Sophie Divry



  • 020319

    2 avril 2019

    Si j’ai dormi une douzaine d’heures, c’est bien que je devais (ou bien que quelqu’un ou quelque chose en moi devait) en avoir besoin. Je trouve dans Trois fois la fin du monde 1 une bien curieuse façon de se shooter aux opiacés : Il écrase des comprimés de Lamaline, mélange ça avec de la noix muscade et me permet d’en sniffer des rails. Le numéro deux de Dopamine est sorti. Dans le premier numéro on trouvait cet autre cocktail : Je cueille ici ou là une ou deux baies sauvages, je cuisine deux trois psylocybes, j’infuse trois quatre boutons de Peyotl à la mode Apaches, je fume quatre ou cinq grammes de cannabis culture maison, et je prends note de tout ce que mon cerveau, mon estomac ou mes poumons me restituent de sensations diverses et variées pour calibrer et quantifier au mieux pour les jours à venir. Dans La langue de la girafe on trouve : Arborescences, fractales, coraux, algues, une forêt de motifs et d’être microscopiques. Une forme de lenteur dedans. Dehors, de la blancheur (beaucoup). Et des cartons qui se sont amassés dans la semaine à aller démembrer, aplanir puis jeter dans le container dévoué au recyclage (et puis les pots en verre dans le fracas d’eux-même en suspension). Voilà où nous en sommes. Activating cities : Always pay your respect to ravens going in pairs, for they may be mythological beasts in Scandinavian recon. Un film au MK2 Bibliothèque assez remarquable en fait, à la structure narrative très fine et au symbolisme animalier (comme The Lobster il me semble) réellement inventif.

  • 250919

    25 octobre 2019

    Ce n’est pas parce que je le lis avec intérêt les travaux de Sophie Divry ou certaines interviews de Kenneth Goldsmith que je n’ai pas de distance critique avec les sujets qu’ils abordent. C’est précisément le but de la manœuvre : chacun peut se construire sa propre théorie du roman. Je parle du roman à dessein car, ici, c’est lui qui m’intéresse. Quand Kenneth Goldsmith parle de la mort du roman à la parution de Finnegan’s Wake, c’est (aussi) une pirouette. Mais difficile de lui contester le constat qu’il fait sur l’uniformité et la pauvreté de la littérature mainstream aux États-Unis, que lui relie à un syndrome creative writing (et il y aurait beaucoup à dire là-dessus, car n’existe-t-il pas plusieurs façons d’enseigner ce qu’on commence à peine à appeler, en France, l’écriture créative ?). Du reste, je ne sais pas concrètement ce qu’on enseigne en France dans ces cursus. Sincèrement, j’aurais eu 20 ans en 2019, j’aurais tout fait pour m’y inscrire. Dans Rouvrir le roman, Sophie Divry parle beaucoup de l’impossibilité (supposée, ce n’est pas vraiment la thèse qu’elle défend, elle part d’un constat sur plusieurs décennies de création contemporaine en France), aujourd’hui, de confier son récit à un narrateur omniscient, ou surplombant, avec une temporalité au passé simple. En un mot, une narration classique. Est-ce réellement impossible ? Le concept même d’impossibilité est-il soluble dans un genre qui fait tout et son contraire depuis des siècles, et qui absorbe tout à mesure que les époques, le traversant, se succèdent ? Ce qui est compliqué, c’est d’écrire de bons voire de très bons romans omniscients au passé simple aujourd’hui. C’est tout (mais ce n’est pas rien). Ou bien disons plutôt : ce n’est pas la même chose. Car dans cette phrase, chaque mot à son importance. Pourquoi ? Le genre n’est-il pas usé jusqu’à la corde ? Quand on se destine à devenir un athlète de haut niveau et qu’on veut battre des records, on peut soit s’en remettre à la discipline reine et courir le cent mètres (avec une probabilité pour que ça arrive extrêmement réduite, puisqu’on se coltine alors plus d’un siècle de concurrence de très haut niveau), soit on opte pour une discipline plus récente, ou la concurrence est moindre et où on estime avoir plus de chance. Pour filer la métaphore sportive, il convient de choisir si on veut être vassal de Messi au Barça, ou roi de Madrid à l’Atlético. Pour le coup, les chances de remporter la Ligue des Champions pour l’un comme pour l’autre (c’est-à-dire, dans notre métaphore, d’accéder au chef d’œuvre, dont Antoine Compagnon attend toujours qu’il arrive) sont équivalentes. Il faut juste être très très bon. Mais sommes-nous là pour battre des records ? Ou pour remporter quoi que ce soit ? D’ailleurs, que cherchons-nous à atteindre quand quelque chose écrit en nous ? Certains, comme moi, n’ont aucune envie de se mettre à courir dans le cadre de compétition quelle qu’elle soit, et préfèrent courir le week-end seul avec de la musique et des quelques pensées vaporeuses. C’est leur choix, et il est parfaitement respectable. Le truc, c’est que dans ces cas-là, il ne faut pas s’attendre, sauf hasard étrange ou accident, à ce que quiconque assiste à la course sur le bord de la route et se mette à applaudir. En d’autres termes, qu’on apprécie cette course comme performance, c’est-à-dire, en quelque sorte, déjà comme produit. Mes métaphores sportives sont un peu moisies car, au fil du texte, j’ai glissé d’une chose vers une autre. L’écriture classique, académique, normée, et l’écriture pour soi, anormale au regard de ce que l’on appelle un peu bêtement la profession, personnelle. Moi, je crois que j’ai pour ambition de faire les deux. Parfois même au sein du même texte. C’est, à ce qu’il me semble, l’idée derrière Chiasma. Et c’est bien sûr (comme à peu près toute chose) parfaitement suicidaire, commercialement parlant.


  • ↑ 1 Un livre que je lirai en une journée, déstabilisant d’abord car cultivant un certain plaisir à te perdre, par exemple dans un récit (la partie la plus faible du livre sans doute) de prison, puis dans l’illusion d’un road movie qui n’adviendra jamais. Ensuite, seulement, dans un récit de la survivance postapocalyptique qui rappelle Le dernier monde de Céline Minard. C’est cette deuxième moitié du livre qui s’évertue le plus à aller au bout de son idée, faite de glissements répétés en et hors de la pensée (ou du langage) tourmenté(e) du héros. Parfois le recours à une langue jeune (et orale) est un peu trop voyant, voire artificiel, mais c’est une façon plutôt bien construite de marquer la dissolution du personnage dans quelque chose de plus grand (et de plus sauvage) que lui. C’était une bonne lecture.