Le premier truc du jour c’est un texto : Bowie est mort. Faut vérifier la tête encore pleine de la suie que c’est vrai. Pas possible. Pas besoin d’aller loin : deux cent mille tweets sur son nom dès les huit heures du mat’. À quinze heures, on sera deux millions cinq. Et après je sais pas. Hier soir ce docu sur France 4 en replay, Le fantôme d’Hérouville. Blackstar c’est sorti vendredi. Dans le clip de Lazarus, mis en ligne, je sais même plus, il y a moins d’une semaine, Bowie mais c’est un crâne. J’ai passé deux heures dans une gare à attendre, Space Oddity 1 dans les oreilles. C’était il y a plus de dix ans et j’avais l’impression que ma vie serait plus jamais la même. Paradoxalement, moi j’ai découvert tout à la sortie de son dernier album avant grand silence de dix ans : ça s’appelait Reality. Un truc moyen, mais une grande porte d’entrée dans tout le reste, et puis ensuite le Reality Tour où vocalement c’est superbe. Et puis c’était le moment des « 30ème anniversaire », où ils te ressortaient le CD de tel album puis tel autre chaque année, à cause de sa production hallucinante de l’époque. C’était revivre les années soixante-dix à distance. Puis, dans la foulée, le Bowie de Buckley, qui s’arrêtait grosso modo un peu après Outside, globalement l’album le plus proche de moi musicalement alors. Toujours. Toujours dans Thru These Architect’s Eyes il y a ce truc qui m’allume ou qui m’éteint, je sais pas. Les deux probablement. Lire Bowie, sa vie réécrite, c’était déjà aller dans la fiction. Toujours difficile de dire quel album en particulier. Me rends compte aujourd’hui que je suis incapable de nommer le premier disque acheté. Pas souvenir. Avant l’achat, tu allais sur Kazaa 2. J’ai téléchargé au hasard une espèce de best-of 3, d’où Space Oddity. Et très vite, Reality, juste sorti, et, curieusement, The Buddha of Suburbia 4, très tôt cet album, probablement à cause d’une interview. J’aurais voulu l’acheter j’aurais pas pu : même aujourd’hui encore, pas sûr que ce soit un truc qu’on trouve. Derrière, à cause, lu le livre d’Hanif Kureishi, vu My Beautiful Laundrette. Mais le premier acheté non, incapable de retrouver. Peut-être le live de Ziggy Stardust au Hammersmith Odeon 5, les faux billets épinglés sur le mur près d’une page rouge sur rouge tirée d’Epok. M’étais fait avoir avec Never Let Me Down 6, nul 7 et j’en avais tiré une règle : si la pochette du truc est moche et que son look est naze, il vaut mieux s’abstenir. Ça marchait assez bien. Le fait est qu’à seize ans, entendre gimmie your hands embué en rentrant du lycée 8, oui, ça avait du sens 9. Les trente ans de distance à côté c’était rien. Et déjà je savais le nom de la salle de concert à Londres où il avait prévu que ce serait the last show we’ll ever do (avant de continuer à en faire pendant encore quarante). Je l’ai mis dans un truc écrit à l’époque je crois bien, idem la chanson John I’m Only Dancing (mais la version étendue de Young Americans est bien mieux). Il y a d’autres trucs, par exemple : il était en concert à Lyon, sans doute en 2003 ou 2004, moi je voulais y aller. Le Reality tour. Si j’y suis pas allé c’est que c’était compliqué, que c’était cher, que c’était une excuse (mais le Bowie à la place de la mienne, lui, il y serait allé bien sûr), et c’était se dire après ça que derrière y aurait plus d’autre occasion de le faire. Son passage programmé aux Vieilles Charrues a été annulé à cause de l’incident cardiaque qui lui a, lui, imposé un last show we’ll ever do pas forcément prévu. Hier, au fantôme d’Hérouville, je me suis dit ce sera dur après sa mort. Je veux dire juste, je sais pas, se souvenir d’un truc dans quoi il a trempé. Il a trempé dans tellement plein d’images et de sons... Par exemple : moi je suis tombé amoureux de quelqu’un sur Sons of the Silent Age. Il va falloir réécouter Blackstar, lire les textes 10. Mais je l’ai fait déjà, et j’ai pas lu les textes. Besoin de pas lire les textes 11 pour pouvoir les entendre dix milles fois sans savoir ce qu’ils recouvrent. Parce que ça lui ressemble tellement de pas être l’auteur de son propre son, son dernier chef d’œuvre c’est le putain de Love is lost ’Hello Steve Reich Remix’ de James Murphy. Il faut écouter ça dans sa version longue, ses dix minutes d’applaudissements syncopés, ses remerciements (standing ovation !), ses hommages 12 (Ashes to Ashes) 13, sa rythmique, non, son arythmie. Il y a des interludes parlés dans certains de ses concerts enregistrés que je connais par cœur. Ça sert à rien tu sais. Et aujourd’hui je me retrouve à écouter des trucs abstraits : des fragments d’interview, des bouts d’anecdotes dites, des extraits de sa parl’, pour entendre la voix de la personne dans le mot tout venant. Dans Blackstar, c’est une histoire de rythmiques, la rythmique de Mark Guiliana au début, elle juste en hypnose 14. Il y a l’intro de Lost highway sur I’m deranged. Toujours eu une faiblesse pour des titres étranges et mélancoliques, un peu décalés, souvent cité ici Letter to Hermione ou Lady Grinning Soul, oui, mais aussi Some are, The Motel, Sweet Thing — Candidate, All the madmen 15 c’est aussi des trucs d’Hours ou d’Heathen et cette reprise d’I Can’t Read enregistrée au Manhattan Center en 99 16, et je sais même pas pourquoi 17. All I’ve got is someone’s face. Le jeu dans lequel il apparaît, The Nomad Soul, n’y ai joué que bien après, probablement en 2008 18, pourtant avant je l’avais la Dreamcast. Impossible d’aller loin à cause d’un bug paraît-il bien connu dans la version PC, et aujourd’hui impossible de s’y remettre car sur Mac ça passe pas. Ça s’ouvrait sur une version bougée de New Angels of Promise, et on disait qu’Hours c’était la bande son de ce jeu-là, en réalité c’était un cheval de Troie mis dans le jeu pour renvoyer vers lui, comme souvent 19, et l’auteur de la vraie OST du jeu c’est pas Bowie c’est Reeves Gabrels, celui qui fut recruté comme guitariste de Bowie au moment même où il cessait d’être lui-même pour incarner un groupe bizarre appelé Tin Machine 20 (ça j’ai jamais kiffé, encore qu’I can’t read vient de là). Bref. Il y a quelques années j’ai fait ce cut-up de quelques phrases piquées dans ses chansons, « Ouvrez le chien » (maintenant c’est implanté dans mondeling) : prendre quelques mots d’une chanson par album jusqu’au Next Day 21, ce qui n’est finalement pas très différent de ce que je faisais adolescent ou étudiant quand je gravais à quelqu’un un CD composé d’une chanson par album (c’était dur). E. me dit, dans son appartement de la place St Roch, derrière Wild is the Wind, mais on va se tirer une balle. Tourner la tête chez V. 22, rue comment déjà, ça doit être la rue Antoine Durafour, quand c’était Life on Mars ou, je sais plus, Space Oddity qui crevait le son. Ce truc très particulier de reconnaître une chanson qui te fait chialer quand tu te retrouves ailleurs, tu t’y attendais pas. Je crois que pour la première fois j’avais trouvé quelque chose qui était à la fois universel mais qui n’appartenait qu’à moi. Et maintenant on va essayer de rendre compte dans la totalité : il faut toujours en passer par un tout. Je parle même pas du biopic (il y aura un biopic 23). Faites que ce soit un biopic avec Tilda Swinton et qui se concentre sur, je sais pas moi, un fragment de quelques semaines, quelques jours de sa vie. Quelques heures. Un truc anecdotique. Pas la totalité de rien. Hésité à reprendre un autre extrait du Bowie de Simon Critchley traduit en août 2014, jamais repris. Un truc comme quoi Bowie vit dans ses films 24 et son obsession du cinéma et des représentations, je sais plus. Moi non plus, je sais pas. J’ai pas envie de faire ça à cause des circonstances, seul le début me branchait, le reste me touchait moins. Je parle du livre. Étais prêt à descendre acheter Blackstar en vinyle ou la une d’un journal pour avoir quelque chose mais ça n’a pas de sens. J’ai pas de platine vinyle. Et quand bien même. Je l’écouterai jamais comme ça. J’ai des trucs, oui. Le souvenir de L’homme qui venait d’ailleurs sur Arte dans une maison que je situe plus nulle part géographiquement parlant 25, c’est la deuxième fois que je vois ça, même que le film il est un peu raté 26. Mais on le voit lui, dans de ces images, il y a le magnétisme et le torse retourné avec en fond les écrans de la télé de partout. Maigre et d’os et d’écrans. J’ai souvenir qu’un soir ma mère est rentrée triste du boulot car Barbara venait de mourir. J’ai pas souvenir que qui que ce soit soit mort avant ce truc-là. Bowie, un jour, je l’ai brûlé à l’ampoule électrique pour voir ce qu’il y avait derrière, par transparence. Mais jamais fasciné par le truc sexuel à l’époque. Tout de suite c’était traité (dans le Buckley par exemple) comme un truc marketing. C’était un truc marketing de dire ça publiquement : ’I’m gay, and always have been, even when I was David Jones. Peut-être aussi déformé par le film Velvet Goldmine, mais moi j’aurais jamais connu cette déception de le voir se transformer en golden boy straight hero puisque c’était déjà dans le passé. Déjà dans John I’m Only Dancing c’est présent. Et finalement j’ai tout découvert après coup, comme cette histoire de rendez-vous avec son manager qui, bref. Let’s dance c’était censé être ringard, j’ai toujours adoré Modern love, malgré les arrangements vieillis, China girl tellement meilleure dans la bouche d’Iggy Pop sur (je sais plus) Lust for life ou The idiot : it’s in the whiiiiiiiiite of my eye. Eye ou Eyes ? Rien à voir avec Lou Reed, Electric Dandy, j’ai oublié l’auteur 27, où là, oui, c’était marquant : cette histoire d’électrochocs pour lui faire fondre l’homosexualité. Dans Velvet Goldmine ils ont mélangé Lou Reed et Iggy Pop, c’est Ewan McGregor qui joue ça, un type électrifié, et Brian Eno est là à rigoler parce que c’est pas crédible. C’était présenté comme ça dans le Strange Fascination : pas crédible. Ça n’a pas beaucoup plus de sens de se retrouver au rayon des olives dénoyautées : on sait jamais ce qu’on cherche. Et puis chialer dans ton frigo quand tu ranges des machins au retour. Il y a quelques jours au début de Metal Gear Solid 5 la surprise d’entendre The Man Who Sold the World en générique d’ouverture dans une abominable version 80’s 28. Mon frère me disant mais c’est lui qui chante ça à la base ? Moi aussi j’ai d’abord entendu la cover de Nirvana from Unplugged 29 probablement par lui d’ailleurs. Trois personnes m’ont contacté aujourd’hui suite à ça. Dans deux semaines encore, il y aura tant de trucs au 23 Heddon Street en hommage et peut-être qu’un jour j’en viendrai à me dire : merde, j’ai pas écouté une seule fois Blackstar de la journée. Là : des voix de filles dans la rue et qui chantent, le bruit des gaz d’échappement m’empêche d’écouter quoi.


samedi 13 février 2016 - vendredi 26 avril 2024




↑ 1 En 1990, pendant le Sound & Vision Tour, il chante ça après une intro Hymne à la joie à l’orgue très Orange mécanique et Kaworu dans le poing de l’EVA-01, H. et moi on s’est rencontrés là. Un gosse cherchait à me vendre un journal, comment ça s’appelle, Macadam, un truc comme ça. Mon grand-père achetait Macadam. Je mélange les souvenirs plusieurs fois.

↑ 2 C’était un truc de P2P qu’on utilisait pour télécharger des trucs pirates.

↑ 3 Je disais à H. au téléphone je confonds Bowie et Sting (sic), j’avais besoin de matière pour les différencier. Lui : mais t’es sûr que c’est une bonne idée de les écouter tous les deux si tu les confonds ? Au milieu de tout ça il y avait un truc très nineties, Lemon truc, ça n’avait rien à voir.

↑ 4 Zane, zane, zane, ouvrez le chien...

↑ 5 Non.

↑ 6 Encore que Time will crawl est une bonne chanson avec d’autres arrangements, en acoustique ça peut passer.

↑ 7 Et même chose peu avant, ou après, avec le premier Lou Reed solo, nul idem.

↑ 8 F. me disant, sur une table au foyer, tu fais du bruit à articuler des paroles, elle aimerait bien bosser. Plus tard, dans un train allant vers ou revenant de Paris, écoutant un bout de Slade : ah mais c’est quoi ce machin ?

↑ 9 And I look at my watch it is nine twenty five and I think oh god I’m still a-live !

↑ 10 This way or no way.
Look up here, I’m in danger.
Just go as me.
I’m dying to.

Liste non-exhaustive...

↑ 11 Un album aux lyrics curieusement assez drôles : man she punched me like a dude, where the fuck did monday go, dropped my cellphone down below, I was looking for your ass.

↑ 12 Comme quand t’entends un bout de Time samplé dans Mr Self Destruct (final) de NIN, un truc que j’écoutais tout le temps quand j’avais besoin de violence à une époque où la violence c’était d’être dans la rue et de marcher contre quelque chose ou vers quelque part, je sais pas.

↑ 13 La version du Live at the Beeb tout particulièrement, pour sa psychédélie synthé à la fin, Mike Garson pas dans son élément, peut-être aussi pour ça que c’est beau.

↑ 14 Si je vais écouter des jours, des jours durant, les trucs divers dans quoi a battu Mark Guiliana ce sera mais pour rester dans cette même pulsation, cette dernière pulsation, cette sismique.

↑ 15 Zane, zane, zane, ouvrez le chien...

↑ 16 Et maintenant je me souviens de cette version de Prettiest Star tout en détachement que j’aime bien, que j’ai entendu après. C’était toujours dans le détachement que ça trouve à m’émouvoir, dans la froideur apparente, c’est ça qui m’atteint, oui.

↑ 17 Jamais cherché à comprendre ce que c’était comme concept que ce truc de VH1 Storytellers, avec des fois plus de parl’ que de musique

↑ 18 On peut encore aujourd’hui retrouver des pics dans le 17h34 qui attestent de tout ça.

↑ 19 Par exemple la pub Vittel qui est, et c’est hallucinant, une pub pour Bowie signalant, presque accessoirement, une marque d’eau minérale.

↑ 20 Dans un concert ou dans une émission quelconque, Bowie disant Jimmy Page m’a offert ce riff[celui de Supermen] et lui qu’est-ce qu’il en a fait ? Il l’a mis dans une chanson de Tin Machine ! Ensuite il l’a récupéré pour ce Dead Man Walking.

↑ 21 Le tweet de Duncan Jones un beau jour, je me souviens où j’étais, au bureau, c’est le matin, en gros il dit mais allez voir ce que mon père fait : le clip de Where are we know et l’annonce de l’album à venir. Aujourd’hui Duncan Jones confirme que c’est triste et que c’est vrai.

↑ 22 Adossé à la BU derrière je lui parlerais du nouveau Björk tout juste sorti et qui s’appelle Volta. À quelques semaines près on doit presque être au même endroit.

↑ 23 Il y aura également des reprises. Tellement de reprises. Ça va venir très vite, ça va durer toujours : « just go as me ».

↑ 24 Par exemple : jamais remarqué que dans China girl, donc, il disait I feel a-tragic like I’m Marlon Brando. Mais qui a écrit ces paroles ?

↑ 25 Je regarde ça je crois avec mon père, là sur une chaise en bois.

↑ 26 Plus tard parler de Nicolas Roeg avec V. sur un truc de messagerie instantanée aujourd’hui obsolète.

↑ 27 Bruno Blum.

↑ 28 La cover de Lulu aurait été plus cool. Elle est terrible. Terrible dans le sens de bien.

↑ 29 This is a song from David Bouwie. Je sais plus qui à écrit ça ni où.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)