1

Crois pas comme tous les autres cons que je sois pas le même genre de con que les autres. J’ai une bière à la main. Et dans la gorge combien quarante de plus. Ton texto dans les yeux, j’y comprends rien à tes lettres qui se bousculent en triple voire pire : en trompe l’oeil. Je dis pas que ça vient de toi, les autres diraient le pédé, je le dirais avec eux. Je prends le bout du bout de l’autre bout de ma bouteille de bière en verre avec les dents, avec les dents je l’ouvre et que ça gueule dans mes tympans, je mettrais le son à fond si j’étais devant ma télé pour imiter ces secondes là, ces secondes là uniques qui te remplissent jusqu’à plus soif, jusqu’à ce que même le crâne te hurle stop, jusqu’à ce que ta notion de toi-même elle soit noyé dans tout ce bruit si plus grand que toi. Je sais même pas qui marque et qui mène et où on se trouve, de quelle couleur les maillots, je m’en fous juste, juste je chante les chants connus par cœur et je lève haut les bras quand on demande d’agiter les écharpes et de toutes mes épaules torse nu je l’agite et des fois même je suis à même les grilles alors tes textos cryptiques qu’est-ce que tu veux que ça me. Crashe-toi, plante-toi, tais-toi avant que j’accouche dans ma gorge d’un autre clone de moi, le genre de ceux capable de piétiner tes couilles de type pour rien, je vais bientôt avoir envie de taper frapper de cogner fort. Je sens que ça pulse et je sens où ça vient.

On est tous minuscules dans la tribune minus, les autres sont mille fois plus nombreux qu’on pourra jamais l’être mais nous on gueule encore plus fort et toutes nos gorges une à une ajoutées ça les déborde ces petits mecs de rien. Bientôt on va lancer les chants, ceux qui commencent par le nom de l’autre équipe et qui termine par enculés. Je gueule avec les autres je gueule, ça sent pire que la bière dans tout ce que je crache mais je gueule juste le dernier mot, le tiens, parce que je sais même plus quelle autre équipe on est venu bouffer ni quelle ville on traverse ni quel toit sur nos têtes. Du bus tout ce que je retiens c’est que j’en ai pris des coups de coudes dans toutes les côtes et les épaules et que j’en ai pris des culs de bouteille dans la bouche et les dents et j’en ai bu de l’alcool, du genre à devenir malade de moi (et je le suis, je le suis).

Un mec se prend la barre, je veux dire la tête du type se prend la barre, le ballon s’écrase vingt mètres plus haut dans le creux de la tribune, dans la forêt de têtes molles et des gueules silencieuses et les soigneurs se pointent pour lui anesthésier le visage, le goal sur cette action était aux fraises et on gueule tous oh hisse enculé quand il dégage parce que c’est l’autre, celui de l’autre équipe c’est tout. Le mec est toujours la tête en sang sur le bord de la pelouse et le jeu continue au milieu, on siffle. Dès qu’un connard de l’autre équipe touche le ballon on siffle, on fait cracher la gorge et on le fera jusqu’à ce que le mec reprenne sa place au centre s’il est pas mort avant, ou mort ou à l’hosto, j’ai de la sueur qui me coule jusque dans le cul du dos, les autres se pressent sur moi et on se retournera bientôt bras dessus bras dessous serré côtes contre l’autre alors la sueur la mienne, celle de maintenant, ça deviendra plus tard la sueur de quelqu’un d’autre, on partage tout, même et surtout ce qui en d’autres circonstances nous ferait gerber la langue, c’est la beauté du sport que veux-tu que je te dise.

Qu’on prenne un but à quinze secondes de la mi-temps bien sûr qu’on s’y attend, on s’y attend tout le temps. J’ai la voix qui se barre quand je leur hurle de réagir quelle bande de fils de pute et avant même le début de la mi-temps (je descendrai chercher de la bouffe pour qu’on se foute par dessus l’estomac un peu de leur merde pour éponger la bière) les premiers remplaçant qui s’échauffent de notre côté de la tribune et deux trois devant nous commencent à gueuler les sales singes quand les blacks ils s’amènent car ils sont de l’autre équipe et même si c’est hardcore non c’est pas faux non plus même si moi je gueule pas, à ce moment là toujours, et je serai pas ceux-là qui leur jettent des bananes là-haut par dessus la grille, sur certains de nos drapeaux que moi j’approche mais moins ils ont tagués des croix celtiques, du genre de celles qu’on grave avec la pointe du compas dans le dedans des tables, pendant les cours, quand on s’emmerde sévère. Sur le terrain ça se bouffe, y a deux trois mecs qui se mettent dessus à cause d’un tacle un peu trop grave et l’équipe elle est à cran depuis le but, ça se sent. L’un de nos mecs à nous dans la tribune il gueule casse lui


lundi 1er août 2011 - vendredi 5 avril 2024




↑ 1 La chanson traduite par Pierrot au concert de Manuel Jodorov correspond à Always crashing in the same car, par David Bowie.

31052 révisions
# Objet Titre Auteur Date
Les plus lus : 270513 · 100813 · 130713 · 120614 · 290813 · 271113 · 010918 · 211113 · Fuir est une pulsion, listing adolescent · 120514 ·

Derniers articles : 050324 · 040324 · 030324 · 020324 · 010324 · La sainteté · 290224 · 280224 · 270224 · 260224 ·

Au hasard : Le dernier monde · 050620 · 290321 · 161012 · 181123 · 090712 · 150921 · 020821 · 080823 · 030519 ·
Quelques mots clés au hasard : Eric Bonnargent · Ville · X. · Thom Yorke · Patrick Autréaux · Sergio Chejfec · Textopoly · Louis-Henri de La Rochefoucauld · Gustave Flaubert · Pablo Picasso · Amputation · Joel et Ethan Coen · Francis Ford Coppola · Ornette Coleman · Claude Favre · Anton Batagov · John Cage · Maria Soudaïeva · Richard Galliano · Urgences · Philippe Berthaut · T-Rex · Amy Hempel · Juan José Saer · Jean Genet · Oscar Wilde · Juan Francisco Ferré · Cyprien Luraghi · Ghost in the Shell · Alexandre Pouchkine

Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)