Hier dernière journée parents pour Paris, qui repartiront demain, c’est à dire aujourd’hui, et l’expo Chéreau traversée au Louvre était un peu courte. Les quelques photos prises au poignet, c’est à dire à l’Iphone, sont surtout des photos de photos de Nan Golding, et surtout celle-ci, et m’arrangeant pour apparaître dans le reflet du verre, afin que mon corps traverse l’image superposée comme un spectre, comme un spectre, oui.

La lumière fin de journée sur les immeubles d’affaire Gare de Lyon est à la fois d’or et plongeante et les immeubles d’affaire se renvoient des morceaux de ciel coupés en deux. Cette fois la correspondance que je n’achète pas est celle de Violette Leduc, de même je n’achète pas Ce vice impuni, la lecture de Valery Larbaud, Les OVNIs en URSS et dans les pays de l’est ou Suicide mode d’emploi mais d’autre(s) livre(s). Plus tôt dans un restaurant de la rue St-Honoré le jeune serveur parle de gay pride et le mec à la table derrière refuse qu’on lui offre une chemise qu’il n’aurait pas pu essayer au préalable et « une ceinture pas mieux ». Plus tôt encore je termine de lire le manuscrit que P. m’a envoyé il y a quelques jours et quelques pages de notes à lui envoyer en retour. Je reprends La fille aux cheveux étranges, commencé parallèlement à Sans et Open Space il y a une dizaine de jours, et cet extrait tout à fait singulier issu de la première nouvelle où Julie et Faye cherchent des situations qui auraient pu les conduire à « tomber dans le lesbianisme ».

« Il te fait soulever des poids, dans sa chambre, la nuit, et il regarde, dit Julie calmement. Et très vite tu te retrouves à soulever des poids nue pendant qu’il te regarde de son fauteuil. Tu commences à êtres mal à l’aise. Pour la première fois, tu as un goût d’avilissement dans la bouche. L’avilissement a le goût du thé. Ça continue une nuit après l’autre. Tu as un goût de thé dans la bouche quand il finit par sortir, à la fenêtre, derrière la fenêtre toutes les nuits, pour te regarder soulever des poids, nue. »
« Je me sens mal quand il me regarde par la fenêtre. »
« Et puis avec ses amis, au bout d’un moment. Il se met à inviter tous ses amis à te regarder par la fenêtre la nuit quand tu soulèves des poids. Tu arrives à deviner les contours des visages de tous ses amis. Tu les vois à travers ton reflet dans la vitre noire. Des visages immobiles, fascinés. Des visages qui te rappellent ceux qu’on creuse dans les citrouilles. Tu regardes et tu vois une langue sortir d’un visage et toucher la fenêtre. Tu es incapable de dire si c’est celle du beau garçon sérieux ou non. »
« De douleur, je tombe dans le lesbianisme. »
« Pourtant tu l’aimes toujours. »
Les tongs de Faye claquent. Elle s’essuie le front et réfléchit.
« Je suis amoureuse d’un type, on se fiance et je commence à l’accompagner dîner chez ses parents. Un soir, pendant que je mets la table, j’entends son père dans le salon qui lui dit en rigolant que le châtiment des bigames c’est d’avoir deux femmes. Et le type rigole aussi. »
Un magasin d’électroménager apparaît à côté d’elles. Faye voit une pub derrière la grande vitrine, reproduite dans le prisme en oeil de mouche d’une trentaine de téléviseurs. Alan Alda tient un produit entre le pouce et l’index. Lui sourit.
« Tu es amoureuse d’un homme, dit Julie, qui insiste sur le fait qu’il ne peut t’aimer que lorsque tu te tiens pile au milieu de la pièce. »

David Foster Wallace, Petits animaux inexpressifs in La fille aux cheveux étranges, Au diable Vauvert, trad : Charles Recoursé, P.54-55

Le soir après conversation sur l’écriture féminine se rendre compte que la nouvelle d’Amy Hempel mise en ligne la semaine dernière en traduction sur le site ne comporte aucune marque pour identifier le genre du narrateur ou de la narratrice. Les seuls indices fournis par le texte sont les suivants : le genre de l’auteur, le fait que le/la narrateur/trice a rendez-vous avec un homme (« my date ») et qu’il/elle se soit fait agresser par deux hommes. Le simple fait de ne pas m’être posé la question du genre 1 de la narratrice (qui en était une évidemment) me reste en travers de la gorge et je devrais sans doute, obligatoirement, en faire une version masculine, puisqu’il est bien sûr impossible de reproduire l’ambiguïté sexuelle en français : les participes passé trahiraient tout 2.


jeudi 11 novembre 2010 - dimanche 28 avril 2024




↑ 1 Et pour ce simple oubli, mon double de 16 ans s’il se trouvait dans la pièce me jugerait nul et à chier, lui qui, en cours d’anglais un jour, avait trouvé humiliant qu’une chanson d’amour X à traduire avec la classe devrait forcément présenter un homme et une femme alors que le texte n’était qu’au « je » et au « tu » et qu’aucune marque de genre ne permettait de l’affirmer. Jamais agréable quand mon moi passé traverse, comme un spectre encore, pour me dire que je me suis paumé en route et qu’il me méprise. Mais moi aussi je te méprise, gamin, je lui dirais si encore il avait tort mais le fait est que c’est rarement le cas.

↑ 2 Ou pas. Après reprise du texte il se trouve en effet que les marques du féminin dans ma traduction sont assez peu nombreuses, la nouvelle a donc pu être reprise et corrigée de manière à gommer exclusivement le genre de la personne qui raconte. De cette manière on peut coller au mieux au texte original, même si pour ça j’ai dû sacrifier quelques phrases dont j’étais parfaitement satisfait pour les remplacer par d’autres qui me plaisent un peu moins. D’autres versions peuvent être amenées à voir le jour, le texte initial sera alors mis à jour.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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