Au sein de l’hôpital, la réa est un espace à part qui accueille les vies tangentielles, les comas opaques, les morts annoncées, héberge ces corps exactement situés entre la vie et la mort. Un domaine de couloirs, de chambres, de salles, que régit le suspense. Révol évolue là, au revers du monde diurne, celui de la vie continue et stable, celui des jours qui s’enquillent dans la lumière vers des projets futurs, œuvre au creux de ce territoire comme on trafique à l’intérieur d’un grand manteau, dans ses plis sombres, dans ses cavités. Pour tout cela, il aime les gardes, les dimanches et les nuits, dès l’internat les a aimées – on imagine Révol jeune stagiaire longiligne séduit par l’idée même de la garde, ce sentiment d’être requis, à poste et autonome, mobilisé pour assurer la continuité de la geste médicale sur un périmètre donné, investi d’une vigilance et nanti d’une responsabilité. Il aime leur intensité alvéolaire, leur temporalité spécifique, la fatigue comme un excitant subreptice qui monte graduellement dans le corps, l’accélère et le précise, toute cette érotique trouble ; aime leur silence vibratile, leur lumière de clair-obscur – appareils qui clignotent dans la pénombre, écrans d’ordinateurs bleuâtres ou lampe de bureau comme la flamme d’une bougie dans un tableau de La Tour, Le nouveau-né par exemple –, et encore cette physique de la garde, ce climat d’enclave, cette étanchéité, le service comme un vaisseau spatial lancé dans les trous noirs, un sous-marin en plongée au plus profond des abysses, dans la fosse des Mariannes. Mais cela fait longtemps déjà que Révol y puise autre chose : la conscience nue de son existence. Non pas le sentiment de puissance, l’exaltation mégalomane, mais pile son contraire : l’influx de lucidité qui régule ses gestes et tamise ses décisions. Un shoot de sang-froid. 

Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, Verticales

Vivons dans un monde vétuste. C’est le futur mais c’est déjà en ruines. C’est évident de voir venir les ombres, les briques, les bâtiments friables, passerelles en fonte, ombres portées vers le nord, le tout jusqu’à Tremblay qui se rapproche (mais le nom de l’arrêt sur le B est tout autre), y aller voir le Karamazov de Bellorini, 4h30 bien réelles. Le porteur d’eau est là. Tout est dans le rythme des voix, le rythme de la scène, le rythme musical. Par exemple c’est une chanson de nuit sur un toit, aux lueurs de la lune, chantée par Dmitri, qui est ici d’une bestialité humaine (dans ma lecture du livre, ce n’était qu’une bête). Entre ça et Réparer les vivants, comment tu veux écrire derrière ? 921 mots néanmoins. C’est peut-être avancer dans le vide et je le sais. Je n’ai pas d’intention. Pas de sens. Tout est gratuit et je souffre de ça.


samedi 7 janvier 2017 - mardi 30 avril 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)