Un livre est arrivé par courrier, c’est le mien. Une édition poche d’un recueil je sais pas quoi. Le titre n’est pas le même titre selon qu’on le lit sur la couverture ou sur la tranche et ce n’est pas mon titre. Les pages sont imprimées sur du papier de mauvaise qualité qui s’écorchent et la police utilisée est péniblement déchiffrable, je ne comprends pas ce que je lis, j’en demanderai un autre.

Un peu moins de deux ans après avoir lancé ce projet, j’enregistre dans la machine le 1000ème épisode d’Ulysse, sa mise en ligne prévue pour dans 314 jours exactement. La progression réelle est à la fois plus rapide et plus lente que ce à quoi je m’attendais. Je ne sais pas à quoi je m’attendais. Je m’attendais à quelque chose d’inaccessible et d’évrestique.

Je programme également l’épisode dit 692. Ce faisant, je réalise que le texto (en réalité le message) envoyé par le père de Stephen annonçant "Nother dying", "mère mourante" avec une faute de frappe, donc "nère mourante", est bien écrit "Mother dying" dans le flot de ma version numérique. De fait, la traduction de Morel écrit bien "Mère mourante", preuve que je me réfère probablement à la même version du texte que Morel, l’une des versions premières, truffées d’erreurs (ou, comme c’est le cas ici, d’erreurs par erreur corrigées !). Suite à quelques recherches je tombe sur cette page qui cogite sur la question. J’en traduis un extrait pour une note, le document entier (enfin la page) est disponible en portfolio.

L’éditeur prie le lecteur pour son indulgence concernant les erreurs typographiques inévitables dans ces circonstances exceptionnelles.

Note intégrée à la première édition d’Ulysse (1922).

Il n’existe aucun consensus quant à l’étendue réelle de ces « erreurs typographiques » au sujet desquels Sylvia Beach s’est sentie tenue de s’excuser en 1922. Jeri Johnson a listé 293 errata indiquées par Joyce, Jack Dalton estimait en 1972 qu’Ulysse contenait « plus de 2000 anomalies », et, en 1984, Hans Walter Gabler soutenait que son édition synoptique révélait « bien plus de 5 000 variations par rapport au propre texte de l’auteur tel qu’il fut établi à partir des documents de sa composition ».

(...)

Leopold Bloom est, par exemple, « très irrité » lorsqu’il s’aperçoit que son nom de famille a été mal orthographié en « Boom » sur la liste de ceux qui sont venus aux funérailles de Paddy Dignam dans l’édition du soir du Dublin Evening Telegraph. Bloom range cette erreur dans « le lot habituel des non-sens et des bourdes résultant des erreurs d’impression » que l’on retrouve dans les journaux, mais cet extrait a aussi le mérite de mettre en lumière la sensibilité qu’a Joyce quant à la contingence et la faillibilité de l’impression. Malheureusement, ce passage fut lui-meme victime du même écueil d’impression puisque le nom de Bloom fut écrit correctement dans la première édition. De la même façon, le mot « world / monde » erroné dans la lettre de Martha Clifford à Henry Flower (« Je t’ai appelé vilain garçon parce que je n’aime pas cet autre monde ») apparut comme « parce que je n’aime pas cet autre mot » lorsqu’il fut pour la première fois imprimé en feuilleton dans le Little Review. Même chose concernant le télégramme reçu par Stephen disant « Nère mourante reviens stp père », il fut imprimé comme « Mère mourante reviens stp père » dans toutes les versions d’Ulysse jusqu’à l’édition de Gabler. Ces exemples confirment bien les observations de Fritz Senn qui remarquait que « les choses finissent souvent par mal tourner. C’est ce que Joyce a montré et ça lui est arrivé. »

Cet incident, ici, celui de la nère mourante, est anecdotique, puisque je l’ai rectifié de moi-même. Mais qu’en est-il des 5000 autres variations recensées par Gabler ? Faudrait-il migrer vers l’édition Gabler de 1984 (avec les inconvénients que cela suggère au quotidien, ne serait-ce que pour recopier à la main les fragments, car évidemment il n’existe pas — ? — d’édition numérique de cette version 1). À voir.


lundi 30 décembre 2013 - mercredi 1er mai 2024




↑ 1 En réalité, il existe une version numérique de cette édition et je l’ai piratée.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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