Aujourd’hui je mange dans des bols (trois). Je fais ce que font les machines. Je prends une épluchure de carotte pour un ver de terre frétillant au fond de l’évier : comment est-il arrivé là ? J’ai froid. Je fais des piles de livres (que je défais bien vite). Je pèse un carton de 11 kilogrammes. Je signe une autorisation de reproduction à titre gracieux. J’écoute Keren Ann. Pendant que je transporte ce carton de 11 kilogrammes pleins de nos livres je me dis comme si souvent ah si seulement il pouvait exister un moyen de lire et de transférer des livres sous forme électronique pour nous épargner toute cette manutention... Je me trouve seul à la Poste, ce qui n’arrive jamais. C’est faux : je ne suis pas seul, il y a un homme avec un perroquet sur l’épaule. Ce perroquet est un gris du Gabon calme avec une queue de couleur (rose). Je me soustrait au soleil en me collant au feu lorsque j’attends au feu. J’ai vu le gris du Gabon monter sur l’épaule de l’homme de la Poste pendant qu’il faisait ce qu’il avait à faire au guichet. Il avait l’air heureux (l’homme, le perroquet je ne sais). J’achète du pain, du beurre car hier nous avons eu dans les paniers de l’amap quelque chose comme des radis. Je paye avec le sans contact. Je crève de chaud. Quand on me parle je n’entends rien à cause des écouteurs que j’ai. Je réponds malgré tout ce qu’on attend, j’imagine, de moi que je réponde et je m’en vais en souriant (c’est important de sourire). J’ai pas besoin d’utiliser mon badge à la porte qui donne sur la rue mais je le fais quand même. Je me l’entends dire derrière moi, quelqu’un qui veut me faire comprendre que c’est déjà ouvert, c’est-à-dire que non, je ne l’entends pas, à cause de ce dont je viens de parler. Dans l’ascenseur, il y a une odeur de fauve, encore que j’ignore précisément ce que ça sent un fauve, mettons donc que ça sent l’humanité moite. C’est le printemps aujourd’hui (ou demain). J’ai mal derrière l’épaule là où j’ai toujours mal derrière l’épaule. Je suis rentré dix minutes en avance par rapport à l’horaire que j’ai promis à Tartelette lorsque je lui ai fermé la porte au nez. Elle n’aime pas rester seule. Si elle aimait Poulpir (et vice versa), elle ne serait jamais seule. Un spam m’invite à investir dans les sacs poubelles. À un moment donné, au trois quarts de la lecture de ce truc, je vais me redresser et dire à voix haute, quand bien même je suis seul, je vais m’arrêter là (et je le fais). Le bruit de la rue m’indiffère. J’ai des fourmis dans un pied et pas l’autre. J’ai froid. J’envoie STOP au 37184 (mais ça n’existe pas le 37184). Lorsqu’un pigeon arrive au ralenti vers la fenêtre et tente de se poser maladroitement sur le câble qu’ils ont tiré sur la rambarde en fer forgé précisément pour empêcher tout volatile de s’y poser (les plus adroits et tumultueux parviennent malgré tout à s’y arrimer et balancent là-dessus de longues secondes comme soustrait à la morosité du vide, j’imagine que s’il existe un équivalent ovipare au rodéo, c’est celui-là), je lui dis ah, te revoilà. Soudain je me demande : où est la chaudière de l’immeuble ? Et aussi : comment fait l’eau chaude pour monter jusqu’au cinquième étage ? Je regarde si c’est safe pour Poulpir et/ou Tartelette de manger des feuilles de radis (oui). J’écoute Moby Dick en mangeant. Je vais vers la Seine puis j’en reviens. Je commence Éléphantesque. Je termine Histoire du chien 1. À marcher dans la nuit les mains dans les poches d’un pantalon, on a l’air plus détendu qu’avec les mains dans les poches d’un blouson. Je médite là-dessus.


lundi 22 avril 2019 - jeudi 25 avril 2024




↑ 1 « Je suis docteur en Lettres Avoue la femme de chambre. »

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)