Ils repeignent quelque chose dans l’immeuble, ça sent fort les solvants, la peinture, ça imprègne, ça déprègne, enfin c’est près de nous (trop près). J’aimerais m’en tenir à cela mais non non. Je m’étonnais que la Kobo Forma en trois jours ait syphonné toutes ses batteries, je me disais comme même, mais non, ce n’est pas ça, et ce n’est pas de l’avoir chargée en livres plusieurs fois, ce n’était pas non plus les prises de note intempestives sur Hh, le manuscrit de Joachim, non, c’était plus subtil et insidieux que ça, je veux dire c’était plus simple et bête : j’avais laissé le rétro-éclairage ON, à 1 % peut-être mais 1 % nonetheless c’est toujours 1 de plus que rien, je veux dire que 0, alors patatra. Patatra, c’est le bruit que ferait la liseuse déchargée si elle faisait du bruit, le bruit d’elle-même épuisée de tout, burn out total. Et, moi, là où je suis, c’est-à-dire là, ici, en moi-même donc, je me suis fait irradier ou bombarder de toute part par ces 1 %-là, indétectables peut-être, insoupçonnables sans doute, mais là néanmoins. Autre pensée du jour : ça sert à rien de cogner le badge contre le capteur quand tu veux entrer dans l’immeuble, le passer devant à un ou deux centimètres suffit et aussi : quand en est-on venu à substituer aux bons vieux codes des badges ? On se monde-du-travail-ise de plus en plus, même (et surtout) dans nos vies privées. D’ailleurs, ça veut dire quoi travail ? C’est peut-être lié au fait (c’est ce que j’explique à Fred Griot dans la librairie La petite lumière après la soirée consacrée à Anne Savelli près de la rue Daguerre 1) que ce matin nous avons eu notre réunion d’état major préalable aux envois de relevés droits d’auteur, mais j’en viens à repenser à ces moments de réunion chez STAT qu’on avait, nous petites mains, tendance à prendre pour un problème plutôt qu’une solution ; c’est qu’on avait la sensation, pendant ces réunions, de perdre plus de temps qu’on en gagnait, et que pendant ce temps-là le travail s’accumulait. C. répondait mais les réunions, c’est du travail. On est sceptique. Je veux dire, pour nous, le travail, ce qui motivait notre salaire versé chaque mois et notre fiche de paye, c’était toute une série de tâches plus ou moins rébarbatives, plus ou moins répétitives, et qui pouvaient se comptabiliser à la fin de chaque mois (d’ailleurs c’est qu’on faisait, et ça s’appelait le reporting). Ce qui m’amène à me demander, aujourd’hui, c’est quoi travailler ? Pendant longtemps je m’étais mis en tête que travailler, c’était nécessairement pénible. Et ça m’allait très bien, c’était même mon plan de carrière : travailler alimentairement le jour, écrire la nuit (ou quelque chose comme ça). Pendant un moment donc, j’étais comme perturbé. Aujourd’hui, quand je passe plusieurs heures sur Hh, qui est un texte dingue, c’est un plaisir, pas un travail. Mais c’est aussi le mien. Et le fait est que je n’écris plus depuis des semaines, des mois. Mais ça peut aller bien plus loin. Par exemple, cette soirée à la Petite lumière, c’est du travail ? Le rendez-vous que j’ai eu en amont de ce moment, c’est du travail 2 ? Le temps que je passe dans le métro en venant (ou en vélo mais je n’ai plus pris le vélo depuis le 15 août, misère), c’est du travail ? Et le temps que je consacre à aller à la Poste pour envoyer quelque chose (une commande, un SP), c’est du travail ? Et le temps que je passe en revenant de la poste à aller faire une course quelque part ou à chercher ma Mélatonine chez le pharmacien, c’est décompté de mon temps de travail ? C’est quoi mon temps de travail ? J’ai un agenda G à l’intérieur duquel je déplacerai des blocs, plusieurs fois dans la journée. J’ai des codes couleurs qui ne correspondent pas à des vies parallèles que j’aurais mais j’ai différents comptes, pro et perso, mais aussi deux autres : un pour les parutions (à quoi ça sert déjà ? j’ai oublié), un pour écrire (qui s’appelle crire). Quid du temps que je passe à ne pas écrire quelque chose qu’il me faut pourtant écrire, par exemple une quatrième de couverture, par exemple l’édito d’une newsletter ? Dans mes précédents jobs, je considérais que le temps passé littéralement à faire autre chose que travailler était comme volé à l’entreprise, et j’en étais heureux. Mais aujourd’hui je me sentais coupable, quand ça m’arrivait, de ne pas rentabiliser pleinement mon temps. Où je veux en venir avec tout ça ? Que c’est encore une histoire de temporalité, sans doute. Que je parle au passé ?


dimanche 12 mai 2019 - dimanche 24 décembre 2023




↑ 1 C’est d’ailleurs la première fois de ma vie que je mettrai les pieds rue Daguerre, ce qui est en soi un évènement, quant aux lectures d’Anne, j’en ai assisté à plusieurs ces dernières années et, c’est fou, jamais deux fois c’est la même chose.

↑ 2 D’ailleurs j’expliquais tout à l’heure que si j’assistais à nettement moins de rencontre en librairie qu’un temps c’est parce que j’avais l’impression désormais d’être au travail quand ça se produit, comprendre au turbin.

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Article publié Article 190324 GV il y a 18 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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