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Dans vingt ans dire « quand j’avais tel âge », dérouler l’image devenue déformée et puis meubler pour compléter. J’avais tel âge, des os, de la peau, pas de gueule. Je parlais futur proche. Le présent un temps simple pour moi comme étranger. Mes phrases préférées commençaient par « plus tard ». Mes potes disaient « moi je », aucun sens à mes yeux. J’écoutais mal. À côté. Me retenais de chercher quoi que ce soit, qui pas mieux, à commencer par toi. Aux questions les plus simples je savais pas répondre. De peur de répondre, répondre des « j’en sais rien ». Jusqu’à ce que les questions comme des bombes me tombent dessus mais de plus loin. Des pluies de terre droit sur mon corps, je me protégeais avec le coude.

Je suis tombé dans un comas d’image. Pierrot n’était nulle part, je le cherchais partout, dans le contour des pixels. Les immeubles, comme dans l’écran des jeux de l’époque, s’affichaient péniblement et puis l’un après l’autre, on disait du cliping. Sur le bord de leurs corps, tous ceux croisés puis vus : des effets d’escalier. L’oeil porté trop proche d’un écran mis sur pause. Voilà comment je croyais vivre et comme je traversais. Avec une arme à la main, automatique et noire, parfois un silencieux collé au bout du flingue, les deux mains fondue contre, la crosse entre les paumes. Je pointais l’arme contre les corps croisés. Niquais tous les pixels. Le sang, le même, il était rouge. Je tirais en réseau. Pierrot n’était nulle part. Je cherchais pas Pierrot. Derrière tous les pixels, je rentrais dans les zones interdites. Les flics me chopaient. Les rebelles tiraient sur moi. Pierrot n’était nulle pas. Je tirais sur les rebelles. Décapitais les flics. Pierrot n’était nulle part. Ma gâchette s’appelait R1. J’avais mal à l’index et au pouce à force de trop crisper. Fallait lâcher rafale d’Uzis, M16 ou pire sur des corps innocents qui couraient tous en rond jusqu’au bord de leurs corps. Ensuite ils tombaient morts sous mes coups : mes coups c’était des balles. Je tirais dans les pneus, pétais du coude les vitres mais côté conducteur. Pierrot n’était nulle part. Je payais des putes. Jamais des mecs. Les faisais monter à l’arrière. Renversais des corps aux visages censurés. Écrasais les pixels. Piétinais les pixels. Éventrais les pixels. Les flics revenaient. Pierrot n’était nulle part. Les rebelles revenaient. Je prenais d’assaut Kaboul et moi j’étais tout seul. Pierrot n’était pas là. Ne cherchais pas Pierrot. Les rebelles revenaient. Leurs balles mitraillaient dans la nuit ma face gauche. Les tirs venaient de là car le rouge venaient de là. Le sens des balles à ras venait de là. Pierrot venait de là. Pierrot n’était nulle part. Je tuais les rebelles. Les rebelles revenaient. J’avais plus de munitions. Les balles se disaient ammo. Je volais d’autres armes. Tuais d’autres corps. Tuais les rebelles et les rebelles revenaient. Je savais pas au juste de quoi les rebelles l’étaient. Contre quoi ils tiraient, oui, mystère. Je tirais, tuais, cherchais sans le son. Sur mon oeil droit logo qui disait mute en vert. Mes balles silencieuses l’étaient. Les cadavres au sol s’évaporaient, eux aussi, en silence. Pierrot sous ces corps n’était nulle part. Les cadavres invisibles des fois revenaient. Ils tiraient des balles silencieuses et moi je traversais. Pierrot n’était pas ces cadavres. Les cadavres crevaient encore. Mes balles invisibles les faisaient éclater. Des fois corps balancés depuis troisième étage, baie, vitre, explosée, corps en bas écrasés. Une dernière dans la tête, juste pour être sûr. Le sang pixel après l’autre maculait LCD le polygone. Dessus la mort des mecs y avait Bach. Pierrot n’était nulle part mais Bach y était. Des heures de Bach en boucle pendant que d’autres claquaient, que des bombes faisaient tourner le sol, que la tôle des caisses fausses s’encastraient dans d’autres tôles, tout aussi fausses, à l’intérieur desquelles Pierrot n’était jamais. Je cherchais pas Pierrot. Ne cherchais pas Bach. Bach au feu rouge tapait. La voiture traversait sans s’arrêter et sans un choc. Une Porsche Cayenne où caisse fictive. La Porsche prenait l’autoroute à contresens, Bach suivait. Les flics suivaient, trois étoiles au radar, des fois tiraient depuis le bord des routes. La Porsche roulait sur les flics au bord des routes. La Porsche faisait vibrer l’écran, assez pour qu’il déforme la vue intérieure. Mains sur le volant, et sur elles, non, aucune goutte et pas de sang. La vue intérieure montrait l’intérieur cuir et puis le tableau de bord. Les sièges, la finition en toc. Derrière des balles de flingues à pompe faisait péter la vitre. Les éclats de verre : autant de pixels invisibles et bientôt. Pierrot n’était pas là. Ni sur le siège arrière, ni à la place du mort. Je cherchais pas Pierrot. La Porsche contre le rail de sécurité, droite ou gauche c’est le même, faisait des étincelles. Les rebelles revenaient. Des trous dans la route à coups de lance-roquette. Les flics revenaient. Les cadavres revenaient. Bach revenait. Pierrot n’était nulle part. C’était piano, c’était des fugues. Elles répétaient les mêmes notes, les mêmes touches, aux mêmes moments des morts, aux mêmes têtes éclatées. La Porsche perdait progressivement sa tôle. Plus de capot, plus de toit, plus de portes, plus de pare-chocs, de jantes. Bientôt plus de roue arrière gauche, faisait braquer la caisse contre ma volonté. Au moment où le rail de sécurité s’arrête, la Porsche : un vol plané. Les flics aussi plongeaient. Tous les rebelles en bas. Bach plongeait. Pierrot n’était nulle part. C’était tout sauf Kaboul. Une autre ville, guerre idem. Bach fuguait. La Porsche fuguait. Pierrot fuguait. La Porsche finissait dans le canal. Rien à voir avec Kaboul. L’eau la nuit la rendait noire. J’abandonnais la Porsche, la Porsche à pic coulait. Les balles de flingues à pompe fusaient. Bach fuguait. Pierrot n’était nulle part. Plus loin fallait plonger. Même sous l’eau les balles fusaient. Même sous l’eau les pixels claquaient cliping, toujours en décalé. Ma jauge d’air épuisée, Bach épuisé, les rebelles épuisé, les flics épuisés : mon corps à la surface. C’était tout sauf Kaboul. Bach : nulle part. Les rebelles : nulle part. Les flics : nulle part. L’indice de recherche remis à zéro. Mes flingues : nulle part. Pierrot, pas mieux. Le jour sur l’eau montait. Dire de tout ça, demain, tout ça c’est du passé. Dans vingt ans dire « quand j’avais tel âge », Pierrot n’était nulle part, je suis tombé, c’est vrai, dans un comas d’images. Je l’ai cherché partout, je l’ai cherché nulle part et c’est là qu’il était, et je l’ai pas trouvé.


Premier jet du 14/01/11

Dans vingt ans dire « quand j’avais tel âge », dérouler l’image devenue déformée d’alors et puis meubler pour compléter. J’avais tel âge, plus d’os que de peau, et la gueule, non, ne pas finir la phrase. Je parlais futur proche. Le présent un temps simple qui ne comportait rien. Mes phrases préférées commençaient par « plus tard ». Mes amis disaient des trucs comme « moi je », aucun sens à mes yeux. J’écoutais mal. J’étais à côté. Je me retenais de chercher quoi que ce soit, qui pas mieux, à commencer par toi. Aux questions les plus simples je savais pas répondre. De peur de répondre, répondre des « j’en sais rien ». Jusqu’à ce que les questions comme des bombes me tombent dessus mais de plus loin. Des pluies de terre droit sur mon corps, je me protégeais avec le coude.

Je suis tombé dans un comas d’image. Pierrot n’était nulle part, je le cherchais partout, dans le contour des pixels de ma vue. Les immeubles, comme dans l’écran des mes jeux de l’époque, s’affichaient péniblement et puis l’un après l’autre. Sur le bord de leurs corps, tous ceux croisés que je voyais, des effets d’escalier, l’oeil porté trop proche d’un écran mis sur pause. Voilà comment je croyais vivre et comme je traversais. Avec une arme à la main, automatique et noire, parfois un silencieux collé au bout du flingue, les deux mains tout contre elle. Je pointais l’arme contre les corps croisés. Je défaisais tous les pixels. Le sang, le même, était rouge. Je tirais en réseau. Des fois solo. Pierrot n’était nulle part. Je cherchais pas Pierrot. Derrière tous les pixels. Je rentrais dans les zones interdites. Les flics me chopaient. Les rebelles tiraient sur moi. Pierrot n’était nulle pas. Je tirais sur les rebelles. Décapitais les flics. Pierrot n’était nulle part. Ma gâchette s’appelait R1. J’avais mal à l’index et au pouce à force de crisper. Je lâchais rafale d’Uzis, M16 ou pire sur des corps innocents qui couraient en rond jusqu’au bord de leurs corps. Ensuite ils tombaient morts sous mes coups, mes balles. Je tirais dans les pneus, pétais du coude les vitres conducteur. Pierrot n’était nulle part. Je payais des putes. Jamais des hommes. Les faisais monter à l’arrière. Renversais des corps aux visages censurés. Écrasais les pixels. Piétinais les pixels. Éventrais les pixels. Les flics revenaient. Pierrot n’était nulle part. Les rebelles revenaient. Je prenais d’assaut Kaboul et moi j’étais tout seul. Pierrot n’était pas là. Ne cherchais pas Pierrot. Les rebelles revenaient. Leurs balles mitraillaient dans la nuit ma face gauche. Les tirs venaient de là car le rouge venaient de là. Le sens des balles fusantes venait de là. Pierrot venait de là. Pierrot n’était nulle part. Je tuais les rebelles. Les rebelles revenaient. Je n’avais plus de munitions. Je volais d’autres armes. Je tuais d’autres corps. Je tuais les rebelles et les rebelles revenaient. Je ne savais pas au juste de quoi les rebelles étaient rebelles. Contre quoi mystère. Je tirais, tuais, cherchais sans le son. Sur mon oeil droit petit logo qui disait mute. Mes balles silencieuses précisément l’étaient. Les cadavres sur le sol ensuite disparaissaient, eux aussi, silencieusement. Pierrot sous ces corps n’était nulle part. Les cadavres invisibles des fois revenaient. Ils tiraient des balles silencieuses qui ne m’atteignaient pas. Pierrot n’était pas ces cadavres. Une nouvelle fois les cadavres mourraient. Mes balles invisibles les faisaient éclater. Des fois corps balancés depuis troisième étage, baie vitrée explosée, corps en bas écrasés. Une dernière dans la tête, oui, juste pour être sûr. La tête des cadavres en silence éclatait. Le sang pixel après l’autre maculait LCD le pavé-polygone. Dessus la mort des mecs y avait Bach. Pierrot n’était nulle part. Bach y était. Des heures de Bach en boucle pendant que d’autres y crevaient, que des bombes faisaient se retourner le sol, que la tôle des caisses fausses s’encastraient dans d’autres tôles, tout aussi fausses, des tôles où Pierrot n’était jamais. Je ne cherchais pas Pierrot. Je ne cherchais pas Bach. Bach au feu rouge tapait. La voiture traversait le boulevard sans s’arrêter et sans un choc. Une Porsche Cayenne où une caisse fictive. La Porsche prenait l’autoroute à contresens, Bach suivait. Les flics suivaient, trois étoiles au radar, des fois tiraient depuis le bord des routes. La Porsche roulait sur les flics au bord des routes. La Porsche faisait vibrer l’écran, assez pour qu’il déforme la vue intérieure. Mes mains sur le volant, et sur elles, non, aucune goutte de sang. La vue intérieure montrait l’intérieur cuir et puis le tableau de bord. Les sièges, la finition ronce de noyer. Derrière des balles de flingues à pompe faisait péter la vitre. Les éclats de verre, autant de pixels invisibles bientôt. Pierrot n’était pas là. Ni sur le siège arrière, ni à la place du mort. Je cherchais pas Pierrot. La Porsche contre le rail de sécurité, droite ou gauche c’est le même, faisait des étincelles. Les rebelles revenaient. Des trous dans la route à coups de lance-roquette. Les flics revenaient. Les cadavres revenaient. Bach revenait. Pierrot n’était nulle part. C’était piano, c’était des fugues. Elles répétaient les mêmes notes, les mêmes touches, aux mêmes moments des morts, aux mêmes têtes éclatées. La Porsche perdait progressivement sa tôle. Plus de capot, plus de toit, plus de portes, plus de pare-chocs, de jantes. Bientôt plus de roue arrière gauche, faisait braquer la caisse contre ma volonté. Au moment où le rail de sécurité s’arrête, la Porsche : un vol plané. Les flics aussi plongeaient. Les rebelles étaient en bas. Bach plongeait. Pierrot n’était nulle part. Ce n’était plus Kaboul. C’était une autre ville, guerre idem. Bach fuguait. La Porsche fuguait. Pierrot fuguait. La Porsche finissait dans le canal. Ce n’était plus Kaboul. L’eau de la nuit la rendait noire. J’abandonnais la Porsche, la Porsche à pic coulait. Les balles de flingues à pompe fusaient. Bach fusait. Pierrot n’était nulle part. Plus loin je plongeais. Même sous l’eau les balles fusaient. Même sous l’eau les pixels, couches après l’autre, apparaissaient en décalé. Ma jauge d’air épuisée, Bach épuisé, les rebelles épuisé, les flics épuisés : mon corps à la surface. Ce n’était plus Kaboul. Bach était nulle part. Les rebelles étaient nulle part. Les flics étaient nulle part. Mon indice de recherche remis à zéro. Mes flingues étaient nulle part. Pierrot nulle part, pas mieux. Le jour se levait sur l’eau. Dire de tout ça, demain, tout ça c’est du passé. Dans vingt ans dire « quand j’avais tel âge », Pierrot n’était nulle part, je suis tombé, c’est vrai, dans un comas d’images. Je l’ai cherché partout, je l’ai cherché nulle part et c’est là qu’il était, et je l’ai pas trouvé.


samedi 26 février 2011 - lundi 29 avril 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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