Toute la tension du désespoir irriguant Shingeki no Kyojin se trouve dans cette phrase de Maeterlinck : Le bonheur des termites, c’est d’avoir eu à lutter contre un ennemi implacable, aussi intelligent, plus fort, mieux armé qu’eux. C’est un dilemme narratif. En tant qu’espèce, nous n’avons plus d’ennemis. Alors nous sommes l’ennemi. Quelqu’un me tire de mes pensées : on frappe à la porte exactement comme, enfants, les copains du quartier frappaient à la porte alors que nous avions tous une sonnette. Mais ça ne nous serait jamais venu à l’esprit de l’utiliser. Parce que quand nous avons commencé à aller-venir chez les uns chez les autres, on n’était pas assez grands pour l’atteindre ? Pas sûr. Pour être intuitivement reconnus des autres au bruit ? Là, ce n’est pas quiconque issu de mon passé, juste du spam en présentiel. Si lui frappe plutôt que sonne, c’est que la sonnette ne marche pas. Mais il y a une cloche. Mais il préfère frapper. Je ne suis que locataire, je ne l’intéresse pas (du reste, je ne suis pas sûr de m’intéresser moi-même). Il repart bredouille, le masque prêt à lui tomber du nez. Il est dans l’immobilier. J’ai envie de dire, personne n’est parfait. Je le dis pas. Je me dis : plutôt que de dire ou exprimer n’importe quoi, il vaudrait mieux différer mes réponses (mes réponses à qui que ce soit lorsque quelqu’un me parle) de vingt-quatre heures. De manière à pouvoir réfléchir à ce que je dis avant de le dire. De manière à pouvoir refroidir quand c’est incandescent. Mais alors, il deviendrait très vite impossible de mener aucune conversation avec moi. N’est-ce pas le but de la manœuvre ? De ne plus s’exprimer qu’en octets par écrit, je ne sais pas si c’est un fantasme ultime de l’écrivain s’imaginant écrire, mais le fait est que c’est présent chez d’autres : Je veux une parole d’ardoise tombée au sol. Je veux une parole posée par terre qui ne serait à personne 1 Puis, plus loin : Je veux que mon refus soit compris comme le refus de tout ce qui n’a aucun sens. Je ne veux pas me justifier. Nous sommes injustifiables. Je dis oui. H. me dit je n’en reviens pas du nombre de pas que tu dois faire pour aller de ton bureau à la cuisine, du coup je compte : vingt-quatre, escaliers compris, ce qui est effectivement beaucoup plus qu’à Paris dans le petit appartement de la rue T. (trois ?). Pour faire le tour du jardin comme on arpenterait silencieusement un cloître, en prenant en compte la partie latérale qui relie le backyard au front, j’en compte cent. Cent pas pendant que la cuve de récupération des eaux de pluie se disperse dans la végétation et que tout croît. Il faudrait couper quelque chose ; quoi ? Est-on censé couper quand on fait le tour du cloître dans des perspectives méditatives ? Est-on censé penser ? Je pense. Je pense à cette vidéo fameuse de Kurt Vonnegut dans laquelle on le voit expliquer avec humour les différents schémas narratifs possibles en les illustrant sous la forme de courbes sur un tableau noir. J’ai souvent voulu faire des courbes, ce qui est sans doute une forme de défaite dans l’écriture, j’en ai conscience. Mais là je me disais : au fond j’aimerais que ma courbe narrative passe son temps à te surprendre et qu’elle prenne la forme de la Partita pour violon n°2 en D mineur, BWV 1004 de Bach. Plus j’écoute ce morceau en boucle (tous les matins au réveil) et moins je comprends où il va. Toujours la courbe mélodique prend des tournures imprévues alors que, du fait de la répétition, on pourrait supposer que je suis de mieux en mieux armé (bien que le mot soit impropre) à la saisir. Mais non. Elle t’insaisit. Surtout, elle va dans les contraires. Et il y a des notes entières que je ne vois pas, que je ne suis pas en mesure de retrouver une fois que la musique s’arrête (non le nom de la note mais sa substance). Voilà le genre de récit que j’aimerais concevoir.


vendredi 15 janvier 2021 - jeudi 3 juillet 2025




↑ 1 Les petites cosmogonies, Christine Jeanney.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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