Cher Aeroflot,

Je vous remercie pour votre réponse à mon précédent message (ref #1-2342556349534) mais je ne peux que marquer ici mon incompréhension. J’ai joint à mon courrier cette pièce jointe que vous dites n’avoir pas reçue. Je suis sûr de mon coup. Je me revois très bien. Écrire ces quelques mots regrettant que vos formulaires standardisés ne permettent pas de recevoir plus de 3000 signes (et qu’est-ce que 3000 signes en ce monde ?), cliquer sur l’onglet d’ajout d’une pièce jointe, y verser le pdf de mon courrier entier, vous envoyer le tout. Mais enfin. Je veux dire. Ça arrive. Oublier de joindre la pièce jointe à son message, ça arrive à tout le monde. Je l’ai déjà fait plusieurs fois, pour ma part. Je ne peux donc pas jeter la pierre. Le doute est permis. Après tout c’est humain. Le problème avec le doute, quand le doute s’installe, c’est qu’il en vient à se propager vite. On se demande d’abord : ai-je réellement intégré la pièce jointe ? Puis : ai-je bien fermé la porte en partant de chez moi ? Voire même : mais, ce voyage que je dis ici n’avoir pu effectuer pour cause de confinement, ne l’ai-je pas effectué malgré tout à mon corps défendant ? Et alors on se met à cogiter. Cogiter fortement. Si ça se trouve, j’ai pris cet avion sans m’en souvenir. Je suis allé au Japon sans le savoir. J’ai vécu un séjour mémorable (mais donc immémoré). Et j’en suis revenu indemne. Après tout, qu’est-ce qui me prouve du contraire ? Ce que j’ai écrit durant cette période pourrait très bien n’être qu’une fiction visant à donner l’impression que je n’étais pas parti. Quant au monde extérieur : personne pour pouvoir me prouver que j’étais bien chez moi, à Paris, pendant cette période : H. et moi nous n’avons vu personne pendant toute la durée du confinement, étant précisément cela, confinés. Que faire alors ? Vers quel saint se tourner ? Peut-être que je vous réclame ici quelque chose qui n’a pas lieu d’être après tout. Peut-être que je suis en train de vivre une expérience de dissociation de la réalité (souvenons-nous de Mulder et Scully enfermés dans une grotte pleine de champignons toxiques et se rêvant dans une réalité autre, conforme à la vérité qu’ils croient être la leur) ? Voilà, vous écrivant, je me dis cela. Et puis, évidemment, j’arrête de me le dire. Pourquoi ? Il me suffit de faire une chose très simple pour m’assurer que je ne suis pas, de fait, parti. Que je n’ai pas joui de ce voyage. Que je n’ai pas pris ce vol, pourtant payé, et toujours non remboursé à ce jour. J’ouvre mon passeport et je vois. Ou plutôt, je ne vois pas. Le tampon de la douane japonaise à l’arrivée, au départ. Je veux dire, je peux fortement douter de ma propre perception des choses et de mes souvenirs, mais s’il y a une chose dans ce monde dont on ne peut douter, c’est la vérité administrative. Voilà comment je sais que vous me devez bien remboursement de ce vol. Voilà comment je vous renvoie la pièce jointe peut-être ou non reçue. Et voilà comment je m’en remets à vous, une fois encore.

Une fois encore, merci de faire diligence,

GV