’ai tenté des trucs (et déjà c’est se dire de quoi est-ce que je veux parler avec ça ? hanter ou être hanté par quelque chose ?) mais c’est précisément ce que c’est, des trucs. Et plus je travaille au contact de ce texte plus je me dis que ça ne marche pas. Et plus je m’en éloigne, plus quelque chose m’y ramène. Mais quoi ? Chez Jérôme Orsoni : il nous faut être résolument utopistes. Nous vivons la fin du réalisme. Voté. Ailleurs, sur remue : Je le revois (Miguel Angel Estrella). Je n’ai pas besoin d’aller rien lire d’autre aujourd’hui sur le second tour de l’élection présidentielle. 727 mots (Eff) forcés, en tous les cas subits. Incantatie IV. Più prati meno preti, Non essere spettatore, partecipa al disordine. 4. Toute une partie de l’après-midi sur les routes d’Oust-Ilimsk, le long de l’Angara, dans l’oblast d’Irkoutsk, pour les besoins de la réécriture, en vain peut-être, de Morphine. Et puis la faune, la flore. Peut-être c’est ça qu’il te manquait. Un lieu pour l’habiter ce récit.

  • 250517

    25 juin 2017

    C’est quelque part dans Ulysse au début des Lestrygons, un luminous crucifix, qui sera plus tard décrit comme phosphorescent, ensuite Bloom part sur la fois où il dû aller chercher un truc au frigo pour Molly et qu’il a vu un reste de cabillaud briller, bref. Dans Barefoot in the Head aussi, cette phosphorescence, eyes like phosphorescence and a big mottled face as if shrimps burrowed in his cheeks, qui résonne derrière deux pages suivantes, un coin déjà corné 5 une première fois à la première lecture :

    The light and lack of it played across his cragged face as he fumbled for a cigarette and lit it very close to his face between a volcano crater of cupped hands all afire to the last wrinkle and looking askance with extinct pits said through smoke, ’I mean to say this is the end of the world take it or leave it’.

    C’est le même personnage, je crois, Burton, qui brille comme ça de deux façons différentes à deux pages d’intervalle. À un moment donné, il va bien falloir se résoudre à sortir sous le cagnard et l’averse de pollen. Peut-on se retenir de respirer assez longtemps, ne serait-ce que pour faire une course mineure ? De toute évidence non. Et, derrière, tout aura le goût de la ville et l’odeur de la ville et l’acouphène de la ville dans les conduits auditifs tellement la ville elle te poisse sur la peau, sur le corps. Michaël Ferrier dans Fukushima 6 : au Japon, après la catastrophe nucléaire, il s’est trouvé des « spécialistes » pour défendre une approche heureuse des retombées : La peur de la radioactivité serait plus nocive que la radioactivité elle-même. C’est la même chose avec les pollens ? Ailleurs, dans Au début et autour, Steve Reich de Jérôme Orsoni, on peut retrouver les instructions de Steve Reich 7 quant à l’exécution de son Piano phase :

    « Le premier pianiste commence à un et le second le rejoint à l’unisson à deux. Le second pianiste augmente son tempo très légèrement et commence à prendre de l’avance sur le premier jusqu’à ce qu’il ait (disons en trente à soixante secondes) une double croche d’avance, comme cela est montré à trois. Les lignes en pointillés indiquent ce mouvement graduel du second pianiste et le déplacement qui s’ensuit de la relation de phase entre lui-même et le premier pianiste. Ce processus se continue à mesure que le second pianiste à une croche (quatre), une croche pointée (cinq), une noire (sept), et cætera, d’avance sur le premier et ce jusqu’à ce qu’il ait traversé les douze relations et revienne à nouveau à l’unisson à quatorze. »

    959 mots pour Eff. Une qualification en finale de la League Europa après une demi-finale retour particulièrement tendue : passé mon temps à courir après le score, revenu deux fois (Tachtsidis de la tête sur un corner de Schöne les deux fois). 2-2 à la fin du temps réglementaire, score identique à l’aller. On a fini à deux devant (Origi épaulant Sturridge), avec Winajbloom en milieu gauche et Lallana à droite ; triplé du premier, deux passes décisives pour le second, 2-5 score finale. Nous défierons en fin de saison Schalke 04.

  • 300517

    30 juin 2017

    La chaleur est retombée comme elle était venue. Quelque chose a dû crever quelque part. Dehors, le bruit du bruit de la rue. Message des organisateurs du marché de la poésie qui s’ouvre la semaine prochaine : ils devront fouiller les sacs à l’entrée. Il faut garder nos badges pour faciliter nos mouvements. 920 mots pour Eff : putain, j’ai bien peur que ce truc n’ait aucun intérêt. Dans Au début et autour, Steve Reich je corne Jouer la même mélodie deux fois n fois en décalant la seconde de la première de n plus un jusqu’à n plus m fait apparaître une série continue de mélodies nouvelles. Donc, ce n’est jamais la même chose. Puis Toute la musique est dans le corps en tant que cause et origine et destination.

  • 040717

    26 août 2017

    À cause de Jérôme Orsoni, je me retrouve à écouter Goodbye enemy airship the landlord is dead. Non pas à fond, volume normal. Tempéré on peut dire. Puis derrière ce sera Encélade : l’eau qu’il y aurait là-bas et sous quelle forme. Je ne sais pas encore si c’est sur Titan qu’iront les mecs de Morphine ou ailleurs. Io ? Ou, donc, Encélade. Un certain temps sur une série de tâches rébarbatives (ça consiste à linker). Migration de la librairie vers le site. Une question d’heures, de jours. Demain, peut-être, finir. Un mot sur Eff : 709 mots aujourd’hui, en à peine un quart d’heure. Quelque chose de plus calme. De plus semblable à ce que je fais sur t, par exemple. Et sans le son cette fois. T. au Pouchla et longtemps je me demanderai ce que j’irai écrire ici, écrire de faux, sciemment, pour amener le journal vers des formes fictives. Par exemple je pourrais dire que tout va pour le mieux pour le meilleur des mondes ou que toutes les perspectives qui s’offrent à nous sont claires, limpides même, mais je me contenterai d’écrire ici que la table sur laquelle nous avons mangé n’était pas notre table.

  • 120818

    12 septembre 2018

    E. ne s’attendait manifestement pas à ce que je dise avec ça, tu dois pouvoir tire-bouchonner un œil. Il y a eu un regard ou, non, un instant de surprise dans ce regard. C’était après qu’un clodo venu se joindre à nous pour nous taxer des bières et des Curly nous tape la discute, ici, dans l’herbe, à l’espace cinéma en plein air de la Villette, mais avant que la projection de La rivière sans retour soit annulée à cause de la pluie, du vent, de l’orage et de cette espèce d’impression un peu maussade que les vacances étaient sur le point de se finir pour pas mal de monde à des kilomètres à la ronde qui, sans doute, reprendraient le lendemain (ou pas, qu’est-ce que j’en sais après tout). Une forme de mélancolie quoi qu’il en soit. On a évité l’averse, qui tombera drue pendant qu’on s’est rapatrié chez S. (il y aura deux S.), à comparer des pages des Frères Karamazov en folio et chez Markowicz (et, n’en déplaise à Jérôme Orsoni, je trouve les traductions de Markowicz absolument viscérales). Dans la nuit, après l’averse, des rats plus gros que Soupir traversent tranquilou la rue et les trottoirs pour propager quelque part la bactérie mangeuse de chair.

  • 011018

    13 novembre 2018

    À un moment donné, tout tiendra dans un clin d’œil. Ce n’est pas quelque chose qui m’arrive directement et ce n’est pas quelque chose que je lis ; c’est quelque chose qu’on me raconte. Mais, au cours de ce récit, quel qu’en soit par ailleurs le contexte, oui, tout tiendra dans ce clin d’œil. Et ce clin d’œil est le symbole, non, la cristallisation d’un sentiment qui est qu’au fond faire de la littérature et en vendre sont deux choses diamétralement différentes. Indépendamment de ce qui (ou non) nous désespère là-dedans, ce sera un très bon moment et le temps court, le temps court, le temps nous a dépassé maintenant. Plus tard, dans une émission de radio, quelqu’un prononcera trois fois de suite le mot précisément. Mais une autre version de cette journée, qui pouvait apparaître d’un point de vue différent du mien, peut être lu ailleurs qu’ici.

  • 160219

    21 mars 2019

    Grâce à un tweet de Jérôme Orsoni je découvre Loscil et j’arrive jamais à me souvenir comment écrire au bout du compte (comme ça). Je mange les muffins au chocolat X Nutella que m’a apportés L. hier bien que je passe mon temps à arrêter définitivement de manger du chocolat, je suis et je ne suis pas cohérent. J’essaye d’écrire des refus de manuscrits tels que j’aurais souhaité moi les recevoir, c’est-à-dire en les faisant les plus sincères possibles. Il n’est pas impossible que cette sincérité soit en réalité perçue comme une forme d’hostilité mais je ne peux pas me résoudre à faire ce que finalement tout le monde fait, à savoir ne pas répondre du tout. Mais la douleur est revenue dans l’après-midi, toujours du côté droit, et j’ai l’impression là qu’on me tire loin le nerf optique pour me faire rentrer l’œil à l’intérieur de l’œil (en réalité non). Ça pèse un peu sur ma journée, je dois dire.

  • 190219

    23 mars 2019

    Poulpir est quelqu’un qui fait parfois preuve d’un manque de savoir vivre assez déroutant. Pris le petit-déjeuner avec Lou qui est arrivée dans la nuit et qui repartira bientôt, tout à l’heure en réalité, après que je lui ai tourné le dos un certain temps pour m’enfoncer dans le vortex d’un écran de plus, qui n’était pas cette fois dans ma tête mais devant, on progresse. Il y a des jours où je suis moins parlable que d’autres. Ça va passer. Ça passe toujours. Quelque chose en moi est comme pas allumé et on peut pas être allumé en toute circonstance et à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, pas vrai ? Je sais pas si ma vue est redevenue normale, il me semblait qu’avant je pouvais lire sans difficulté l’heure orange sur la Livebox en cristaux liquides depuis mon bureau, en me tournant, sans plisser les yeux (et là non, peut-être que ma mémoire sait me jouer des tours). J’ai beau écouter sur Spotify Doctor Atomic, je ne trompe personne et ne fais en réalité qu’attendre des morceaux de bravoure comme « Am I in your light ? » ou « Batter my heart », c’est comme ça. Jérôme Orsoni : Une maison n’est pas un bâtiment. C’est une attitude. Un habitacle. C’est un truc 8 qui je crois te plairait. Il fait une chaleur préoccupante pour un mois de février, on annonce des 19. Karl Lagerfeld est partout sur les timelines de nos vies alors qu’à des milliers de kilomètres de là (à des milliers de kilomètres de lui) un morceau de banquise de la taille de la Floride s’est détachée de l’Antarctique. Quand soudain, une question qui m’anime depuis pas mal de mois sous l’écorce s’est retournée dans sa formulation : ce n’était plus tant vais-je voter aux Européennes que que ferai-je de ma voix lors des Européennes ? Encore un petit effort, et le concept même d’Européennes se sera comme dissout dans quelque chose de plus vaste que ça (mais quoi ?).

  • 310319

    4 mai 2019

    Les lapins n’ont pas l’air de saisir le concept de changement d’heure (et refusent par conséquent de manger une heure plus tard) et je découvre, via Jérôme Orsoni, qui sans même le savoir fait ma culture musicale, Morton Feldman. L’écoutant, je me dis des trucs comme qu’est-ce que j’aimerais courir sur Three voices. Je pourrais le faire, oui. Ce ne sera pas aujourd’hui. À la place, je me retrouverai à me réapproprier mes proches espaces de vie. Qu’est-ce que j’entends par là ? Je crois que certaines choses sont mieux laissées dans le non-dit. C’était quelque chose de très simple, basique même, et ça pointait dans toutes les directions à la fois. Je crois que j’en ai dit assez. H. m’a offert un appareil (du reste, j’ai oublié comment c’était censé s’appeler) qui mesure la température d’aliments ou de boissons, par exemple pour sonder l’eau du thé ou réaliser des matés parfaits (de 70° à 80°, encore que là, ils insistent sur l’importance de l’eau tiède, ou froide, au préalable, contrairement à ce mec de Nîmes, rah) et moi je me dis que la vie est trop courte pour continuer à lire un livre qui m’ennuie.

  • 050519

    5 juin 2019

    On me recommande For Bunita Marcus et c’est tout ce que je fais. Pendant un moment je serai comme tendu vers cette musique (ou bien précisément le contraire). C’est sur elle que des pensées se mettent à produire sur moi leur effet : on possède trop de choses. En réalité, et comme souvent, c’est ailleurs que cette idée est venue. C’était sur une plage. C’est une belle chose à se dire sur une plage, je trouve : on possède trop de choses, il faudrait qu’on s’en débarrasse. C’est ce qu’on fera une partie de la journée, H. surtout, qui s’en va donner trois gros sacs de livres et de DVD à la petite cahute sur la place qui ne fait pas que ça, mais qui, à nos yeux, est surtout ça : un lieu où abandonner le surplus de nos vies. Peut-être qu’idéalement, on n’aurait qu’une vingtaine ou une trentaine de livres, pas plus, les essentiels à nos yeux, le reste ne faisant que transiter, donnés ou offerts après avoir été lus, je pense à ça. Car, autrement, comment se dire : je peux partir demain. Sur un coup de tête. Ou sans raison. Autrement, comment se rendre disponible à la possibilité de tout perdre (c’est-à-dire en réalité de ne rien perdre du tout mais au contraire de gagner, en légèreté pour commencer, et comment ne pas considérer que la légèreté, c’est hyper important) ? Ces pensées font le tour de ma tête. D’autres vont venir. Par exemple : pourquoi ne pas mettre sur le frigo des plantes car c’est ici que la lumière abonde ? Ce serait faire le choix des verdures. Ou bien encore : cette fois-ci, se remettre à travailler au site, le faire évoluer. Mais rien de tout ça, non. Je donnerai à JS mon feu vert pour faire de Transoxiane une série Rocambole. Me replonger dedans déjà. Alléger sans doute le texte un peu. Faire revenir des trucs dans un filet d’huile d’olive et un peu de gros sel.

  • 150519

    15 juin 2019

    Claire Larsonneur, Maître de conférences à Paris 8, m’a invité à répondre à quelques questions sur le numérique (nous sommes plusieurs).

     Qu’est-ce qui vous amène à passer de l’écrit à l’écran ou vice-versa ?

    Mais l’écrit, c’est l’écran. C’est ici que convergent toutes les formes d’écriture que je pratique : projets de fictions longues propulsées via applications d’écriture ou traitement de texte, publications régulières sur mon site (mon principal espace d’expérimentation), réseaux sociaux (ou prétendus tels), applications de lecture en communauté, etc. Même la prise de notes, sauf pour des cas très précis d’écriture manuscrite (carnets, mais qui constituent presque toujours une étape préalable à une saisie quelque part) passera par un écran, celui de l’ordinateur ou du téléphone portable. Et, autant que faire se peu, mes terrains de lecture (web ou livre numérique) passent aussi par l’écran.

     Quelles sont les contraintes d’écriture que vous exploitez ?

    Contraintes de régularité (une publication par jour pendant mille ans pour Ulysse par jour, qui met en ligne un passage de l’Ulysse de Joyce dans une traduction expérimentale publiée à l’heure où la phrase est vécue dans le livre chaque jour) ou d’écriture fixe (vers justifiés, soit un même nombre de caractères par ligne). Contrainte de brièveté quand il s’agissait de publier des microfictions sur Twitter (140 caractères maximum à l’époque) pour Accident de personne.

     Quels sont les outils ou interfaces que vous préférez ?

    Celle de mon site (mes sites), Spip, qui accueille la plupart de mes projets, courts ou long, notamment un journal commencé il y a plus de dix ans. Pour tout ce qui est projet hors ligne, j’écris depuis plusieurs années via l’application Ulysses, qui me permet de me focaliser sur la création pure en laissant les questions de mise en page de côté. Mais ce n’est pas non plus un outil idéal, notamment depuis qu’il est passé à un système d’abonnement (Thierry Crouzet en parle mieux que moi). Aujourd’hui, j’aurai simplement besoin d’un outil simplissime d’utilisation avec un bon moteur de versioning pour savoir où je vais (ou plutôt, pour pouvoir regarder dans le rétroviseur). Et, en fait, ça Spip le fait plutôt bien. On pourrait donc tout écrire dans l’espace de ce site, et puis exporter le tout à un moment donné pour les phases de retravail ultérieures (avant la métamorphose en livre, en partant du principe qu’elle doit nécessairement intervenir, ce dont je ne suis pas convaincu).

     Il y a-t’il des temporalités différentes selon le média ? Est-ce que vous en jouez ?

    Difficile à dire, parce qu’en réalité un même texte peut passer par différents outils (prise de note à la volée sur un téléphone, partage de la note via un cloud connecté ici ou là, récupération du texte dans une application d’écriture, copie vers le site, extraits propulsés sur les réseaux, etc.), difficile donc de déterminer quel outil a dicté quoi durant ce processus. Quand même le sentiment qu’il y a deux énergies différentes, mais ce n’est pas vraiment lié à la temporalité, c’est plutôt lié à ce qui est visible ou non : d’un côté des projets au long cours jamais accessibles avant leur parution en livre, de l’autre des projets dont on peut suivre l’évolution en temps réel sur les réseaux (sociaux ou non, juste un site par exemple). L’un de va pas nécessairement plus vite que l’autre ; ça déplace des énergies différentes.

     Vos travaux s’inscrivent-il dans un ou plusieurs genres différents selon les médias ?

    Aucune incidence pour moi.

     Côté droit d’auteur et contrôle sur votre œuvre, comment est-ce que cela se passe ?

    Mes textes sont publiés sous licence Creative Commons sur mon site. Cela n’empêche pas une publication éventuelle future. Dans l’idéal, il faudrait que ces deux modes de publications soient parallèles, et que la parution d’un livre par exemple n’amène pas à supprimer le texte en ligne, mais dans la réalité éditeurs et diffuseurs (pas tous, fort heureusement) souhaitent souvent qu’en cas de parution un texte disparaisse du web (ce qui est en soit idiot, puisque rien ne disparaît vraiment).

     Travaillez-vous parfois de manière collective ? (autres auteurs, codeurs, graphistes…)

    Ça arrive mais c’est compliqué à gérer car nous sommes tous très pris, avec des projets plus ou moins chronophages. Un temps on avait eu l’envie de faire un truc à quatre mains avec Christine Jeanney sur les Jeux vidéos et puis on a renoncé. Savoir quelle tête ça aurait aujourd’hui si on avait persévéré... Dans l’écosystème publie.net, nous travaillons beaucoup en communauté (auteurs, artistes, développeurs, etc.) mais ça dépasse le cadre de mes activités purement personnelles.

     Comment monétisez-vous vos publications en ligne ?

    Nullement.

     Pensez-vous que votre personnage d’auteur change selon le média ?

    Idéalement, mon personnage d’auteur changerait à chaque livre (ou à chaque texte) publié, je prendrais un nouveau pseudonyme à chaque nouveau projet et je passerai mon temps à me trouver des voix divergentes, on croirait que je publie un premier roman à chaque fois que j’en sors un, et on attendrait la suite qui ne viendrait jamais. J’ai quelques pseudonymes en réserve pour plus tard, le hic c’est qu’il faudrait penser à se déguiser d’une certaine façon et trouver un look différent à chacun, c’est quand même du boulot de penser à tout ça. Mais pour répondre à la question, j’ai envie de dire non.

     Comment selon vous devient-on un « auteur reconnu » ?

    Tout dépend de ce que l’on entend par reconnu. S’il s’agit d’une reconnaissance critique, il est pour l’heure indispensable d’en passer par la publication imprimée, de préférence chez un éditeur. C’est un constat. Tout le reste (activité d’écriture en ligne, applications de lecture, livres numériques), en France tout du moins et dans l’époque dans laquelle nous vivons, n’est pas jugé digne d’intérêt. Et c’est sans doute en partie pour cela qu’on se retrouve chaque rentrée à avoir des consensus journalistiques sur quelques livres très ciblés qui, souvent, n’ont pas beaucoup de relief.

     Comment se passe votre rapport aux lecteurs, aux fans, aux communautés ?

    C’est un rapport direct, via les réseaux sociaux principalement. Les fans, je ne sais pas ce que c’est, je veux dire j’ai vu des files d’attente délirantes devant les cinémas pour Avengers Endgame mais je n’ai jamais vu ça pour la littérature que je pratique (et je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose). Les communautés d’auteurs sur le web sont quand même une respiration salutaire, ne serait-ce que pour pouvoir nous permettre d’échanger les uns avec les autres, de nous situer, de nous stimuler, de nous mettre non pas en concurrence les uns avec les autres (notre monde moderne le fait déjà suffisamment tout seul, merci bien) mais de nous faire évoluer sur un même espace commun, qui est celui de la lecture et du partage.

     Utilisez-vous les réseaux sociaux et si oui, comment ?

    De moins en moins. J’ai écrit un livre un peu inclassable sur Twitter qui s’appelle Accident de personne et qui est devenu, depuis, différentes choses au fil du temps. Le but à l’époque (il y a une dizaine d’années), c’était d’exploiter un nouvel espace au sein duquel on trouvait peu de fiction, peu de poésie, peu de création littéraire. C’est toujours amusant de détourner un objet de ses fonctions premières. Mais depuis plusieurs années maintenant, les réseaux sociaux sont devenus pour moi guère plus qu’un espace de promotion permanente de mes publications, et j’ai l’impression de parler dans le vide, et comme tout le monde fait la même chose autour de moi, eh bien personne ne s’écoute. Ce n’est pas grave, mais j’ai souvent envie de couper tous mes comptes et de m’en tenir à mon seul site web.

     Lisez-vous des auteurs numériques et si oui, lesquels recommanderiez-vous ?

    Toute la galaxie publie.net. Au-delà de nos sphères, Quentin Leclerc, Jérôme Orsoni, Ana Nb, Philippe De Jonckheere, j’en oublie certainement...

  • 220519

    22 juin 2019

    J’en suis à me dire je voudrais que personne me parle, personne, et moi parler à personne non plus, j’ai besoin de ce silence, celui que le monde a comme bu, car dans les faits on n’arrête pas de me parler. Là, les auteurs me fatiguent, je veux plus parler aux auteurs. Les éditeurs me fatiguent, je veux plus parler aux éditeurs. Les libraires me fatiguent, je veux plus parler aux libraires. Ça devient compliqué mine de rien. C’est sans doute pour ça que j’écris ce statut sur Facebook indiquant que je ne reviendrai plus sur Facebook et ensuite j’y reviens pour voir qui a lu, vu ou liké ledit statut Facebook exprimant que je quitte Facebook, c’est une caricature de notre monde, cette phrase. D’ailleurs, que pourrait-il bien y avoir derrière les apparences ? / d’autres apparences. Poulpir et Tartelette sont allées chez le vétérinaire, comprendre donc que nous les y avons emmenées, et alors c’est la douche froide : ils ne trouvent pas ce qu’a Tartelette, qui est très agitée ces temps-ci, et ils ont trouvé quelque chose à Poulpir alors que tout va bien pour elle, pouvait-on imaginer issue pire que celle-là ? C’est un abcès à l’oreille droite, à peu près la même chose qu’a eu Tartelette, une otite quoi, il y a six mois, alors les mêmes questions se posent (scanner ou pas scanner ? curetage de l’oreille ou pas curetage ? opération ou pas opération ? trépanation ou pas trépanation ? bulle tympanique ou pas bulle tympanique), bref c’est la merde, je crois qu’on peut dire ça.

  • 240519

    24 juin 2019

    Non seulement il faut surveiller sa nature sauvage (par exemple, moi, quand je laisse libre cours à cette espèce de vide endémique qui ne demande qu’à jaillir, j’atteins des seuils d’insupportabilité assez nocif pour moi-même et mon entourage, je pense) mais il faut se méfier de sa langue, des automatismes du langage. Par exemple là je serais assez pour implanter des puces délivrant de petites décharges électriques (rien ne léthal, rassurons-nous) à quiconque utiliserait la phrase on est dans une société qui... ou bien on vit dans un monde où.... On doit pouvoir être en capacité de se défaire de ça, tournures de phrase entières qui s’imposent à toi sans que tu les formules, non, sans que tu sois conscient lorsque tu les formules ; s’en méfier donc. J’ai arrêté les publications automatiques dlvrit sur Twitter pour tout passer sur IFTT, qui est plus souple et permet notamment d’inclure systématiquement une image (logo) avec un article, et intégrer un extrait de chaque page automatiquement partagée. Pourquoi j’en suis réduit à automatiser mes partages sur les réseaux ? Parce que c’est une forme de violence. Non : parce que je m’imagine que c’est une forme de violence. Non : parce que je le ressens ainsi. Et qu’il y a trop de bruit autour de moi, partout. Au moins, celui-ci, on peut facilement le muter, ce qui ne sera jamais le cas des interminables séances de klaxon parisien qui s’instaurent chaque mardi et vendredi matins, jour de marché, car toute la rue T. est bouchée là où elle se jette dans le rond point de la place un peu plus haut. D’ailleurs quelqu’un m’écrira également aujourd’hui avoir pris ses distances avec tout ça, être en phase de retrait. C’est sans doute qu’il y a quelque chose derrière, et on n’est jamais seul. C’est comme cette sortie que j’ai aperçue tout à l’heure, malgré moi donc, puisque je suis malgré tout amené, ne serait-ce que professionnellement, ces réseaux, à les fréquenter, bref, c’était un thread sur les conditions difficiles de la fantasy française, qui explique qu’en gros si les livres de fantasy française ne se vendent pas, ce n’est pas de la faute des auteurs comme on peut le lire dans un autre article mais de la faute des éditeurs qui ne les rémunèrent pas assez. Et, indépendamment de la réalité de ce constat (les éditeurs ne rémunèrent pas assez les auteurs, quand ils les rémunèrent tout court, c’est une réalité, et le simple fait qu’on en vienne à revendiquer au moins 10% de droits d’auteur sur le prix d’un livre 9, quand on les touche effectivement, ce qui en soit est dérisoire, en dit long sur notre incapacité collective à trouver de nouveaux modèles, à sortir de cette situation délétère) nous voilà tombés dans le piège de la responsabilité : chercher un responsable, ce n’est s’attaquer en rien aux racines du problème, c’est perdre l’occasion de révolutionner ou redéfinir le système et, en définitive, perdre son temps tout court à courir derrière, quoi, des boucs-émissaires ? Parce que personne, dans l’édition, ne veut porter la responsabilité du désastre : le libraire s’en prendra à l’éditeur qui publie trop, l’éditeur à l’auteur qui n’a pas assez mobilisé ses réseaux, l’auteur aux deux autres pour ne l’avoir pas assez défendu ou porté et, pendant qu’on cherche à faire porter, justement, le chapeau à quelques uns ce qui est constaté en permanence par tout le monde, rien ne change, rien ne bouge, on continue de publier des livres en se disant qu’un heureux accident peut toujours arriver, et, en ce qui concerne les auteurs, à ne pas en vivre. Et en répondant sur ce mode-là, la ligue professionnelle des auteurs, puisque c’est d’elle dont il s’agit, non seulement se trompe, mais fait l’erreur de tomber dans le piège corporatiste de base qu’on tend dans tous les secteurs et en tous temps électoraux, précisément car on vit dans un monde qui fait de l’opposition des uns contre les autres un véritable mode de vie, et qui se repait de ça. Or donc à qui profite le crime ? ; comprendre : qui fait son beurre de cette situation dans l’édition ? Finalement, ce qu’il y a de plus juste, de plus sain sur la question, est peut-être à chercher non dans une présence exacerbée où que ce soit, c’est-à-dire dans une mise en produit de nous-mêmes, mais dans une forme d’absence, d’abandon, de rupture, de refus. Il me semble l’avoir lu ainsi, du moins, ce soir chez Jérôme Orsoni. Et peut-être qu’il convient en réalité de ne plus publier de livres, du moins pour un temps, et de s’en tenir à nos espaces web où au moins on est libre d’être qui on veut, et quand on veut dans le temps.

  • 030619

    3 juillet 2019

    Souvent cette expression, supprimer les moulinets inutiles. D’une certaine manière, supprimer les moulinets inutiles est peut-être voisin de comprimer un texte jusqu’à obtenir une sorte de supraconductivité électrique. Ou bien de cette phrase de Jérôme Orsoni (Habitacles, cahier 2) : Simplifie, ne serait-ce que pour accueillir la plus grande complexité. Mais ça, ça vaut dans l’écriture et non dans la vie. Peut-être qu’appliqué à la vie de tous les jours, supprimer les moulinets inutiles (qui ici est un conseil donné à Fly par son maître d’arme pour développer des techniques capables de l’aider à sauver le monde, ni plus ni moins) pourrait se traduire par cesser de faire les choses pour donner l’impression qu’on les fait. Or dans ma vie quotidienne, j’ai le sentiment de passer mon temps à ça. C’est le cas de tous les gestes envisageables lorsque la douleur se manifeste : on fait quelque chose pour se donner conscience qu’on n’y est pas soumis. On est actif. Supprimer les moulinets inutiles, ce serait se contraindre aux seuls gestes, mouvements, déplacements, paroles, que sais-je, uniquement non pas utiles mais nécessaires. Est-ce possible ? De toute façon, rien ne fonctionne. Tu as beau couper Facebook, puis Twitter (ou inversement), tu es quand même bombardé de mots. Et quand ce ne sont pas des mots, ce sont des éclats de ça. Ou des bruits (le nombre de bruits qu’on reçoit sur la tronche). Et quand ce ne sont pas ces sons, ce sont des pensées. Si bien qu’il faudrait peut-être se retirer quelque part et ne plus voir personne pendant quelque chose comme mille ans, et ce ne serait toujours pas suffisant car ce n’est jamais suffisant. C’est comme cette histoire de silence 10, le monde entier semble vouloir me faire dire quelque chose alors, parce que c’est ce qu’on attend de moi et que je suis conciliant, je le fais, je dis quelque chose, mais je dis quelque chose pour satisfaire l’attente placée en moi qu’une parole (n’importe laquelle finalement) émerge, et plus rarement parce qu’il y a au fond de moi une parole réelle à sortir, si bien que je ferai mieux, systématiquement, quand on cherche à me faire parler, de me taire, ou bien de dire (ou de faire comprendre par le biais d’un t-shirt à message préalablement conçu sur le web) que tout ce que j’ai à dire et pas un mot de plus se trouve dans ce que j’écris. C’est tout. Parce que la vie, c’est ça en permanence : on joue à une marionnette de toi, et te voilà devenu littéralement à ton corps défendant le pantin de quelqu’un, ou de quelque chose. Par exemple, là je me retrouverai à acheter un pain aux noix moulé. Qu’est-ce que c’est, un pain aux noix moulé ? Et quelle différence avec un pain aux noix tout court ? On ne saura pas. Mais moi, je l’ai acheté. En rangeant ces courses, j’en viens à me dire mais je n’ai pas envie de manger du pain aux noix, moulé ou non. D’ailleurs, les noix, je n’aime pas ça. Moi, je voulais manger des petits pains d’une certaine marque suédoise mais, voilà, à Auchan, ils ont décidé de boycotter la plupart des produits de cette marque, et ils ne référencent plus soit que la version saveur briochée (ce qui est une hérésie) soit la version dorée. J’ai acheté la version dorée. Et je m’en contrefiche pas mal que mes petits pains d’une certaine marque suédoise soit, ou non, dorés. Moi, je voulais surtout que ces petits pains soient complets. Le sont-ils ? Je ne sais pas. En plus, ils sont gorgés d’huile de palme, ce qui est une offense faite aux orangs-outans (et qui aurait envie de faire offense aux orangs-outans ?). Là, le seul message qu’ils proposent (et en cela c’est une forme de bruit), c’est qu’ils sont dorés. Et voilà pourquoi je ferai mieux d’aller vivre dans une grotte quelque part loin de tout pour échapper à ça. À cet état du monde doré. Est-ce que ça me protège de sortir à 21h pour aller marcher vers la Seine et en revenir ? Je ne le saurai jamais. Je n’y suis pas allé. À la place, j’ai lu ce texte dans les Relevés de Quentin Lerclerc et je me suis dit tout Quentin Leclerc est dans ses Relevés. Ça ne veut pas dire pour autant qu’il ne faille pas lire ses livres mais, je veux dire, tout Quentin Leclerc est dans ses Relevés. Ça aussi, ça me protège quelque part. Mais de quoi ?

    J’aimerais écrire mon livre comme je vous parle. C’est-à-dire avec tous les parasites et toutes les idées sans lien qui surgissent à mesure. Je ne sais plus ce qu’est la linéarité, si je l’ai jamais su. Je ne sais plus ce qu’est la patience d’écrire. J’aimerais que tout aille vite, beaucoup plus vite, et tout dire en même temps. Je refuse de choisir. Je ne peux plus choisir, je n’en ai pas le temps. J’ai envie de profiter au maximum de ce que le capitalisme a à nous offrir avant qu’il ne s’éteigne, ou qu’on ne s’éteigne avec. J’ai envie de rire parce que tout va disparaître et que c’est affreux. Les ordinateurs, les voitures, la télévision, les dentifrices, les mp3, les serveurs, cette page web, tout ça va bientôt disparaître, presque d’un coup, et actuellement nous sommes obligés d’en garder le souvenir, et c’est une joie immense d’être les mémoires de ces détails mais c’est aussi, par avance, d’une nostalgie écrasante. Alors je n’ai plus le temps de savoir si je veux raconter l’histoire d’un quidam qui passe par là, c’est même hors de propos, parce qu’il faut tout raconter en même temps, d’un coup, les ordinateurs, les voitures, les dentifrices, les mp3, la télévision, les serveurs, toutes les pages web, tous les quidams qui passent par là, toutes les histoires d’amour, il faut se rendre compte de la masse de choses que nous avons à écrire, c’est une charge colossale, c’est démesuré. Moi je préfère abandonner d’office. Je n’ai pas le temps pour tout écrire. J’ai à peine le temps d’écrire ce paragraphe. Je le fais pourtant en sachant que c’est une faute. Je le fais par faiblesse. Je le fais pour ne pas raconter ma première partie sur POKéMON, toutes les émotions éprouvées entre mes 12 et 18 ans, ou la rue du Lac, ou les visages des voisins, mes figurines, mon grand-père, toute mon enfance, toute mon adolescence, j’écris les larmes aux yeux parce que je sais que je passe à côté de mon cœur en ne l’écrivant pas. Mais je n’ai pas le temps de m’attarder dessus. Tout part vous comprenez. C’est terrible comme sensation. Je ne retrouve déjà plus les archives de mes conversations MSN, ni l’url de mon skyblog. Et c’est pourtant tout ça que j’aurais déjà dû écrire, que je devrais écrire si j’en avais la force et le courage. Tout est en feu vous comprenez. L’oubli est infernal. Je n’ai même pas 28 ans.
  • 030819

    3 septembre 2019

    Chère Madame, Cher Monsieur,

    J’ai bien reçu votre réponse à mon courrier daté du 28 juillet dernier et je vous en remercie. Vous avez fait preuve d’une célérité certaine à revenir vers moi au sujet de ces deux voyages défectueux et c’est tout à votre honneur. Je prends bonne note de votre proposition de me dédommager de mon malheur sur la base d’un bon d’achat d’une valeur de 60€. Il y a quelques jours à peine, lorsque H. me demandait ce que je pressentais quant à cette situation, je lui ai répondu ils vont probablement m’envoyer un bon d’achat de 60 à 70€. J’avais raison. Qu’il est doux d’avoir raison en ce monde. Mais je ne suis pas satisfait pour autant. Comme vous le savez si vous avez lu mon courrier jusqu’au bout, j’estime le préjudice subi lors de ces deux voyages (deux allers, deux retours) à 152,45€. Je vous prierai de bien vouloir vous reporter à ma précédente lettre pour consulter le détail du calcul m’ayant conduit à ce montant. Je ne suis pas fermé pour autant. J’ai bien conscience que ce qui est en train de se jouer ici, c’est une négociation. La seule forme de dialogue, semble-t-il, que le monde de l’entreprise puisse comprendre. Par exemple, quand le FC Barcelone entend racheter Neymar au Paris-Saint-Germain, il convient de mettre le prix. Le prix de Neymar, c’est 300M€. Mais il se dit que l’état-major du PSG pourrait le laisser partir pour, grosso modo, le prix déboursé lors de son achat il y a deux ans, soit 222M€ (montant de sa clause libératoire à l’époque). Je trouverai ça juste, surtout compte tenu des vices cachés du bonhomme (chevilles en carton, carnaval de Rio, melonite dingue). C’est la même chose ici. Non seulement il y a des vices cachés dans votre produit INOUI mais je suis tout à fait disposé à revoir mes prétentions à la baisse. Je pourrais me satisfaire de 100€. Comme pour Neymar, cela implique une transaction en cash. N’essayez pas de me refourguer Rakitic ou Coutinho en échange. Si vous persistez à vouloir régler ce problème par le biais d’un bon d’achat (c’est-à-dire une monnaie d’échange moins coûteuse pour vous et qui vous arrange vous), je daignerais en accepter un d’une valeur de 120€. 100€ par virement ou 120€ de bon d’achat. Je suis conciliant. Car ce n’est pas à vous (entreprise) de m’imposer à moi (client) votre mode de rétribution. Si j’en crois la loi qui couvre la garantie légale de conformité (car votre voyage de luxe n’était pas conforme), c’est à moi qu’il revient de choisir mon mode de réparation : échange, remboursement, etc. Je suis donc, tel Ban le dieu du mal dans Fly, magnanime. Je tiens malgré tout à m’étonner qu’en dépit de la rapidité de votre réponse, votre correspondance manque de tact. C’est le moins qu’on puisse dire. Pour commencer, j’ai fait l’effort de m’adresser à vous par le biais d’un courrier recommandé avec accusé de réception. L’usage aurait voulu que vous me répondiez via le même canal et non par email. Deux emails pour être exact, le premier en date du 1er août, le second le lendemain, tous deux envoyés sur les bases d’une adresse type no reply qui implique comme son nom le laisse entendre une impossibilité de dialogue. Par ailleurs, il demeure impossible de vous envoyer ce message via votre site internet, qui se gèle juste avant la dernière étape (envoyer). Je m’en remets donc à nouveau aux voies postales. À chaque fois, ces emails sont des courriels types, non signés. Enfin, vous avez fait une faute à mon nom, ce qui est tout de même peu respectueux de la personne que je suis, et ce qui prouve également que vos process, qui donnent l’apparence d’une interface automatisée, nécessitent malgré tout que quelqu’un, quelque part (en France ? à l’autre bout du monde ? dans les eaux internationales ?) saisisse une donnée à la main (et donc potentiellement se trompe). Lorsque je travaillais chez STAT, non seulement je signais les courriers que j’envoyais (d’un nom fictif, certes, mais faisant preuve d’une certaine humanité néanmoins), mais je prenais plus de temps pour les composer. Je prenais le temps de consulter autrui. Je demandais conseil. Je faisais faire des expertises. Je sondais des techniciens, des responsables auprès de mon siège européen, voire, si la situation le nécessitait, mon service juridique. Bref, je faisais mon boulot. Et mon boulot n’était pas tant, comme certains auraient pu le souhaiter, de réduire les coûts d’un service qui ne rapportait rien mais était un poids dans les budgets de l’entreprise, que de veiller à l’image de la marque. En voilà une formule désuète. Mais néanmoins réelle. Là, à vous lire, je me sens mal pour vous. Vous avez travaillé trop vite. Dans l’urgence. Et vous avez concocté ce bon d’achat au petit bonheur la chance, comme n’arrêtait pas de le répéter un prof de collège que je haïssais à l’époque. Depuis, cette expression, je ne peux pas la voir en peinture. De même que l’expression ne pas pouvoir la voir en peinture. Le hasard fait bien les choses. Mais ce n’est pas le hasard, c’est le langage. Moi, je me suis remis à vous dans ma langue. Vous, vous m’avez répondu un message type composé par les soins d’un service (ou bien, qui sait, d’un algorithme ?) bassement marketing. Jérôme Orsoni écrit : Je ne connais rien de plus étranger au langage que le regard d’une vache. Entre nous, j’aurais préféré une vache. Si je vous ai contacté initialement, c’est que j’avais la certitude que vous, au moins, vous me liriez attentivement. Intensément. Pleinement. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas toujours le cas en littérature. Avais-je dans l’idée de vous faire répondre quelque chose de précis, comme on dirait par exemple d’un témoin qu’on veut avoir les moyens de le faire parler ? Par exemple, je pense à Manchette :

    On amenait régulièrement à San Isidro des personnes soupçonnées d’intelligence avec l’ennemi de classe, et le travail du S. I. M., sous la direction d’Alonso, était de les faire parler en les battant, en les violant, en les incisant, en les électrocutant, en les castrant, en les noyant dans des locaux ingénieusement conçus et en leur coupant la tête.

    La chute de la phrase est terrible. Tout est terrible, mais la chute tout particulièrement. On a versé dans l’absurde : comment faire parler qui que ce soit en lui coupant la tête ? Moi, je ne veux couper la tête de personne. Mais il y a une expression qui existe, passée dans le langage courant. Comment c’était déjà ? Marcher sur la tête ? Voilà. Et j’ai envie de vous dire, les amis, réveillez-vous. Car c’est précisément ce que vous faites.

    Bien à vous,

    GV

  • 301019

    30 novembre 2019

    Dans « L’oreille aux portes », documentaire radio sur un compositeur en quête de son(s) dans un hôpital, Nicolas Frize explique qu’une des raisons pour laquelle la musique contemporaine angoisse le grand public, c’est qu’elle est associée par lui à des scènes bien particulières, notamment au cinéma. En l’occurrence, dans des films d’horreur. Et effectivement qui n’a jamais entendu, pendant une scène où il est nécessaire d’accroître par tous les moyens la tension (aussi bien la tension narrative que celle du spectateur plongé en elle), une série de cordes stridentes, des accords répétitifs, des dissonances, ou bien (mon préféré), pour illustrer la prolifération bactériologique ou en tout cas suggérer la présence d’une créature quelque part, ces suites de mono-sons très rapides, cordes là encore le plus souvent, mais néanmoins un peu aqueux, huileux, organiques quoi. On entend souvent ça dans X-Files (qui sont, en anglais, Les X-Files comme Batman est le Batman). C’est cheesy. Par exemple, dans la bande originale de The Thing, composée (je le découvre) par Ennio Morricone, cela donne un morceau comme « Contamination ». Dans ce film, il y a en a un autre particulièrement au-dessus du lot, c’est « Humanity Pt 2 ». Au moment où il intervient dans le film, n’ayant aucune image en visuel, j’ai cru que le générique de fin s’ouvrait là. Ça aurait été le meilleur moment possible pour clore l’intrigue. C’était l’acmé narratif, musical et, tout simplement, d’ambiance générale. Aurais-je eu la même impression en regardant normalement les images ? Le grand public a-t-il cru ce que j’ai cru ? Revoilà ce mot dont je ne sais que faire. Car c’est quelque chose qui revient bien souvent au quotidien dans nos activités. Le grand public. Ou pour le dire autrement, le plus grand nombre. Mais c’est qui ou c’est quoi, ce grand public ? Existe-t-il ? Ou elle ? Que mange-t-il ? Que lit-il ? Il y a des classements de meilleures ventes, bien sûr, mais on s’efforce plutôt de ne pas les regarder. Il y a les impressions d’ensemble (il faut se méfier des impressions d’ensemble). Il y a cette lente montée en tension là encore, au fur et à mesure que le morceau progresse, jusqu’à cette brutale accélération du thème à l’orgue, un thème qui n’est pas un thème à proprement parler d’ailleurs, il ressemble plus à une série de mesures répétitives comme on en retrouve par exemple dans les Vexations de Satie (partition à jouer 840 fois de suite), et dont on trouve une bel épuisement des formes hors piano 11 sur Ubu web. À coup sûr, les Vexations n’étaient pas destinées au grand public 12. Jérôme Orsoni citait il y a quelques mois Morton Feldman : « Si plus de cent personnes aiment ta musique, elle est commerciale. » Du reste, je ne parviens pas à trouver sur le web des enregistrements de Nicolas Frize, qui explique vouloir « contourner toute valeur marchande attribuable aux créations ou à leurs éventuelles traces ». Qu’en est-il de nos écritures ? À qui les destine-t-on ? Quand la réponse à cette question est personne, pourquoi les publier ? J’entends par là, passer par le truchement (littéraire, commercial, industriel) d’un tiers et non rendre public. Comprendre : s’en remettre à un éditeur plutôt que de le publier tout seul sur le web, ou sous une forme de micro-édition. L’autre jour, j’expliquais à T. le principe narratif qui régit Chiasma : deux récits en miroir, dont l’un se déroule à l’envers. Je n’ai pas encore tranché sur ce que j’entends par à l’envers. Est-ce que l’ordre des paragraphes est décroissant au lieu d’être croissant ? L’ordre des phrases elles-mêmes au sein de ces paragraphes ? Je me dis que de composer carrément des séquences dont les phrases apparaissent à la lecture dans l’ordre inverse de leur déroulement narratif, ce serait plus juste vis à vis ce que je veux atteindre, et par là même représenter. Mais serait-ce lisible ? Sans doute que non. Il faut tester. T. avait l’air de penser que non. Et si c’était quelque chose qui m’était présenté par l’un des auteurs avec qui je travaille, je dirais, ou penserais, exactement la même chose. Pendant un moment, j’ai même envisagé proposer ce texte complètement à l’envers : il faudrait donc un miroir pour le lire. Qui lirait une chose pareille ? Nous retombons sans doute sous les cent personnes de Morton Feldman. Est-ce grave ? Qu’attend-on de l’écriture ? D’être lu par le plus grand nombre, ou d’être tout simplement soi ? J’écrivais hier, sur des sujets bien proches, que cette indécision était source chez moi de schizophrénie. Et me voilà à écrire, pour autre chose encore, aujourd’hui cette fois : c’est moins clivant. Que m’arrive-t-il ? J’ai cru un moment que Grieg me permettrait d’écrire des choses plus expérimentales, tout en me laissant la possibilité à côté de publier des romans plus normés. Mais dans Chiasma ou Eff, est-ce que je veux faire un effort quelconque pour être lu par le plus grand nombre ? Non, je veux simplement être juste. Même chose pour Grieg en réalité. Et la réalité, justement, de mon écriture actuelle, c’est que je n’en attends strictement rien : je la pose dans un coin noir de l’écran et je l’oublie.

  • 150120

    15 février 2020

    À la radio, quelqu’un dit : je ne lis que les morts. Pourquoi pas, après tout. Mais si on ne lit que les morts, et qu’on écrit aussi, la langue que l’on fait sortir de nous, est-elle une langue morte ? C’est une vraie question. Il n’y a pas de mépris, ou d’ironie, ou de jugement de ma part. Je m’interroge. Ce qui rend nos écritures contemporaines, puisque c’est le mot qu’il convient d’employer, cela vient de nos vies ou de ce qu’on s’expose via la lecture à d’autres vies que la nôtre, des vies actuelles, d’aujourd’hui ? L’autre jour je disais à E. : c’est normal d’écrire de la mauvaise poésie 13 quand on a 18 ans. Certains d’entre nous écrivent même de la mauvaise poésie à 33 ans. Et d’autres passent leur vie à écrire de la mauvaise poésie. Mais il suffit d’une fois. D’un rythme. D’un beat. D’une pulsation. On vit dans l’espoir de ça. Peut-on écrire de la poésie avec des mots comme ACAB ? Je cherche ce que veut dire ACAB. Ça n’a rien à voir avec le capitaine du même nom, encore que Achab puisse être considéré comme un bastard. Les gens d’Ulysses sont-ils des bâtards pour ne pas permettre l’export des projets qu’on écrit dans leur écosystème en plusieurs sheets ? Dans ces applications d’écriture, on ne travaille pas sur un seul document par projet, on travaille sur des feuilles disjointes (sheets, donc), qui peuvent correspondre à une scène, ou un chapitre. Quand on veut les exporter (pour pouvoir les retravailler dans un vrai traitement de texte par exemple), on sélectionne toutes nos feuilles et ça en fait un fichier global. Un roman composé de chapitres devient alors un roman complet. Mais quand on veut exporter le tout en gardant cette fragmentation, par exemple pour passer dans un autre outil d’écriture (Joplin), on ne peut pas garder la séparation en feuilles. On doit donc le faire feuille par feuille, ce qui est fastidieux et, de toute façon, il me faudra quoi qu’il arrive fastidier car je me rends compte en faisant mes tests que les tags et les mentions de type commentaires (entre %%) ne sont pas exportées. Misère à poil, aurait dit C., et j’ignore s’il faut ou non mettre un s à poil dans cette expression. Ce que je sais en revanche, c’est que j’ai toutes les peines du monde à remplir ma playlist 2020. Là, je plafonne à six chansons, 23 minutes de temps, et des trucs qui ne sont pas franchement actuels : telle reprise de « The Man Who Sold the World » que nous injecte la Secret Bowie Society depuis l’espace probablement, pendant que la Blackstar continue d’orbiter autour de nous dans l’ombre (ou le contraire), une autre de « Because » des Beatles par Vienna Teng et Brandon Ridenour. En fait, une seule chose que je ne connaissais pas jusqu’à il y a quelques jours, mais quelle chose : « Hana » de Asa Chang & Junray. C’est très expérimental. C’est parlé. C’est le rythme de la parole et des mots. Ponctuation, percussion, souffle. C’est vraiment ouf. Sinon, rien. Quand ça chante, j’écoute pas. J’ai un problème avec le rock (le rock est mort depuis Dark Side of The Moon dixit Benoît ’Farigoule Bastard’ Vincent), j’ai un problème avec la pop. J’allais écrire j’ai un problème avec la popo, mais je n’ai aucun problème avec la popo, sinon que ce courant musical du futur n’a pas encore été inventé. Ou peut-être est-ce précisément ce que joue le sélecteur du lave-linge pendant plusieurs secondes ? Un espèce de rythme binaire froid. Justice nulle part, bip-bip de l’électroménager partout. C’est littéralement inhumain, comme son, et c’est sans doute ce qui me plait. Hier, je me disais que telle piste de Colleen ferait une bonne sonnerie de portable (car c’est à ça qu’est réduite la musique au jour d’aujourd’hui (sic) : à une forme de jingle). Une notification m’apprend qu’un grand magasin célèbre pour avoir été racheté par le Qatar il y a quelques années fait sa rentrée. C’est ça, au fond, qui est inhumain. Et voilà ce qui me touche : dans les récits d’aventure, c’est chez les héros qui a priori n’ont rien d’humain (les super-héros, les monstres ou les être robotiques) qu’on trouve des preuves d’humanité les plus touchantes (car imprévues a priori), alors que la majorité des gens réels qu’on nous montre partout font surtout la preuve de leur absence d’humanité. Moi-même, je ne me sens pas très abité par des sentiments humains. C’est le problème des images et des récits simplistes. Ils nous arrachent à notre sensibilité humaine, à nos fragilités. Par exemple, avoir montrueusement faim en plein milieu de la journée après avoir mal géré le nutriscore de soi, c’est une fragilité. Je me méfie de l’huile de sésame quand bien même l’huile de sésame semble être dotée d’un pouvoir merveilleux : rendre les choses fades bonnes, notamment couplée à la sauce soja. Là, c’était des crevettes et des poivrons avec des nouilles de riz, et il a fallu que je m’en remette aux radis pour survivre. Je ne me fais pas d’illusions sur mes (non) capacités à pouvoir regarder le match de ce soir. Je fais l’erreur de croire que parce que j’ai râté un match spectaculaire dimanche, celui de ce soir, contre la même équipe, le sera tout autant. Toutes les probabilités montrent en réalité que ce sera un match ennuyeux. C’est le cas. Je le regarde vaguement sur l’écran einké du BM3, ce qui est peu lisible. C’est saccadé. Parfois on perd de vue le ballon. Est-ce utile de distinguer le ballon dans le football business d’aujourd’hui ? Du moment que tu ne perds pas de vue les sponsors... C’est amusant : à cause de la rémanence, très forte dans ce mode qui favorise la fluidité, sur les plans larges, on a la sensation que les déplacements des joueurs génèrent une trace grise qui les suit, comme si nous avions sous les yeux non pas vingt-deux millionaires en short (et un arbitre) mais vingt-deux escargots sécrétant leur trainée de bave (et un arbitre-limaçon parmi eux). Et, de toute évidence, ça va mieux. Est-ce à cause de la bave ?

  • 031120

    3 décembre 2020

    Je ne dirai rien des mots quand on regarde les chiffres qui me hérissent. Je ne dirai rien des éditorialistes. Je ne dirai rien des souhaits corporatistes. Je ne dirai rien des courbes, et si je ne dis rien des morts c’est que j’ignore tout d’eux. Je ne dirai rien de ce qu’on m’a dit un jour : ici, la terre est glaise, on ne peut rien faire pousser, à moins de venir avec sa propre terre. Ces drôles de mots : venir avec sa propre terre... Et puis : il faut partir du principe que ce qu’on arrache, on ne pourra peut-être pas le remplacer par autre chose... Je ne dirai rien des douze (on est tombé théoriquement à douze). Je ne dirai rien de la crème fraiche (il vaut mieux pas) versus le lait d’amande, qui est plus cher. Purée de potimaron meilleure que celle de patate douce : je ne dirai rien de ça non plus (ou peu). Je ne dirai rien des rêves (nul rêve) ni du pelage des bêtes (X nœuds). Ne rien dire de rien, c’est écrire et pourtant, écrire, ce n’est pas parler. Ce n’est pas non plus faire silence 14. Ce n’est pas zen, écrire. C’est tendu, et c’est déjà comme arraché à nous : distendu, donc. Si c’est pour ne pas dire, peut-être pour se poser les vraies questions. Why is a gorilla wearing a gorilla costume ?, me paraît une bonne base pour commencer.


  • ↑ 1 Le noir complet c’est des mèches qui crépitent sous le voile des paupières.

    ↑ 2 Voici une chaise. Van Gogh la peint. En un certain sens, il la momifie. Spoerri l’utilise dans un tableau piège. En un sens il la momifie. Ici p.124.

    ↑ 3 De retour sur les Études de Philip Glass interprétées par Bruce Livingston.

    ↑ 4 GE9

    ↑ 5 On est page 49.

    ↑ 6 Un livre particulièrement intéressant sur le plan factuel mais parsemé de notes faussement décalées ou de redites rébarbatives qui ont pesé sur ma lecture.

    ↑ 7 P. 21-22, éditions Chemin de ronde.

    ↑ 9 Notons quand même que chez publie.net, on propose des contrats au-dessus de ses seuils, et nous payons les droits d’auteur chaque année, même si clairement ça ne résout pas grand chose ce n’est tout de même pas rien.

    ↑ 10 « Le silence est germinatif », entendrai-je le long de cette émission, tout en jouant aux vases communicants des livres entre la chambre et le salon.

    ↑ 11 « Pianoless Vexations ».

    ↑ 13 Je renvoie ici à Jérôme Orsoni non car j’estime qu’il écrit de la mauvaise poésie mais parce que cette expression-là, je la lui emprunte.

    ↑ 14 Jérôme Orsoni dans ses Habitacles (Abrüpt) :

    Parler parce que — à supposer que jamais on l’ait pu — on ne peut plus se taire.

    Et bien sûr, c’est dans le silence qu’on peut parler le mieux.

    C’est en silence qu’on peut parler. Le reste du temps, que fait-on ? On bavarde. On se répand. On se perd. On perd son temps. On passe le temps à faire société. Prendre langue en perdant son langage.