Quelqu’un sur Twitter estime aujourd’hui que Paris est un cluster. Je marche dans ce cluster. Je traverse un marché plein de tracteurs (et teuses) dont les empreintes digitales figurent sur les prospectus qu’ils tendent à droite à gauche. Aux files d’attente des caisses automatiques les gens regardent avec appréhension celle qui est présentement utilisée par un vieux monsieur avec un masque chirurgical sur le visage. Personne, semble-t-il, n’a envie de passer à cette caisse-là. Et quand on revient dans l’appartement, voilà que la toux des étages s’immisce à travers les murs. Je parle du bruit. Avant, au pied de l’ascenseur, une voisine : elle ne m’a pas vu dans l’ombre à attendre que les portes s’ouvrent et maintenant que c’est le cas, elle se demande si elle ne va pas opter finalement pour les escaliers, et éviter ainsi le confinement partagé mais non consenti avec un quidam. Elle va pour faire demi-tour, et puis elle se retient, sans doute se dit-elle qu’en faisant ça, on pourrait la juger. Elle n’en sait rien mais je ne la juge pas. Je me dis : en fait ce qu’il me faut, c’est créer une page spip très simple avec une boucle synthétisant jusqu’à 99999 articles du site, toutes rubriques confondues, sans autre métadonnées que la date, même pas de titre, éventuellement un numéro, le tout dans l’ordre chronologique de leur parution, le tout sans décors ni mise en forme, sans espace ni saut de ligne. J’appelerais cette page zibaldone. Un site non ordonné. Des données brutes. Un flux. Une fois dans l’ascenseur, elle appuie sur les boutons pour les étages armée d’un kleenex. Je ne connais pas son nom. Je connais le nom de personne, ici. Et s’il y a bien un livre au monde dans les rayonnages des bibliothèques qui ne risque pas d’avoir été manipulé par quiconque depuis au moins la précédente eclipse totale de soleil, c’est bien précisément le Zibaldone. Je l’emprunte donc, plus de 2000 pages de lui à lire en cas de confinement. Ce faisant, je spécule sur la fermeture possible des établissements de prêt pour n’avoir pas à le rendre tout de suite. Est-ce irresponsable de ma part ? Si c’est le cas, je n’en ai pas encore conscience à ce stade de la propagation du bruit. À la bibliothèque Buffon, comme à chaque fois que je m’y retrouve depuis quelques semaines, quelqu’un est en train de faire un puzzle. Mais ce n’est pas ça le plus étrange. C’est toujours le même homme, et toujours le même puzzle. Mais ce n’est toujours pas ce qui m’interpelle. Non, ce qui est remarquable, c’est que le puzzle en est toujours au même point quand je fais irruption (avant de faire irruption) dans la salle dite adultes. Du moins, j’ai cette impression-là. Que le temps n’a pas prise.